La période actuelle, marquée par les crises du climat et de la biodiversité ainsi que la nécessaire transition énergétique, amène le domaine de la construction à se redéfinir, en quête d’une nouvelle pratique du bâtiment intégrant écoperformance, durabilité et bien-être.

Dans cette perspective, un lieu d’expérimentation émerge dans la région de Portneuf. Étendu sur un site de 130 hectares permettant la construction de plusieurs pavillons expérimentaux, Auvergne laboratoire vivant vise à participer à l’avancement et au rayonnement des connaissances dans l’industrie. Le projet s’est donné comme mission de bâtir plusieurs typologies d’enveloppes permettant de :

  • Documenter sur le terrain la performance en service de systèmes, dans des lieux monitorés et habités;
  • Favoriser la multidisciplinarité en impliquant dans le projet de construction et de recherche concepteurs, spécialistes, fabricants et entrepreneurs;
  • Développer des outils de communication pour assurer la diffusion et le partage de l’information avec les acteurs de l’industrie.

 

L’idée première est donc de partager de l’information, par étude comparative de systèmes, et non de montrer « la manière de faire », contribuant ainsi à une certaine réflexion dans la pratique du bâtiment au Québec.

Objectifs

Les objectifs d’Auvergne laboratoire vivant s’inscrivent dans un processus d’intégration des nouvelles connaissances et réalités sociétales pour tenir compte de la performance globale et la durabilité dans le temps.

Plus spécifiquement, il s’agit de promouvoir une approche plus analytique de l’enveloppe de bâtiments résidentiels dans des perspectives environnementales et de bien-être, tout en tenant compte de l’expectative climatique et des contraintes inévitables qui affectent la performance résultante des enveloppes. Ces contraintes sont trop souvent négligées, que ce soit la compacité des volumes, le transfert des charges, les modes de fixation, les bris thermiques ou encore les jonctions et les angles, pour n’en nommer que quelques-uns. 

Les bâtiments sous étude 

Le site comprend à ce jour trois pavillons habités. Trois systèmes d’enveloppes ont été construits et évalués à ce jour, basés sur six scénarios établis à partir de simulations hygrothermiques, de modélisations énergétiques et d’analyses de cycle de vie.

Ces assemblages sont tous instrumentés au moyen de plusieurs enregistreurs de température et d’humidité, afin d’en évaluer la performance sur une base continue.

Différents paramètres de design ont aussi été considérés lors de la conception, comme l’indique le tableau ci-dessous[1]. De tels paramètres, pourtant conventionnels, sont souvent mis de côté, encore aujourd’hui, à l’étape de design.

  • Le projet a incorporé le concept de l’inertie (ou masse) thermique dans le choix de certains matériaux intérieurs.
  • Le verre triple a été utilisé de façon unilatérale. Toutefois, il est probable que l’usage de verre double aux parties les plus ensoleillées du côté sud-est aurait pu contribuer à optimiser encore plus les gains solaires (équation gain vs surchauffe).

Un premier système avec enveloppe complètement isolée par l’extérieur

Mise en chantier par un entrepreneur de la région, la première construction, relativement compacte, est dotée d’une charpente mixte de bois d’ingénierie (LVL pour Laminated Veneer Lumber ou Bois de placage stratifié et CLT pour Cross-Laminated Timber ou Bois lamellé-croisé) et d’ossature légère (2x6 po). Elle est pourvue d’une enveloppe isolée totalement par l’extérieur (baptisé Système avec isolation totale du côté extérieur ou SITE).

Ce système connu sous le nom de perfect wall (mur parfait) a fait ses preuves sur des constructions de plus grande envergure[2], mais est encore marginalisé dans le domaine résidentiel[3]. Afin de maximiser la performance énergétique du bâtiment, des considérations très importantes ont été également portées aux ponts thermiques, notamment par l’utilisation d’une double ossature appliquée au toit, et des bris thermiques continus aux murs et aux jonctions vulnérables.

Construit en 2019, le pavillon Le Pierrot a fait l’objet d’un rapport technique[4] dont les éléments suivants sont entre autres stipulés en conclusion de l’étude :

  • La bonne performance en service a été vérifiée par les différents essais réalisés, notamment au niveau de l’infiltrométrie, dont le taux de fuite d’air mesuré de 0,65 changements d’air à l’heure à 50 pascals (CAH à 50 Pa) est largement inférieur aux exigences, de même qu’au niveau de la thermographie, alors que les ensembles et jonctions, incluant les bris thermiques intégrés aux murs, offrent une barrière thermique uniforme supérieure.
  • L’étude d’efficacité énergétique a aussi confirmé le bon rendement : la quantité d’énergie de chauffage requise, projetée sur un an est de 30 % en-deçà de la maison typique que l’on retrouve dans la documentation d’Hydro-Québec.
  • Le fonctionnement d’un système totalement isolé par l’extérieur s’est avéré efficace de façon générale[5]. Il élimine la totalité des ponts thermiques créés par la charpente, particulièrement aux jonctions mur/toit, et facilite la pose des isolants et autres matériaux. Ce bon fonctionnement de l’enveloppe thermique du système confirme aussi in situ les résultats de la modélisation quant au risque pratiquement nul de condensation intra-murale et de dégradations de matières putrescibles.
  • Bien que les charges d’humidité générées en usage aient été basses (occupation limitée), les quelques périodes de grands froids et le temps des Fêtes, avec une occupation intense, ont confirmé un renouvellement en air efficace[6] de même que des fenêtres et des jonctions qui limitent suffisamment la conduction de chaleur pour éviter la condensation pratiquement en tout temps.

La recherche a aussi comparé le prix de construction du pavillon avec un autre, de mêmes dimensions, construit selon un modèle de maison classique non optimisée mais répondant aux normes actuelles. Le surcoût a été évalué à 7 % pour obtenir une économie de chauffage importante, de l’ordre de 20 %. 

Une telle économie ne compense toutefois pas le surcoût de construction, même en terme de coût global. Cela tend à démontrer que la seule question d’efficacité énergétique ne peut pas être considérée indépendamment de l’efficience globale de l’enveloppe et de sa durabilité. Ce questionnement constitue un des éléments phares qui a initié la deuxième phase de la recherche, entreprise en 2021.

Déploiement de deux pavillons supplémentaires en 2021

Ces bâtiments ont les mêmes configuration, implantation et orientation mais sont assemblés différemment. Ils permettent d’expérimenter et de comparer de nouvelles approches constructives et offrent une quantité supplémentaire de données pour évaluer entre elles la performance en service.

L’une des enveloppes a repris le système totalement isolé par l’extérieur perfect wall à l’instar du premier pavillon (image de droite, figure 7), avec quelques améliorations au niveau des matériaux utilisés, alors que l’autre reprend un assemblage plus conventionnel au Québec, avec isolation entre les montants de bois et protections extérieures supplémentaires (image de gauche, figure 7).

D’autres considérations ont été intégrées à cette deuxième phase de l’étude, soit :

  • L’intégration de matériaux biosourcés, chanvre et fibre de bois (image de gauche) ;
  • L’utilisation d’un système d’enveloppe perspirant (image de gauche) ;
  • L’érection d’un mur de masse intérieur dans le pavillon L’Hermine, pour étudier les gains thermiques potentiels[7].

Enfin cette deuxième phase a intégré une analyse de cycle de vie (ACV)[8] pour comparer les impacts environnementaux de chacun des systèmes constructifs.

L’étude comparative de deux pavillons identiques mais aux assemblages différents, jumelée aux apprentissages retenus de la construction du premier pavillon, permettent de mettre en évidence certaines similitudes et distinctions dans les comportements respectifs en service, dont entre autres les éléments suivants[9] :

  • Considérant que le test d’infiltrométrie tel que réalisé se base sur un volume d’air appliqué sur toutes les parois de l’enveloppe. Il va sans dire que les bâtiments à fort indice de compacité, dont ceux de 2021, sont désavantagés, constat confirmé aussi par le monitorage électronique. La compacité offre des réductions significatives de jonctions et, ultimement facilite le travail d’exécution.
  • Les études thermographiques portent à croire qu’en terme de nombre d’anomalies, le pavillon La Sittelle, fait d’un assemblage perfect wall, comporte moins d’anomalies thermiques, lesquelles se répandent moins dans l’enveloppe.

En contrepartie, lorsqu’il y a vraiment un problème de pare-air, les conséquences sont directes, avec dans ce cas un mouvement d’air ressenti plus important. Le système perfect wall ne pardonne pas en cas de défaillance : c’est en fait toute l’étanchéité qui devient vulnérable. Par cette faiblesse, et sans autre plan d’étanchéité (pare-vent) supplémentaire qui serait à prévoir au-devant, soit derrière la cavité murale extérieure, il est possible de considérer qu’en terme de performance, eu égard au mouvement de l’air et au confort, l’isolation complète et unique par l’extérieur, bien que recouvrant en totalité la charpente, ne constitue pas nécessairement une meilleure option qu’un assemblage conventionnel.

  • Les parois situées plus vers l’extérieur sont plus chaudes pour les murs de La Sittelle (perfect wall), ce qui montre la présence d’une déperdition thermique par conduction légèrement plus importante. Toutefois les ponts thermiques dans les plans isolants sont plus accentués dans un mur conventionnel, tel que confirmé aussi par la thermographie.
  • La résistance à la condensation avantage les parois du système de mur perspirant de L’Hermine, en raison de la position du frein-vapeur positionné plus près de la chaleur ambiante. Par contre, en présence de condensation, une composition de ce type, avec isolant entre les montants de bois, serait plus à risque de dommage car la zone possible de désordre est située à l’intérieur du panneau de revêtement intermédiaire, contrairement à un système isolé totalement vers l’extérieur, la zone étant situé du côté extérieur des plans d’étanchéité.
  • Tout en considérant qu’il n’y ait pas de sous-sol à chauffer (dalle chauffante sur sol en place), et malgré l’articulation prononcée des plans des deux bâtiments construits en 2021, la consommation annuelle de chauffage mesurée, de 12 000 kWh chacun des deux bâtiments, est très basse. Elle se situe largement en deçà de la maison témoin d’Hydro-Québec (22 000 kWh). Peu importe le système d’enveloppe, la consommation est au même niveau, à 2 % près (un écart non significatif).

Perspectives

Au terme d’une étude étendue sur deux phases et portant sur les trois premiers bâtiments d’Auvergne laboratoire vivant, il est permis, à ce stade de l’étude, de comprendre l’impact significatif de l’enveloppe sur l’efficience d’un bâtiment. Les rapports techniques produits à ce jour dans l’étude mettent en perspective ces différents impacts, en comparant les systèmes et les six scénarios analysés.

Au-delà des considérations techniques citées ci-haut et plus complètes dans les rapports techniques, les recommandations suivantes, plus générales, pourraient être formulées.

Mener des études formelles

Une étude de forme telle la compacité ou encore des ratios de coins, de formes, de périmètres de fenêtres, etc. constitue un exercice permettant de mieux comprendre l’enveloppe, voire d’anticiper les ponts thermiques les plus significatifs. La rationalisation des surfaces et arêtes permet de cibler les points faibles.

Prévoir l’imprévu

Intégrer la simulation comme outil d’analyse devient (ou doit devenir, espérons-le) un incontournable en phase conception, dans une perspective de pérennité. Développer des détails non seulement pour gérer ce qui est prévisible, mais aussi répondre, voire anticiper des conditions potentiellement problématiques, en chantier ou par après, telle n’est pas l’ultime quête d’un détail performant ?

Intégrer les impacts énergétiques et écologiques tout au long du projet

Il s’agit de tendre à faire un projet meilleur, en attaquant de front différents aspects fondamentaux. Mais comment les aborder… et surtout de front ? L’écoperformance n’est plus une mode « écolo », mais une valeur d’économie, d’efficacité et de rentabilité. 

NOTES COMPLÉMENTAIRES :

  1. Les rapports techniques peuvent être consultés sur le site internet de l’auteur : COM
  2. Des ateliers sont donnés sur le site à l’intention des professionnels et autres passionnés. Consulter le site de l’auteur pour les dates des prochaines cohortes au printemps 2023.
  3. Les pavillons La Sittelle et L’Hermine sont disponibles en location court terme sur les plateformes connues d’hébergement touristique.
  4. Partenaires du projet : Société d’Habitation du Québec, LGT en structure, STGM Architecture, Partie 5 et UL Solutions du Canada en simulations et essais, CT Consultants en analyse du cycle de vie, rd2 en modélisation énergétiques de même que Nature Fibres et Soprema pour l’achat des enregistreurs de données.

[1] Chacun des paramètres est traité de façon exhaustive dans les rapports techniques référés plus loin.

[2] L’auteur utilise ce type d’assemblage dans des projets institutionnels depuis une vingtaine d’années.

[3] Des études similaires sur le mur parfait, entreprises depuis 2018 par des chercheurs en génie du bois à l’Université Laval en collaboration avec l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec (APCHQ), sont actuellement en cours.

[4] Rapport SHQ programme PADIQH « Auvergne laboratoire vivant : Application et monitorage d’enveloppes résidentielles haute-performance » 23 mars 2020. Voir aussi le site du Cold Climate Housing Research Center, basé en Alaska http://cchrc.org/remote-walls/

[5] L’infiltrométrie a permis de corriger directement des lacunes mineures reliées à l’exécution des travaux.

[6] Dans un bâtiment très étanche tel que celui-ci, les renouvellements mécaniques de l’air sont d’autant plus importants pour éviter des humidités excessives intérieures.

[7] Cette partie de l’étude n’est pas traitée dans cet article. Se référer au rapport technique.

[8] L’analyse ACV a non seulement porter sur les enveloppes construites mais sur l’ensemble des scénarios élaborés au moment de la conception. Se référer au rapport technique de la phase II pour plus d’informations.

[9] Rapport SHQ programme PADIQH « Auvergne laboratoire vivant Phase II : Application et monitorage d’enveloppes résidentielles haute-performance », 10 mai 2022.