Les maisons sans sous-sol et surélevées ont résisté à l'inondation du Richelieu. L'idéal est évidemment de cesser de construire et reconstruire dans ces zones et de cesser d'imperméabiliser les sols. © bm-architectes.com
Les maisons sans sous-sol et surélevées ont résisté à l'inondation du Richelieu. L'idéal est évidemment de cesser de construire et reconstruire dans ces zones et de cesser d'imperméabiliser les sols. © bm-architectes.com

Une réflexion sur les zones inondables s'impose, selon les experts

Printemps 2011. Un vaste territoire de la Vallée-du-Richelieu est inondé. Pendant plusieurs semaines, des milliers d'habitations sont submergées. Cette année, des milliers se retrouvent à nouveau sous l'eau. Avec les changements climatiques, plusieurs experts dont ceux du Consortium Ouranos prédisent que ce genre de situation va se reproduire. À part protéger les habitations avec des digues de sacs de sable, réfléchit-on à des solutions plus viables lorsque ces catastrophes se produisent? Points de vue de différents spécialistes sur la question.

Des années de négligence et de non-intervention

Quels enseignements a-t-on tirés des vastes inondations qu'a connues le Québec (Saguenay en 1996, Vallée-du-Richelieu en 2011 et les inondations actuelles)? Pas grand-chose, semble-t-il. « Après la décrue en 2011, on a permis à une majorité de gens aux résidences inondées de demeurer au même endroit, de rénover ou de se rebâtir », déplore Gérard Beaudet, professeur à l'Institut d'urbanisme de l'Université de Montréal. L'attrait des bords de l'eau et de revenus fonciers alléchants pour les municipalités semble supérieur au gros bon sens. « Il faudrait établir des zones inondables plus conservatrices et les respecter, dit François Brissette, professeur spécialisé en hydrologie à l'École de technologie supérieure (ETS). Mais il y a encore beaucoup de laxisme dans ce domaine. »

Le cas de Laval

Prenons le cas de Laval où des centaines de résidences ont été inondées ce printemps. En 1978, le Conseil des ministres interdisait la construction en zones inondables présentant une récurrence de 20 ans. Pourtant, la Ville, sous la direction du maire Vaillancourt, a fait fi de ce règlement, a contesté la zone inondable et a continué à délivrer des permis de construction dans cette zone. Le zonage des plaines inondables, établi en 1995, avait été révisé en 2005 mais la Ville continuait d'utiliser la carte de 1995. En 2013, le ministre de l'Environnement de l'époque, Yves-François Blanchet, impose le respect de cotes de crues de 2005. Cela touche 700 propriétaires de résidences qui ne peuvent plus faire ce qu'ils veulent (ex. : la construction d'un garage doit se faire sur pilotis). Cela interdit aussi la délivrance de nouveaux permis de construction.

Revirement de situation en 2015. Les propriétaires affectés par cette mesure réussissent, avec l'appui de la nouvelle administration du maire Marc Demers, à faire modifier la carte. Résultat : ils n'habitent plus dans la zone inondable de 20 ans! Les 700 propriétaires en sont bien heureux car ils devaient composer avec une baisse de la valeur foncière de leur résidence. Gageons que ce printemps plusieurs se sont sans doute retrouvées sous l'eau.

L'origine du problème

Selon Gérard Beaudet, le problème remonte à plusieurs années. « À l'époque, la très grande majorité des chalets construits en bordure de plans d'eau étaient sur pilotis, dit-il. Une partie du problème est apparu lorsque les propriétaires de ces demeures ont commencé à transformer leur chalet en résidence permanente en y ajoutant un sous-sol. Cela avait l'avantage de hausser la valeur de leur propriété. » Mais évidemment, lorsqu'il y a montée des eaux, leur sous-sol se retrouve inondé et parfois même le rez-de-chaussée.

La difficulté à établir les zones inondables

Outre le non-respect fréquent des zones inondables, il existe un flou artistique sur la détermination des zones de 20 à 100 ans, selon François Brissette. « Une rivière, sur une période de 100 ans, ça bouge, ce n'est pas statique. En ces temps de changements climatiques, il faudrait être prudent et établir des zones inondables conservatrices. Or, ce n'est pas ce que je vois en ce moment. Pourtant, des solutions existent. Ainsi, le petit État du Vermont a réagi à la suite des dégâts causés par des inondations dans les années 1990. Il a créé des espaces de liberté (river corridor) où des règlements stricts s'appliquent. » Dans un espace sensible aux crues (appelé zone d'érosion fluviale), des activités sont ainsi prohibées (ex. : résidentiel, agriculture, coupes de bois) et d'autres sont permises (sentiers récréatifs, acériculture, etc).

Construire sans sous-sol, une alternative

Une autre partie de la solution consiste à construire des maisons sans sous-sol. Lors des inondations du Richelieu, un reportage télé à ce sujet avait suscité un grand intérêt. On y voyait une maison sans sous-sol, intacte, située pourtant au beau milieu de la crue. Ce reportage a-t-il eu un impact depuis? L'architecte André Bourassa, président sortant de l'Ordre des architectes du Québec et champion de ce type de construction, soutient que les maisons sans sous-sol intéressent un nombre croissant de gens. Et pour cause. « Les risques de dommage par l'eau y sont diminués de 25 %, dit-il. La maison doit toutefois être construite en surélévation pour faciliter l'égouttement de l'eau. » M. Bourassa soutient que cette solution devrait être davantage promue par les assureurs. « Certains assureurs donnent une prime pour les maisons munies d'un toit vert, pourtant vulnérables aux infiltrations d'eau, et ne prévoient rien pour les maisons sans sous-sol. »

Agir sans tarder

Malgré ces options bien connues, rien ne bouge. Dans La Presse du 10 mai 2017, la Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu, touchée par l'inondation de 2011, mentionnait l'importance d'accumuler des sacs de sable en prévision d'autres inondations. Une solution à court terme qui ne règle rien… pour le long terme.

Jean-François Girard, biologiste et avocat spécialisé en droit de l'environnement, est choqué par l'inertie du gouvernement à ce sujet. « Cela fait plus de quinze ans qu'on le dit, il faut arrêter de remblayer dans les milieux humides et de construire dans les zones inondables, insiste celui qui fut président du Centre québécois du droit de l'environnement de 2003 à 2013. Dans la plaine inondable de 20 à 100 ans, on peut faire tout ce qu'on veut à condition qu'on remblaie. L'eau ne disparaît pas à la suite de cette opération. Elle s'en va ailleurs. La mise en place de murets de béton a le même effet. »

Pour en savoir davantage, lire cette excellente chronique de Valérie Borde du magazine L'actualité, sur les dommages causés par l'imperméabilisation des sols et par la disparition des marais, ainsi que les commentaires de ses lecteurs.