À Hydro-Québec, une correction de la grille tarifaire s'impose. Il y a en effet un déséquilibre créé par les différents paliers tarifaires, en particulier dans le cas des tarifs domestiques. Nous ne nous attarderons pas trop sur le cas des contrats particuliers consentis à certains secteurs au début des années 1980, aux alumineries en particulier. Nous avions alors d'importants surplus d'électricité avec l'arrivée en masse des grands projets hydroélectriques. L'eau s'accumulait derrière les barrages. Il a même fallu en laisser passer par un déversement de trop-plein à un certain moment. De très généreux contrats ont alors été consentis aux alumineries et à Norsk Hydro. Des tarifs inférieurà 0,02 $ le kilowattheure (kWh) et ajustés au prix de l'aluminium ont eu pour résultat des manques à gagner par rapport au tarif L, celui des grandes industries. La facture a été salée : ce manque à gagner s'établissait dans les centaines de millions de dollars par année, en particulier dans les années 1990. Chaque emploi créé à l'aide de ces subventions indirectes correspondait à plus de 200 000 $ de subvention. Ça fait cher la job ! Passons.
Nous avons de nouveau des surplus projetés pour plusieurs années. Même si c'est tentant de songer à mettre en disponibilité des blocs d'énergie pour de gros consommateurs, il faudrait à tout le moins que le gouvernement, comme actionnaire, et Hydro, comme gestionnaire, prennent le temps de comparer diverses avenues vers lesquelles on pourrait diriger ce capital liquide. Mais le fait demeure : ces surplus représentent une opportunité à saisir.
Dans le domaine des tarifs domestiques, la grille tarifaire n'est plus adaptée à la réalité de la consommation du ménage moyen. La hausse de la demande, et les équipements supplémentaires que cela nécessite chez Hydro, se fait au détriment d'importants revenus potentiels pour le distributeur et, par conséquent, pour le gouvernement, qui, ne l'oublions pas, récupère les trois quarts des profits de NOTRE entreprise.
Il est plus que temps qu'un nouveau palier tarifaire soit instauré. Des maisons de 200, voire 300 m² et plus sont devenues monnaie courante. La dimension de la maison unifamiliale moyenne a pratiquement doublé depuis une vingtaine d'années, mais les normes d'efficacité n'ont pas suivi. Or ces grandes demeures ne sont pas liées à un boom de familles nombreuses. Une telle dimension pour une maison destinée à abriter trois ou quatre personnes a davantage à voir avec l'enflure matérielle qu'avec l'habitat utile et fonctionnel. Une maison d'une telle dimension, qui se vend souvent bien au-delà du demi-million de dollars, implique un train de vie assez élevé, du moins une capacité de s'endetter, et, par conséquent, d'en assumer les coûts réels. De plus, au final, la facture d'électricité dans ce secteur ne représente que 1 % ou 2 % des frais fixes des occupants, et ce, malgré la ribambelle d'équipements électriques qui poussent la demande annuelle de ces petits châteaux bien au-delà de 25 000 kWh. Par ailleurs, dans le cas d'une famille à revenus modestes, il n'est pas rare que la seule facture d'électricité dépasse 5 % du revenu familial. Ainsi, une hausse généralisée de toute la grille tarifaire toucherait davantage les ménages à faibles revenus que les ménages aisés.
Une nouvelle grille devrait tenir compte de ce phénomène, et la prochaine hausse tarifaire ne devrait pas s'appliquer, au-delà de l'indice des prix à la consommation, aux premiers 900 kWh par mois, qui représentent le premier palier. Le second niveau actuel pourrait être haussé annuellement selon la décision de la Régie de l'énergie, comme c'est le cas actuellement. Une limite de consommation pourrait être utilisée pour le nouveau palier à plus haute consommation. En prenant comme repère une maison tout électrique efficace et d'une grandeur moyenne tournant autour de 160 m2, soit environ 26 000 kWh par an si on se fie aux données d'Hydro-Québec, on mettrait en place un nouveau seuil tarifaire pour les grands consommateurs domestiques qui serait plus équitable pour tous.
Ce prochain étage tarifaire doit viser les grands consommateurs domestiques, ceux qui dépassent 30 000 kWh par an, et ils sont assez nombreux. Pour ces nouvelles maisons de 200 à 400 m² dont la consommation en électricité oscille de 30 000 à 50 000 kWh par an, il faut un signal de prix cohérent avec leurs choix de consommateurs et leur signature énergétique.
En plus, pour l'essentiel, il s'agit ici de maisons situées hors des centres ayant notamment déjà nécessité une expansion des infrastructures de transport. L'attrait de la banlieue est souvent la conséquence d'une combinaison de taxes plus basses et du coût élevé des appartements dans les quartiers centraux. Ce choix de quitter la ville et ses services pour les couronnes a été le sujet de nombreux débats : qui doit payer quoi et dans quelle proportion pour les services communs ? Le fait demeure que ce niveau de consommation ne reçoit pas de signal de prix et il faut corriger cet avantage tarifaire.
Extrait de Le Prochain virage - Propulser le Québec vers un avenir équitable et durable, par Steven Guilbeault et François Tanguay, Druide éditeur, 2014.