Chase, qui est asthmatique, respire beaucoup mieux dans leur nouvelle maison que lorsqu'ils vivaient dans un HLM. © cestmaville.com
Chase, qui est asthmatique, respire beaucoup mieux dans leur nouvelle maison que lorsqu'ils vivaient dans un HLM. © cestmaville.com

Stacey Cater est une mère monoparentale d’un fils de neuf ans, Chase. Ils ont longtemps demeuré à Châteauguay, dans un HLM situé à une heure de son boulot et si petit qu’ils mangeaient sur la table à café du salon. Il y a quelques années, Chase lui a parlé d’un projet d’habitation à Ormstown, dont le maître d’œuvre était l’organisme caritatif Habitat pour l’humanité. Ce projet devait permettre à deux familles à faible revenu de se loger convenablement dans une maison jumelée. Elle décide de présenter sa candidature et est finalement sélectionnée. « J’ai pleuré pendant deux jours », a-t-elle confié au journal citoyen en ligne C’est ma ville - Haut-Saint-Laurent. « Je ne pouvais pas le croire! »

Depuis l’été 2017, elle possède une confortable maison neuve de 1 600 pieds carrés, avec deux salles de bain et quatre chambres, dont une située au rez-de-chaussée adaptée pour accueillir une personne en fauteuil roulant. Leur qualité de vie s’est beaucoup améliorée. D’abord, Chase, qui est asthmatique, y respire beaucoup mieux que dans le HLM. « J’ai enfin pu offrir une maison convenable à mon garçon, dit-elle, très fière. À part un rhume tenace ces derniers jours, il n’a pas eu à se servir de sa pompe bronchodilatatrice. » Et depuis qu’un couple avec quatre enfants a aménagé dans la maison voisine, l’automne dernier, il a un nouvel ami de son âge, Christian. Pour sa part, Stacey s’est même trouvé un emploi d’infirmière auxiliaire dans la municipalité, à quelques pas de leur maison. Elle peut donc s’y rendre à pied.

Des profs allumés

Ce modeste projet de construction de deux habitations jumelées est original à plusieurs points de vue. Il a permis à 80 étudiants en charpenterie-menuiserie de construire une vraie maison qui fut certifiée LEED Platine, la plus haute distinction dans l’échelle de cette certification internationale des constructions durables. Ce fut l’initiative de leurs enseignants du Centre de formation professionnelle Châteauguay Valley, à Ormstown (Montérégie). Tout a commencé en 2010, alors que ceux-ci ont eu l’idée de recevoir une formation leur permettant d’enseigner les fondements de la construction écologique. Ils ont donc contacté Emmanuel Cosgrove, directeur de l’organisme Écohabitation, responsable de la certification LEED pour les habitations au Québec. « Nous avons fait du brainstorming pendant deux ans pour trouver des partenaires. L’un de nos profs, John Hodges, était déjà bénévole auprès d’Habitat pour l’humanité », explique la coordonnatrice du programme de charpenterie-menuiserie, Alice Loney.

Finalement, en 2012, Habitat pour l’humanité Québec signe une entente avec la municipalité d’Ormstown et la commission scolaire New Frontiers où Mme Cater avait d’ailleurs étudié les soins infirmiers pour se sortir de la pauvreté.

Un programme unique en son genre

Comptant sur plus de 50 000 bénévoles chaque année, les 69 affiliés d’Habitat pour l’humanité Canada ont fourni des logements simples et abordables à près de 1 800 Canadiens depuis 1985. Fondé aux États-Unis en 1976 et parrainé par l’ancien président Jimmy Carter, Habitat for Humanity International a pour mission de bâtir des demeures abordables et de promouvoir l’achat d’un logement comme moyen d’éliminer la pauvreté. Pour y arriver, l’organisme aide les familles à revenu modeste à construire et à financer leur maison, sans mise de fonds initiale et à un taux d’intérêt nul.

Pour être admissibles, les candidats doivent travailler depuis trois ans, être à bas revenu (entre 37 000 $ et 55 000 $) et ne pouvoir se qualifier pour une hypothèque bancaire. « Ils ne doivent pas être trop endettés, et ils doivent vivre dans un logement soit insalubre, surpeuplé ou dépenser une part importante de leur revenu pour se loger, et s’engager à faire 500 heures de bénévolat dans le cadre du projet », dit Madeleine Martins, directrice générale d’Habitat pour l’humanité Québec, fondé en 1998. En retour, l’organisme limite le paiement de leur hypothèque à 30 % de leur revenu brut, montant révisé chaque année. Les paiements hypothécaires versés par les familles sont réinvestis dans la construction d’autres logements entreprise par Habitat pour l’humanité. « Quand je vivais de l’aide sociale, je payais 247 $ par mois pour mon 4 1/2 chauffé, mais après être retournée à l’école, mon loyer se situait autour de 1 000 $, car un HLM coûte 25 % du revenu, explique Stacey. Mon loyer les a aidés à changer les fenêtres! Aujourd’hui, je paie plus cher par mois, mais au moins je suis propriétaire d’une maison d’une valeur de 200 000 $, et sans devoir payer d’intérêts, l’hypothèque sera remboursée plus rapidement! »

Pour remplir ses obligations de bénévolat, elle a travaillé dans l’un des deux magasins Restore que possède Habitat pour l’humanité Montréal. On y vend des produits et des matériaux de construction neufs et usagés donnés par divers partenaires. Les revenus de ces ventes servent à financer les maisons construites par l’organisme. Stacey a aussi peinturé dans sa future maison, posé de la céramique et fait du paysagement. Au moment de l’entrevue, fin 2017, il ne lui restait que 24 heures de bénévolat à faire. « Je suis bonne à l’hôpital, mais moins bonne avec les outils », a-t-elle dit en riant à Sarah Rennie, correspondante bénévole de C’est ma ville-Haut-Saint-Laurent. Celle-ci précise qu’« Habitat pour l’humanité a été très accommodant en trouvant des moyens pour qu’elle puisse effectuer ses heures ».

 La municipalité d’Ormstown a facilité la réalisation du projet en vendant le terrain à un prix dérisoire.
La municipalité d’Ormstown a facilité la réalisation du projet en vendant le terrain à un prix dérisoire.

La municipalité d’Ormstown a facilité la réalisation du projet en vendant à prix dérisoire un terrain d’une valeur de 30 000 $ desservi par l’aqueduc et l’égout municipaux, dans un secteur situé à environ un kilomètre du centre-ville. De plus, la ville a exempté les propriétaires des frais et taxes relatifs à l’obtention des permis de construction.

Alice Loney, coordonnatrice du programme de charpenterie au Centre de formation professionnelle Châteauguay Valley, est très fière de parler de ce projet, car il a été très formateur pour les enseignants et les 80 étudiants qui y ont participé. « Le département de charpenterie au complet a été impliqué dans le projet, dit-elle. La possibilité de mener à terme un projet de construction a suscité beaucoup d’intérêt chez les étudiants et nous avons eu 100 % de rétention au programme grâce à cela. Nos professeurs se sont montrés aussi très enthousiastes. Pour eux, c’était une belle occasion de faire partager leur savoir-faire dans un projet concret. »

Les professeurs étaient aussi intéressés à améliorer leurs connaissances en construction écologique, prérequis indispensable pour obtenir une certification LEED. Le centre a donc contacté Emmanuel Cosgrove, directeur de l’organisme Écohabitation qui gère la certification LEED au Québec. Il est venu leur donner une formation à Ormstown. « Trois d’entre eux ont obtenu l’accréditation professionnelle LEED AP Homes décernée par le Conseil du bâtiment durable du Canada, section Québec », souligne Alice Loney.

L’un d’eux, John Hodges, enseignant dans le programme de charpenterie-menuiserie du Centre de formation professionnelle Châteauguay Valley, a coordonné le travail sur le chantier. Et il en est très fier. « Ce projet constitue une première expérience du genre. Au départ, on se trouvait devant l’inconnu en ce qui concerne la construction d’une maison écologique certifiée LEED. Nous sommes allés au-delà de notre savoir pour intégrer ce nouveau concept aux besoins de nos élèves. »

Du travail en atelier

En cours de route, le projet a dû s’ajuster aux exigences de la Commission de la construction du Québec (CCQ) qui ne permet pas à des élèves en formation de faire du travail de charpenterie sur un chantier. « La solution était donc de faire le travail en atelier, à l’intérieur, ce que la CCQ permet, relate Mme Loney. Cependant, notre atelier ne disposait pas d’un espace suffisamment grand. La commission scolaire a donc procédé à un agrandissement afin que les travaux puissent se faire à l’intérieur. » La charpenterie a été montée de façon modulaire, comme le font certains fabricants de maisons usinées.

De multiples collaborations

Un projet de construction semblable exige la collaboration de plusieurs acteurs, individus et entreprises – les étudiants en charpenterie ne pouvant réaliser certains aspects de la construction, vu qu’ils ne possèdent pas les compétences requises. C’est ainsi que Michel Beaulieu, ingénieur en bâtiment, a réalisé les plans du bâtiment, alors que Pierre Meilleur, arpenteur-géomètre, a effectué toutes les mesures du terrain. Tout cela gratuitement.

« Nous avons aussi contacté deux commissions scolaires pour leur demander de nous envoyer des élèves de leurs centres de formation professionnelle en plomberie, électricité et en ébénisterie, pour venir travailler en atelier », ajoute Alice Loney. Les élèves de la Commission scolaire English-Montreal ont ainsi réalisé les armoires de cuisine alors que ceux de la Commission scolaire Lester B. Pearson ont travaillé sur la plomberie et l’électricité.

Des entreprises ont aussi été mises à contribution. « L’entreprise Roxul a fourni l’isolant de laine de roche, Bain magique a participé à la finition des salles de bain, et des entrepreneurs locaux comme JL Priest ont aidé à la construction », nous apprend la coordonnatrice.

Alice Loney tient aussi à souligner l’implication de la communauté. En effet, des membres de la Légion royale canadienne d’Ormstown ont contribué aux travaux de plomberie et de paysagement.

Pendant que les étudiants montaient les modules en atelier, la dalle de béton spéciale (système Legalett) du futur bâtiment était coulée sous la supervision de Mike Reynolds, d’Ecohome (pendant anglophone d’Écohabitation), et des professeurs de charpenterie qui avaient préparé le terrain et les coffrages. En plus de construire 90 % des maisons, les étudiants ont réalisé le terrassement. « Ils ont tous travaillé très fort », note Mme Loney.

Livraison des modules et la suite

Le 10 février 2017 fut un grand jour pour les artisans qui voyaient leur maison se matérialiser sur le terrain. Les modules ont alors été déposés en présence du maire d’Ormstown, Chrystian Soucy, et de nombreux étudiants, enseignants et membres du personnel de l’École de formation professionnelle de Châteauguay.

Une fois les modules installés, le travail était toutefois loin d’être terminé. Il fallait faire toute la finition intérieure et le terrassement. Le travail de finition a été pris en charge par Habitat pour l’humanité. Les deux familles sélectionnées pour habiter la maison y ont aussi contribué. Des élèves en aménagement paysager et des étudiants en horticulture du Centre d’éducation aux adultes et communautaire d’Huntingdon ont réalisé le terrassement. « La pose de pelouse résistante à la sècheresse et de plantes indigènes, orientées face au soleil, nous a permis d’obtenir encore plus de points LEED », relate Alice Loney.

La reconnaissance par un prix

Le travail d’éducation qu’a permis la réalisation de ce projet a été récompensé en 2017 par un prestigieux prix. Il s’agit du prix Réalisation, catégorie Éducation, décerné par l’Institut d’administration publique du Québec. La réalisation de ce projet dans la petite ville d’Ormstown illustre à quel point le partenariat et l’implication d’une communauté peuvent s’avérer efficaces. En prime, il a permis à de nombreux étudiants et à quelques enseignants de se familiariser avec les méthodes de construction écologique.

Pour leur part, les nouveaux propriétaires sont aux oiseaux et très conscients de leur bonne fortune. « J’ai eu la chance que l’école ait décidé de construire une maison de quatre chambres et de m’être qualifiée pour l’acheter. Chase a une chambre complète pour ses jouets et celle au rez-de-chaussée me sert de débarras en attendant que je me procure un cabanon. J’ai eu plusieurs problèmes dans ma vie, alors le fait d’avoir autant d’espace disponible est un heureux problème! » Ce n’est pas Chase qui s’en plaint. Dans une vidéo où il nous fait faire le tour du proprio, Chase explique, tout sourire : « J’ai beaucoup de jouets! »

Pour en savoir davantage

habitatmontreal.qc.ca

https://nfsb.me/fr/apprendre-un-metier/charpenterie-menuiserie/

Vidéos : http://nfsb.me/fr/gallerie-video-notre-maison/ (en anglais, ne manquez pas l’épisode 22, mettant en vedette Chase Cater).