La traversée du pont Victoria s'est faite en douceur. Je prends Wellington à droite, St-Patrick à gauche. Je m'arrête au square du même nom : j'ai décidé d'explorer le coin. Dans une heure, je vais rencontrer Guy St-Jacques, vice-président (construction) de Sotramont, l'un des promoteurs immobiliers les plus innovateurs au Québec. En attendant, j'absorbe l'environnement ! Promeneurs et coureurs longent sereinement le canal Lachine…
Du stationnement du square St-Patrick, je peux voir les nombreuses grues perçant le ciel de Griffintown. Parmi les nouveaux édifices s'élevant de l'autre côté du canal, je peux parfaitement distinguer celui qui m'intéresse, au cœur du Quartier de l'innovation, ayant au préalable regardé la vidéo de la progression de sa construction. Je parle ici du projet Arbora, de Sotramont, remarquable à tous points de vue : comprenant 434 habitations réparties dans trois immeubles de huit étages, ce serait, en superficie, le plus gros chantier au monde en panneaux de bois massif lamellé-croisé ou CLT pour Cross-Laminated Timber. Avec cet investissement évalué à 130 millions de dollars, Sotramont et son partenaire LSR GesDev ne visent rien de moins que la certification LEED platine, la plus haute distinction du système Leadership in Energy and Environmental Design, reconnaissantt la durabilité des bâtiments.
Griffintown est un point chaud de la construction multirésidentielle dans le grand Montréal : entre la rue Richmond à l'ouest, la rue Peel à l'est, la rue Notre-Dame au nord et le canal Lachine au sud, au moins quatre très gros chantiers sont en cours. Parsemée d'usines aux façades en brique, cette ancienne zone industrielle est en pleine renaissance. Chinatown, le Vieux-Montréal, les bassins et le fleuve sont tous à quelques minutes de marche. Artistes, entreprises de haute technologie, cafés, restaurants et galeries d'arts y abondent. C'est en partie ce qui a motivé Sotramont d'y ériger son ensemble Arbora.
Jeu de LEGO en bois massif
Réputé pour le contrôle de la qualité rigoureux de ses chantiers, Guy St-Jacques me consacre quelques heures dans son horaire très chargé pour une visite du premier immeuble en construction. Sur le chantier, l'activité règne, les matériaux sont transportés sur les plates-formes surélevées à un rythme régulier et rapide. Au pied du bâtiment, dans la cacophonie des moteurs, M. St-Jacques pointe la haute structure s'élevant devant nous. Une colonne en bois d'ingénierie de 18 po (45 cm) de large file jusqu'au huitième et dernier étage. C'est elle qui m'amène ici. Arbora, c'est la construction avec une structure en bois à son meilleur. Nous sommes cependant à mille lieues de la traditionnelle maison en bois massif. « La technologie CLT, ça ressemble un peu à un jeu de LEGO », m'explique Guy St-Jacques, me guidant vers le cinquième étage. Poutres, colonnes, pans de murs : tous les éléments de la structure sont préfabriqués en usine. Sur le chantier, ces pièces sont réunies à l'aide de grandes plaques en acier boulonnées. La construction est rapide mais précise au millimètre près.
Au cinquième, l'atmosphère est absolument unique. La lumière qui entre à flots par les grandes fenêtres est en partie absorbée par les interminables planchers et murs en bois. Une ambiance feutrée règne ici. L'odeur de l'épinette est présente, sans être dominante. La sérénité des lieux est contagieuse. « Les ouvriers aiment travailler ici », confirme M. St-Jacques. Les travailleurs ont le sourire. Voilà un élément nouveau, rarement pris en compte par les promoteurs. La belle luminosité y est certainement pour quelque chose ! « L'orientation des rues de Montréal est la plupart du temps très favorable au solaire passif », m'explique Guy St-Jacques, alors que nous admirons les carrés de soleil chaud se dessinant sur le plancher latté. Sur le mur sud-ouest, les très grandes fenêtres donnent sur un parc boisé et quelques vieux bâtiments. Ces derniers seront rasés pour faire place à plus de verdure encore. Au nord-est, les portes-fenêtres laissent voir l'emplacement du second bâtiment du projet Arbora, délimité par les fondations récemment coulées. De l'autre côté de la rue, un hangar en piètre état : celui-là aussi disparaîtra bientôt en faveur d'un nouvel immeuble multilogement. D'ici quelques années, l'environnement sera complètement métamorphosé.
Et les résidents du secteur, qu'en pensent-ils ? Guy St-Jacques m'apprend que les citoyens ont été longuement consultés via le comité consultatif en urbanisme de l'arrondissement du Sud-Ouest montréalais. Les besoins et devoirs des deux parties ont été soigneusement étudiés, notamment parce que ce projet de requalification d'un ancien site industriel historique nécessite la démolition de bâtiments. « Le promoteur s'est engagé à aménager un parc avec un accès public sur la propriété et à fournir une servitude de passage entre les rues de la Montagne et Éléanor, 15 % de logements sociaux, 15 % de logements abordables, des logements pour familles et la cession à la ville d'une bande de terrain d'un mètre de largeur en bordure de la rue William », explique le conseil d'arrondissement dans sa décision favorable datée du 7 juillet 2015. Avec sa boulangerie, son coiffeur et sa fruiterie, Arbora contribuera de façon substantielle à l'offre de services déjà présente dans le secteur. « L'auto est pratiquement inutile ici », affirme M. St-Jacques. En effet, les épiceries, les cafés et les bars, le supermarché, tout est à proximité. Ou presque tout : il n'y a pas d'école dans les proches alentours. « C'est notre seul point faible », concède le promoteur.
Seulement des bâtiments agréées LEED
Pour Sotramont, le projet Arbora, proposé en 2014 pour une livraison au début de 2018, s'inscrit dans la continuité d'une entreprise maintes fois honorée. Peu de constructeurs québécois sont en affaires depuis si longtemps (1968) et jouissent d'une réputation si enviable. Elle fut nommée Entrepreneur de l'année trois fois depuis 2001 par l'Association des professionnels de la construction et de l'habitation du Québec - Montréal Métropolitain. Ses condos en CLT Tod ont remporté le prix Choix du jury dans le cadre du concours Habitat Design 2016, décerné lors de l'événement montréalais Week-ends visites libres organisé par l'entreprise Jacques Beaulieu consultant.
Fondée par Robert Roy, Sotramont est aujourd'hui dirigée par son fils Marc-André Roy et est bien connue en tant que l'un des principaux promoteurs du quartier Bois-Franc (arrondissement St-Laurent). Depuis 49 ans, elle a construit plus de 5 000 unités d'habitation, la vaste majorité en bois, mais Arbora se veut la consécration de ses efforts.
En 2012, Sotramont effectue un virage vers la construction durable à haute performance, notamment en visant une certification LEED pour chacune de ses constructions. La première phase du complexe immobilier de la Place des Nations à (Bois-Franc), certifiée LEED Or, devient le bâtiment multilogement le plus étanche en Amérique du nord (moins d'un changement d'air à l'heure à 50 pascals dans tous les logements), selon l'organisme Évaluations Écohabitation. « Depuis 25 ans que je le connais, Guy St-Jacques a toujours été un gourou des détails de l'enveloppe du bâtiment, il est énormément proactif pour s'assurer qu'il n'y aura pas d'infiltration d'air ni d'eau, explique Karl Mongrain, président d'Isolation Mongrain et sous-traitant au complexe de la Place des Nations. Il prend ça très au sérieux et ça donne une excellente performance énergétique et un grand confort pour les usagers. »
Les nouvelles façons écologiques de « faire du bâtiment » deviennent incontournables, et il n'est plus question de fermer les yeux sur l'indécrottable gaspillage (de matière, d'eau, d'énergie...) et la production irréfléchie de déchets qui sévit encore sur bon nombre de chantiers. Les processus de construction employés par Sotramont misent sur la prévention plutôt que sur la correction. Pour Guy St-Jacques, la planification serrée des travaux est primordiale parce qu'elle permet d'éviter les modifications de dernière minute, souvent très coûteuses en matériaux.
Les institutions financières, même si elles y ont mis le temps, ont fini par réagir. Là où le financement d'un bâtiment écologique était difficile, voire impossible à obtenir il y a vingt ans, le contraire s'applique aujourd'hui. Les prêteurs sont maintenant conscients qu'un bâtiment LEED a toutes les chances de ne jamais faire l'objet de poursuite parce qu'il est de meilleure qualité. La construction durable devient un investissement plus sûr. La clientèle non plus n'est pas en reste : elle exige, à juste titre, des habitations solides, performantes et saines. Les promoteurs, pour demeurer concurrentiels et perdurer, doivent s'ajuster. « Mieux vaut investir en amont et éviter les problèmes, plutôt que de rouvrir les murs après cinq ans », souligne M. St-Jacques.
Ses opinions pèsent lourd dans les décisions prises par Sotramont. En tant que vice-président du secteur construction, sa vision a engagé l'entreprise sur la voie du développement durable, et il n'y aura pas de retour en arrière. L'homme est sobre, posé, attentif. Sa personnalité est reflétée dans l'orientation choisie par Sotramont. L'aspect intérieur et extérieur des bâtiments d'Arbora renvoient également cette image de sobriété. « Il n'y a rien ici d'ostentatoire », insiste M. St-Jacques.
Le cycle de vie
Au cœur de sa philosophie de durabilité, l'analyse du cycle de vie occupe une place importante : la durée de vie utile d'un matériau et la façon d'en disposer en fin de parcours détermineront s'il est choisi ou non. C'est ainsi que la décision de construire en CLT s'est imposée : le processus de fabrication des panneaux et les bâtiments érigés avec cette technologie génèrent une empreinte écologique beaucoup plus faible que l'ingénierie de béton ou d'acier. Le bois, puits de carbone, emmagasine et séquestre le CO2 capté par l'arbre pendant sa croissance et ce gaz à effet de serre demeurera prisonnier de la structure jusqu'à sa décomposition finale.
Le tri des rebuts est une étape importante lors du démantèlement d'un bâtiment. Sur le site d'Arbora, d'anciens entrepôts ont dû être rasés. Les matériaux récupérables ont été récupérés. « Nous espérions trouver une perle », confie Guy St-Jacques. Malheureusement, aucun élément n'a pu être conservé : pas de machinerie en bon état ni d'outils à exposer. Pourtant, l'homme insiste sur un point : « nous avons un devoir de mémoire », m'explique-t-il. Le quartier ouvrier comptait jadis plusieurs maisons, des usines, des hangars. Des vies se commençaient et se terminaient ici. Des travailleurs œuvraient, des entreprises s'installaient, d'autres disparaissaient. L'hétérogénéité dominait, les architectures différaient, les hauteurs aussi. Dans l'allure et la sobriété des bâtiments Arbora, cette diversité est bien représentée, estime Guy St-Jacques. Autour de nous, quelques anciens immeubles placardés restent debout. Certains sont plus que centenaires. Lorsque je questionne M. St-Jacques sur la durée de vie prévue des bâtiments d'Arbora — 150, 200 ans? —, il me regarde avec un sourire. Je comprends, à son silence serein, qu'il vise plus haut, toujours plus haut…
Somme toute, ce qui distingue Sotramont, c'est le bon sens jumelé aux principes du développement durable. Arbora en est le meilleur exemple. Et les entreprises de cette trempe sont en passe de devenir plus nombreuses que celles que l'on pourrait qualifier de « standard ». Et ce n'est que pour le mieux !
Le panneau lamellé-croisé (CLT) expliqué
Le fondement de la technologie CLT (Cross Laminated Timber) au Québec, c'est l'épinette noire. Sa lente croissance est en grande partie attribuable aux conditions climatiques très rudes du nord du Québec. La petite circonférence de l'arbre ainsi que son grain dense et léger sont idéaux pour fabriquer les centaines de milliers de petites planches qui servent à former les panneaux CLT.
L'emploi de l'épinette noire pour la fabrication de bois de construction classique génère énormément de perte : seules quelques pièces peuvent émerger d'un arbre, le reste étant rejeté. En technologie CLT, de multiples longueurs sont employées, maximisant le rendement de la bille. Au moins trois couches de lattes de bois massif parfaitement plané sont superposées, disposées en plis croisés et collés. Cette construction en quinconce confère une solidité et une stabilité à toute épreuve aux colonnes, poutres et pans de murs. Les panneaux CLT sont cinq fois plus légers que le béton et 15 fois plus légers que l'acier. Ils ont une résistance aux pertes de chaleur sept fois supérieure au béton et 500 fois supérieure à l'acier ! Sotramont s'est associée à Chantiers Chibougamau pour la récolte de la ressource forestière. Les arbres sont prélevés dans la région de Chibougamau en suivant les normes strictes du Forest Stewardship Council (FSC) en matière de gestion forestière durable. Les panneaux CLT employés par Sotramont sont fabriqués par Nordic Structures, filiale des Chantiers Chibougamau.
Caractéristiques du projet Arbora
• Arbora comprendra trois bâtiments de huit étages totalisant 597 560 pieds carrés. Le complexe regroupera des copropriétés, des logements locatifs et des maisonnettes urbaines, pour un total de 434 unités d'habitation, et 35 000 pieds carrés d'espaces commerciaux aménagés en rez-de-chaussée.
• Le faible taux d'humidité du bois (entre 10 % et 12 %) favorise une charpente travaillant peu et saine puisqu'elle est à l'épreuve des moisissures.
• Les bâtiments auront des enveloppes hyperperformantes au travers desquelles les infiltrations et exfiltrations seront virtuellement éliminées. Des tests d'infiltrométrie confirment que le premier bâtiment subit moins d'un changement d'air à l'heure lors d'une dépressurisation de 50 pascals.
L'isolation et l'étanchéité sont réalisées par l'extérieur au polyuréthane, ce qui empêche la perforation des couches de protection lors de l'installation d'éléments décoratifs ou autre à l'intérieur des unités d'habitation. Il s'agit de 3,6 po (90 mm) de mousse de polyuréthane giclée Airmetic Soya, produit pétrolier contenant toutefois 7,5 % de bouteilles en plastique recyclé et 12 % d'huile de soja pour un facteur isolant effectif total de R-25 au lieu de R-15 effectif selon la norme ASHRAE 90.1 version 2007 exigée par la certification LEED Midrise. « C'est 66 % plus élevé que la norme mais les contraintes de chantier peuvent faire varier ce résultat de 1 à 3 points », précise M. St-Jacques. La toiture est de type inversé, avec membrane élastomère et isolant rigide pour une résistance thermique effective de R-28,5 soit 42 % plus élevée que la référence R-20 d'ASHRAE (American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers).
• Des ventilateurs récupérateurs de chaleur sont présents dans chaque unité d'habitation.
• L'orientation des bâtiments jumelée à une fenestration abondante permet de bénéficier du chauffage solaire passif. La consommation d'énergie est réduite d'au moins 30 % par rapport à celle nécessaire aux immeubles similaires construits de façon classique.
• Les robinets, éviers, douches et toilettes ont été soigneusement sélectionnés, afin que l'utilisation de l'eau soit réduite au strict minimum.
• L'éclairage naturel est maximisé et complété par des diodes électroluminescentes (DEL).
• Du côté de l'acoustique, les tests réalisés au Conseil national de recherche du Canada (CNRC) à Ottawa ont démontré qu'à ce chapitre, la technologie CLT était aussi performante que le béton.
• Les déchets de cuisine peuvent être déposés dans des pièces réfrigérées, pour être ensuite acheminés vers des composteurs. Des bacs de recyclage seront présents en grande quantité sur le site.
• Au sous-sol, des espaces de rangements sont alloués pour chaque unité d'habitation. Un atelier pour la réparation des vélos, un gymnase et un coin hygiène pour le lavage des chiens contribuent à la réduction des déplacements par les résidents, et par le fait même, se soldent par une économie d'énergie.
• Des bornes pour voitures électriques sont présentes sur le site. Une volonté de partage en ce sens mènera éventuellement à un projet de véhicules disponibles en libre-service.
• Les matériaux ayant servis à la construction de la structure et de l'enveloppe du bâtiment proviennent en totalité du Québec. À l'intérieur, cette proportion s'élève à 70 %. Le tiers restant provient en majorité des États-Unis.
• Les déchets de construction sont récupérés à 95 %. À l'écocentre, chaque conteneur fait l'objet d'un tri rigoureux, et un rapport exigé par le comité d'évaluation de la certification LEED est déposé pour fins d'analyse.
• La décontamination du site jusqu'au roc a été nécessaire, un processus long (6 mois) et coûteux, mais incontournable.
• Pour couronner le tout, plus de 40 % du site sera verdi. En plus des toitures végétalisées, un parc semi-privé de 7 000 mètres carrés sera aménagé sur le site, selon les principes naturels régissant la vie en forêt boréale. Il comportera des essences d'arbres et des plantes indigènes. Accessible aux résidents de tout le secteur, il deviendra une oasis de verdure et de fraîcheur pour la faune et la flore urbaine.
• Arbora est maintenant terminé à environ 50 %. Les prix varient entre 250 000 $ et 500 000 $. La fin des travaux est prévue pour janvier 2018. Arbora vise la certification LEED Platine.
Fournisseurs
Lemay (architecture phase 1), Provencher Roy (architecture phase 2 et 3) Bouthillette Parizeau (génie électromécanique), Nordic Structures Bois (ingénierie et fourniture de la structure en bois), Les Consultants LGL (ingénierie – structure en béton), Equiluqs Ingénierie (génie civil), Humà Design (design d'intérieur), PTVD (consultation – enveloppe du bâtiment), Écohabitation (consultation LEED) et MJM (consultation en acoustique).
Sources : lsrgesdev.ca - sotramont.com - voirvert.ca