Revêtement 100 % maçonnerie ou pierre, 30 points. Bois récupéré, toit en plastique ou caoutchouc recyclés ou en bardeau de bois, armoires en bois certifié FSC (Forest Stewardship Council) car récolté durablement, 20 points. Comptoirs de béton ou de verre recyclé, plancher de bois et portes en bois massif certifiés FSC, 15 points. À Victoriaville, plus on construit avec des écomatériaux, plus la subvention du programme Habitation durable est élevée. Cette initiative, déjà exportée dans quelques municipalités, fut élaborée avec André Bourassa, le président sortant de l'Ordre des architectes du Québec qui pratique l'écoarchitecture dans cette région depuis plus de 30 ans.
M. Bourassa est également l'un des organisateurs du Rendez-vous des éco-matériaux (sic), dont la deuxième édition s'est tenue à Asbestos les 24 et 25 octobre dernier en présence de nombreux intervenants québécois et français. Pour lui, les écomatériaux sont porteurs de développement régional ainsi que d'échanges entre décideurs et entrepreneurs. « Au lieu de se coller juste à une grille de pointage [de certification] ou à une définition rigide, on doit s'ancrer sur les régions et voir comment on peut soutenir leur développement, notamment par des validations de matériaux en laboratoire. La Ville d'Asbestos et la MRC des Sources ont d'ailleurs mis à notre disposition un site remarquable offrant une belle visibilité à notre banc d'essai d'écomatériaux. Nous voulons y tester les performances de différentes familles de matériaux. Il y a un réel intérêt pour les manufacturiers qui veulent faire la promotion de leurs matériaux ou trouver des moyens de les améliorer. »
L'expérience française
André Bourassa dit qu'il faut s'inspirer de nos cousins français tout en s'adaptant à nos contextes locaux. En France, le terme écomatériaux est avant tout synonyme de matériaux biosourcés (d'origine végétale). On s'y est même doté de règles professionnelles de construction en paille, matériau dont les performances sont reconnues dans la règlementation thermique (RT 2012) et qui fut notamment utilisé pour isoler un immeuble à logements de huit étages. Ce qui n'est pas évident chez nous, où à peine 2 % du territoire est consacré à des activités agricoles contre 52 % en France (AGRESTE, 2015). « Comme nous manquons de ressources fourragères, on ne peut pas détourner la paille à grande échelle pour isoler les bâtiments. Mais une agronome du ministère de l'Agriculture en Estrie, Huguette Martel, a insisté sur l'utilisation de plantes pérennes, comme le panic érigé. » Le Québec se démarque actuellement grâce à MEM Végétal, de Rimouski, qui fabrique depuis 2013 le premier isolant nord-américain en chanvre, cultivé au Québec! Un artisan du chanvre recommandé par André Bourassa, Gabriel Gauthier, d'Artcan, participe même à la restauration de l'ancienne église Trinity, à Saint-Jean-sur-Richelieu.
Les médecins et groupes de consommateurs français sont également très impliqués dans la protection de la qualité de l'air intérieur. Depuis septembre 2013, le ministère de l'Environnement français exige que tous les produits de construction et de décoration destinés à un usage intérieur comportent une étiquette relative aux niveaux d'émissions de polluants volatils. Cet étiquetage fut imposé après qu'on eut découvert que l'air intérieur des maisons et établissements de petite enfance était plus pollué que l'air extérieur d'une grande ville polluée. Depuis, les produits qui affichent la note A+ (très faibles émissions), comme la nouvelle peinture Algo aux algues bretonnes, sont évidemment les plus recherchés par les consommateurs. Pour le formaldéhyde, cette note A + est douze fois plus sévère que la norme E 1 (120 μg/m3) du marquage européen des produits de bois et six fois plus exigeante que le label écologique allemand Ange Bleu, nous a expliqué en entrevue Blaise Dupré, directeur général du centre de recherche privé CoDEM - Le BATLAB.
Si les écomatériaux sont si en demande en France, où André Bourassa s'est souvent rendu ces dernières années, c'est que le bâtiment comme le territoire s'y trouvent ancrés dans de longues traditions et démarches humaines. Celles-ci sont entretenues par des groupes comme le mouvement d'autoconstruction Castor et l'association ouvrière Les Compagnons du Devoir et du Tour de France qui enseigne les métiers traditionnels axés sur la durabilité à long terme — charpentiers, maçons, couvreurs, métalliers... Les Nord-Américains ont une tout autre relation au bâtiment et à la matière, rappelle M. Bourassa. « Ici, on consomme plus de matériaux et de bébelles fabriqués en Chine qu'en Europe, sans se soucier de leur durabilité ni de ce qu'on fera avec les restants. Le modèle de la pétrochimie ne s'avère pas un modèle d'avenir. Or, on ne peut pas parler d'électrification des transports et continuer d'utiliser autant de matières plastiques. Malheureusement, la volonté politique n'est pas au rendez-vous parce qu'il y a un manque de sensibilisation au bâtiment de la part des élus de l'Assemblée nationale. De même, il faut cesser de gaspiller nos terres agricoles en construisant des maisons unifamiliales au lieu d'immeubles multilogements. Et implanter une gare dans nos meilleures terres, ça n'a pas de bon sens. »
Les écomatériaux selon André Bourassa
Lors d'une conférence grand public très courue le soir du 24 octobre, M. Bourassa nous a fait partager sa vision des écomatériaux. « L'architecture ne doit pas seulement être harmonieuse, fonctionnelle et durable, mais aussi écoresponsable », dit-il.
Pour André Bourassa, un écomatériau est avant tout sain et non polluant à court comme à long terme. Sa fabrication ne comporte pas de risques d'accidents environnementaux comme les déversements de pétrole ou les explosions d'usines pétrochimiques. « Fabriquer du béton de chanvre, je ne sais pas si ça risque de provoquer une explosion, mais ça m'étonnerait », dit-il sur un ton moqueur. L'écomatériau idéal serait également de provenance locale, de source renouvelable, sa fabrication génèrerait peu de déchets, il contiendrait peu d'énergie intrinsèque ou « grise » (l'énergie requise du berceau au tombeau, bref tout au long de son cycle de vie), et il serait recyclable ou réutilisable.
Par ailleurs, M. Bourassa dit qu'il faut se méfier des faux amis :
• les revêtements de bois ou autres dits sans entretien mais qui ne le sont pas;
• les pneus recyclés, bons pour les bardeaux de toiture mais pas pour les tapis de sous-sol, car ils polluent l'air intérieur;
• les toits verts non durables (les membranes en PVC sont les seules autorisées en Suisse);
• le piège du survitrage, qui gaspille l'énergie et qui crée de l'inconfort et une dépendance aux systèmes mécaniques qui peuvent faillir. Même à haute efficacité énergétique, il peut être dix fois moins isolant qu'un mur. S'il faut démocratiser l'accès aux paysages et à la lumière naturelle, cela ne donne rien de très bien isoler un mur s'il est trop vitré. « Il n'y a rien de moins écolo qu'une boite en verre. Si on est toujours face à des surfaces froides, ça coute beaucoup plus cher de chauffer. Aviser de mettre un petit gilet quand il fait trop froid, ce n'est pas une réponse qu'un architecte peut donner à ses clients. »
• le piège des matériaux recyclables ou recyclés qui présentent des risques importants : par exemple, si on installe un pare-vapeur de polyéthylène d'un côté d'un mur et un matériau peu diffusant de l'autre, comme un panneau de copeaux orientés (ou OSB pour Oriented Strand Board) ou un isolant plastique, en cas d'infiltration d'eau, le mur risque de ne pas sécher assez vite pour prévenir la croissance de moisissures. « Bonjour la catastrophe, c'est sûr que ça va arriver tôt ou tard. »
Les matériaux qui « respirent »
André Bourassa préfère donc les matériaux diffusants comme le carton-fibre. C'est d'ailleurs lui qui a recommandé à Matériaux spécialisés Louiseville de fabriquer le panneau Sonoclimat ECO4 en fibres de bois 100 % recyclées, dont 40 % postconsommation. En plus de diffuser la vapeur d'eau, ce carton-fibre plus épais (1,5 po) est de provenance locale, peu énergivore à fabriquer, facile à installer et composé de fibre de bois naturelle, non toxique et recyclable. Il permet de contreventer un mur et de briser les ponts thermiques (sa valeur isolante de R-4 satisfait aux exigences du Code de construction du Québec à ce chapitre). M. Bourassa préfère également les pare-vapeurs diffusants assez de vapeur pour permettre à un mur de sécher vers l'intérieur ou vers l'extérieur, tel le papier kraft et les pare-vapeurs dits intelligents, tel le Membrain de Certain Teed, dont la perméance augmente par temps humide. L'architecte estime d'ailleurs qu'il n'est pas nécessaire d'installer un échangeur d'air dans une maison où les matériaux « perspirants » permettent de gérer l'humidité et par le fait même les odeurs.
Selon lui, nos maisons ont également des lacunes en matière d'hygroscopicité et d'inertie thermique. L'hygroscopicité, que possèdent des matériaux naturels comme le bois et l'argile, est la capacité d'absorber les surplus d'humidité dans l'air et de la restituer par temps sec. Ces matériaux, tout comme le béton de chanvre-chaux (sans ciment), permettent non seulement de stocker le surplus de vapeur mais également le surplus de chaleur, ce qui ajoute au confort des occupants. Le béton de chanvre, projeté dans des 2x3, ajoute de la masse, de la valeur isolante et de la stabilité thermique. L'isolation ne suffit pas, il faut aussi de l'inertie thermique qui est liée à deux facteurs : la diffusivité, soit la capacité de laisser diffuser la chaleur, et l'effusivité, soit la capacité de puiser la chaleur dans son environnement et de la restituer dans l'air intérieur quand la température de ce dernier est inférieure à la sienne. Le béton a une plus grande diffusivité que le bois, car il est plus conducteur, de même qu'une plus grande effusivité. »
Par contre, il rappelle que les masses thermiques comme le verre et le béton et autres matériaux très conducteurs comme le métal augmentent la sensation d'inconfort. « Le bois nous prend très peu d'énergie quand on y touche. Je connais un architecte qui a fait sa maison toute en aluminium. Il est obligé d'y maintenir une température plus élevée pour y être confortable. C'est comme le syndrome de l'avion : il y fait facilement trop chaud ou trop froid et la gestion des odeurs est extrêmement complexe. »
Enfin, M. Bourassa affirme que l'on peut parfois tricher, car la sensation de confort est aussi psychologique. Par exemple, les gens se sentent mieux si une pièce sans vue extérieure est dotée d'une grande photographie (ou un papier peint) illustrant une forêt. « Des carrelages imitation bois donnent même une sensation de chaleur! »
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