Hydro-Québec s’apprête à démocratiser les systèmes géothermiques pouvant réduire les coûts de chauffage jusqu’aux deux tiers tout en climatisant et offrant même de préchauffer l’eau domestique en option. La société d’État encouragera l’installation de ces systèmes écologiques, fiables mais dispendieux, avec une subvention si généreuse que de plus en plus d'installateurs de thermopompes aérothermiques devraient se convertir à la géothermie pour répondre à la forte demande attendue, d'autant plus que le remplacement et l'installation des systèmes au mazout seront interdits en fin d'année. « Ç'a pas d'allure, c'est un programme de fou, ça va créer une pénurie. C'est impossible qu'on fournisse », nous a confié un installateur expérimenté. »

Certains experts trouvent toutefois que le programme LogisVert d’Hydro-Québec est trop généreux et devrait financer des mesures de réduction de la pointe de la demande d'électricité hivernale moins chères que la géothermie par kW de puissance éliminé (par exemple avec des vitrages performants) ou déplacé (vers le chauffage aux granules, par exemple). 

« Le programme sera lancé officiellement au cours de l’été, la date sera annoncée ultérieurement. Seuls les projets terminés après le 1er janvier 2023 seront admissibles à une demande d’aide financière dans le cadre du programme LogisVert », nous a expliqué par courriel Cendrix Bouchard, porte-parole d’Hydro-Québec. 

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L’année dernière, Hydro-Québec déclarait qu’elle devrait augmenter de 50 % sa capacité de production d'électricité d'ici 2050 pour répondre à la croissance de la demande, notamment pour atteindre les objectifs québécois de carboneutralité en éliminant le recours aux énergies fossiles comme le mazout et le gaz. Sinon elle risque de devoir importer de plus en plus d'électricité de source thermique polluante et dispendieuse si l'on considère que ce n'est que pour répondre à la demande de pointe, son principal défi actuel qui dure moins de 100 heures par hiver. C'est pour cela qu'elle vient de tripler ses objectifs d'efficacité énergétique et à construire de nouveaux grands barrages hydroélectriques et songe à ajouter des milliers de nouvelles éoliennes au millier déjà installé au Québec. En plus d’analyser le potentiel des centrales électriques solaires, son nouveau président Michael Sabia s’ouvre même à la possibilité d’avoir recours aux controversées minicentrales nucléaires qui n’auraient rien de petit, vert, propre, ni abordable, selon le mathématicien Gordon Edwards, président fondateur de la Coalition canadienne pour la responsabilité nucléaire.

C’est dans ce contexte critique que LogisVert offre des aides financières pour une panoplie de mesures écoénergétiques, de l’isolation au chauffe-eau solaire (détails dans notre article du 9 mai). Pour la géothermie, la société d’État offre 750 $ par 1 000 unités thermiques britanniques par heure (Btu/h) de puissance (d’où le 9 000 $ par tonne équivalant à 12 000 Btu/h ou 3,5 kW), pour un système installé dans une maison neuve ou existante. En somme, la subvention pour un système de 4 tonnes (48 000 Btu/h) sera de 36 000 $ alors qu'en 2012, la société d'État subventionnait la géothermie à hauteur de 6 375 $ dans une maison existante et de 4 000 $ dans une construction neuve ou jusqu’à 8 000 $ par habitation dans le cadre d’un projet domiciliaire.

« Nous estimons que notre aide financière peut représenter entre 50 % et 60 % du montant total d’un projet », précise Cendrix Bouchard. Mais en fait, la proportion pourrait être encore plus importante, si on se fie à un tableau fourni par le frigoriste Mathieu Thibault, propriétaire de l’entreprise 22Degrés qui installe notamment des systèmes géothermiques. Ce tableau compare les coûts typiques et les subventions concernant les thermopompes aérothermiques (air-air) et géothermiques. Il indique qu’un système de 48 000 Btu/h, équivalant à 14 kilowatts (kW) ou quatre tonnes de puissance, sera subventionné à hauteur de 36 000 $, ce qui représente 71 % de son prix de 41 500 $, incluant les taxes mais excluant les conduits d’air ou la tubulure dans un plancher radiant à eau chaude.

La subvention d’Hydro-Québec sera la même pour tous, peu importe que les systèmes plus puissants coûtent moins cher la tonne. Selon le tableau de 22Degrés, passer d’un système de quatre tonnes à cinq tonnes (typique des plus grosses maisons) ne coûte que 5 200 $. Avec l’aide additionnelle de 9 000 $ par tonne, l’acheteur et l’entrepreneur feront un joli profit.

Ce qui fait dire à l’ancien directeur général de la Coalition canadienne de l’énergie géothermique (CCÉG), l'économiste Denis Tanguay, que les entrepreneurs risquent de profiter de la générosité d’Hydro-Québec pour gonfler les prix et installer des systèmes plus puissants que ce qui est nécessaire. « Le document Entreprise d’installation du programme affirme que : ‘’L’aide financière ne peut dépasser 100 % du coût de vente et d’installation des équipements.’’ Franchement, je ne pensais jamais voir une telle chose par écrit un jour. C’est comme dire qu’un installateur peut faire du porte-à-porte et offrir un système géothermique 100 % gratuit au client. C’est ridicule et risible. Pour un client d'Hydro-Québec qui finira par payer ces excès un jour ou l'autre dans les tarifs, c'est quasiment scandaleux. »

En 2012, pour avoir droit à une aide financière, le système géothermique devait être certifié et l’entrepreneur devait être accrédité par la CCÉG. Après avoir certifié 18 000 installations subventionnées au pays alors qu’il dirigeait la CCÉG, de 2005 à 2016, Denis Tanguay fut un témoin privilégié des lois du marché. « Les subventions ont zéro impact environnemental. Ça fait juste devancer la tendance naturelle des installations déjà prévues et hausser les prix. Les entrepreneurs évaluent la capacité de payer du client et gonflent la facture en conséquence. »

Un avis contesté par le frigoriste François Levreault, ancien entrepreneur en géothermie et enseignant en réfrigération qui a repris du service chez 22Degrés : « Sans les subventions la géothermie est strictement réservée aux très bien nantis. Après le retrait quasi total des subventions en 2013, l'industrie de la géothermie s'est effondrée jusqu'à presque disparaître… Pratiquement toutes les demandes que j'ai traitées sont reliées à des projets de prestige. Sans les subventions la démocratisation de la géothermie ne se fera pas. »

Le directeur canadien des ventes du fabricant américain de systèmes géothermiques Waterfurnace, Marc Bélanger, ne craint pas une hausse de prix. « Il y a 20 ans, Denis Tanguay aurait eu raison, mais aujourd'hui je ne suis pas inquiet. Avec toute l'information qui se diffuse un peu partout [et les soumissions disponibles rapidement en ligne], ceux qui vont gonfler les prix passeront en dernier et ne décrocheront pas les contrats. »

Débat sur la pointe

Selon divers experts, la subvention généreuse d'Hydro-Québec incitera les entrepreneurs à surdimensionner les systèmes géothermiques pour qu'ils chauffent en période de pointe hivernale (moins de 100 heures par année), alors qu’un élément électrique devrait plutôt prendre le relais. « Le système doit être conçu pour répondre à 70 % des besoins de chauffage quand il fait -25 degrés Celsius dehors », explique l’ingénieur émérite Martin Roy. « Si l’objectif d’Hydro-Québec était de réduire la pointe, la géothermie n’est pas le bon outil, estime Denis Tanguay. HILO et la tarification dynamique permettent à Hydro-Québec de faire de l’effacement de la demande en période de pointe hivernale. Or, la géothermie fait exactement le contraire. Comme le système doit être conçu pour répondre à 70 % de la demande par grand froid, c’est l’élément électrique qui se met alors en marche. Le problème est que cet élément est typiquement de 10, 15 ou 20 kW, il ne vient pas en unités de 1 kW qui s'additionnent. Quand l'élément fonctionne, c'est tout ou rien. Ça ne veut pas dire qu'il va fonctionner 24 heures sur 24 à plein régime, mais l'appel de puissance n'est pas graduel. »

Coordonnateur de l’efficacité énergétique pour l’organisme Écohabitation, l’ingénieur Denis Boyer ajoute qu’il y a aussi un risque que l’élément s’allume hors pointe. « Il existe un danger que le système tente de fournir toute la puissance requise avec un élément chauffant. Notamment, lorsque le système tente de répondre à une demande rapide, comme lorsque la température de consigne est abaissée durant la nuit et qu'on arrive à la relance [le thermostat commandant alors une hausse rapide de la température]. Il faudrait éviter ce genre de situation et n'abaisser que légèrement la température la nuit ou la remonter que très graduellement. On pourrait donc argumenter contre l'abaissement de température dans le cas de la géothermie. »

Hydro-Québec voit les choses autrement et défend ainsi son offre généreuse. « Le but premier est un effort substantiel de rendre la géothermie accessible aux clients qui ne sont pas nécessairement des riches, explique Cendrix Bouchard. En d’autres termes, si l’appui permet d’absorber une part très importante des coûts totaux, il est attendu de la part d’Hydro-Québec que la mesure pourrait pénétrer plus agressivement chez des clients qui auraient opté pour la thermopompe climat froid qui ne fournit pas de gain en puissance lors des périodes de pointe hivernale. La géothermie est une mesure dont les gains en kWh et la réduction en kW sont très importants par rapport aux thermopompes climat froid, raison pour laquelle la subvention est substantielle. De plus, la géothermie réduit considérablement la pointe hivernale, puisqu’elle tire sa chaleur du sol et reste fonctionnelle, peu importe la température extérieure. La performance globale de la géothermie est une unité consommée pour quatre unités de chaleur produites, et ce, même à -30 °C. En installant un système géothermique l’appoint nécessaire en période de pointe est beaucoup plus faible en puissance (kW) qu’un système central avec une thermopompe climat froid. »

D’ailleurs Mathieu Thibault, de 22Degrés, qui installe la moitié de ses systèmes dans des maisons de moins de 3 000 pieds carrés habitables, dit déjà les dimensionner pour fournir jusqu'à 100 % des besoins de chauffage, même sans subvention. « Si le système est bien dimensionné et que la maison est bien isolée, la majorité de mes clients font ce que je fais chez moi depuis 15 ans : ils ferment le breaker de l’élément chauffant qui n’est pas nécessaire en période de pointe, à cause de la chaleur générée par les occupants, les appareils et le soleil. »

M. Thibault ajoute que LogisVert offre une bonne occasion de décarboner le Québec en remplaçant les fournaises au mazout et au gaz par la géothermie. Son collègue Denis Boucher, qui dirige l’entreprise Géo Consulterre et fait aussi affaire avec le foreur Yvan René de Géothermix, affirme également que ses installations fournissent 100 % des besoins de chauffage dans le sud du Québec, où les hivers sont de plus en plus chauds. « On ferme l’élément alors qu’avec une thermopompe air-air il embarque à -10 oC. Même avec un modèle air-air pour climat froid, à -20 oC c’est mieux de l’éteindre pour ne pas le scrapper [raccourcir sa durée de vie utile]. Avec les subventions pour la géothermie on peu maintenant facilement justifier 100 % de la charge de pointe. Ça veux dire qu’une maison coupe par quatre sa consommation électrique dans les périodes de pointe et ce sans changer d’aucune façon les habitudes des occupants. Il n’y a aucun autre type de système de chauffage utilisant l’électricité qui peu arriver à faire cela. Il me semble que c’est clair que c’est ça qu’Hydro cherche à réduire. »

Quant à lui, Marc Bélanger de Climatemaster dit que les compresseurs à vitesse variable, qui modulent la puissance de chauffage, tout comme la disponibilité des modèles ajoutant une demi-tonne de puissance, changent la donne. « Ça n'existaient pas il y a 15 ans, mais éventuellement tous les systèmes seront à vitesse variable, ça va éliminer les problèmes de surdimensionnement. Ça consomme moins d'énergie parce que ça va toujours répondre à la demande exacte. » Ceci contrairement aux fournaises et thermopompes à une ou deux vitesses et surdimensionnées, qui passent leur temps à s'allumer et à s'éteindre, créant des coups de chaleur ou de froid. « On vend du confort avant tout », dit M. Bélanger, ajoutant que ces systèmes très silencieux répondent aux exigences du nombre croissant de gens très sensibles au bruit. 

Différences de coûts d'appareils Waterfurance 

ModèlePuissancevsModèlePuissanceSurcoût
0222 tonnes (T) 0302,5 T850 $
0363 T 0423,5 T750 $

 

Forage requis pour appareil avec compresseur à vitesse variable

(7 Series – https://www.waterfurnace.com/residential/products/geothermal-heat-pumps/700a11)

Marc Bélanger explique : « Si 2 tonnes sont requises avec une sélection traditionnelle pour couvrir 70 % de la charge de chauffage ajustée, pour couvrir 100 % de la charge de chauffage, y aller avec une 3 tonnes à vitesse variable et ajuster le forage pour la charge du bâtiment au lieu de la chaleur d’extraction de l’appareil qui serait minime au dessus du 2 tonnes. »

D’autres subventions réclamées

Pour leur part, Denis Tanguay, Martin Roy et Denis Boyer affirment qu’il reviendrait moins cher pour Hydro-Québec d’interdire de surdimensionner les systèmes géothermiques et de subventionner des mesures de réduction de la pointe moins dispendieuses. Ils mentionnent notamment la pose de fenêtres au triple vitrage à faible émissivité, les travaux d’étanchéité à l’air et même les systèmes photovoltaïques (PV) avec stockage de l’électricité solaire dans des batteries au lithium. « À Montréal, en février, avec les panneaux PV bifaciaux [dont les deux côtés convertissent la lumière en électricité] et la réflexion de la lumière sur la neige, la production solaire est plus importante qu’en été alors qu’il y a plus de nuages, dit Martin Roy. Si le gouvernement subventionnait massivement le PV et les batteries, en plus de l’aérothermie, on règlerait le problème de la pointe et on aurait l’équivalent d’un demi-Hydro en cinq ans. »

Quant à lui, Denis Boyer d’Écohabitation suggère de sortir des énergies fossiles en chauffant avec une thermopompe air-air haute efficacité en temps normal et avec un ou deux poêles aux granules par grands froids. « Le chauffage aux granules, ce n'est pas très cher et c'est très, très, très efficace, dit-il. Et avec une enveloppe vraiment performante (dalle R-20, murs R-40, toit R-60 et fenêtres à triple vitrage de dimensions raisonnables), il n’y en a pas de problème de pointe parce que la maison perd très peu de chaleur. »

Denis Boyer offre un autre conseil aux dirigeants d’Hydro-Québec. « Je pense qu'ils veulent bien faire mais il faudrait modifier un peu l'offre pour éviter les problèmes éthiques qui créent des distorsions dans le marché. Si vous voulez gaspiller votre énergie en ayant une maison complètement vitrée, vous ne devriez pas avoir droit à la subvention pour la géothermie. Sinon, il devrait y avoir un montant maximum admissible selon le nombre d’occupants. »

Mike Holmes d’ecohome.net, partenaire anglo-canadien d’Écohabitation, est du même avis : « En particulier dans le cas de la construction de maisons neuves de taille modérée, un investissement financier aussi important en faveur de l'efficacité énergétique pourrait être bien plus rentable s'il était plutôt consacré à la rétention de la chaleur : meilleures fenêtres, isolation supplémentaire de la maison dans le cas d'une nouvelle construction, isolation des murs existants de l'extérieur lors d'une rénovation, ou meilleurs rubans et membranes pour l'étanchéité à l'air, etc. »

Cendrix Bouchard d’Hydro-Québec répond : « Le triple vitrage est une très bonne mesure de climatisation, par contre, puisqu’elle réduit les gains solaires dans l’habitation, ce n’est pas une bonne mesure pour la période hivernale. Le meilleur moyen pour évaluer une fenêtre est le rendement énergétique (RE) qui est bien expliqué sur le site de Ressources naturelles Canada (RNCan). Il est important de prendre en considération le coefficient de gain de chaleur solaire (CGCS) d’une fenêtre, car celui-ci permet d’avoir de l’énergie gratuite en hiver et donc de diminuer celle nécessaire pour chauffer la maison. » 

Il ajoute que le programme Rénoclimat du gouvernement du Québec subventionne déjà le remplacement des fenêtres et que les travaux de calfeutrage sont subventionnés dans LogisVert lorsque l’on isole simultanément une toiture.

Soulignons toutefois que les études de RNCan ont précisé qu’il est préférable d’installer du verre triple pour se diriger vers des maisons à consommation nette zéro d’énergie. C’est de l’argent mieux investi que de grossir la superficie du vitrage sur le mur sud au-delà de 6 % de la superficie de ce même mur, selon l’étude réalisée en 2010 par Proskiw et Parekh. En effet, comme le vitrage représente les plus grandes pertes de chaleur de la plupart des maisons, il est toujours préférable de réduire sa superficie et d’augmenter sa valeur isolante (U), quitte à opter pour un vitrage avec de meilleurs gains solaires (et une cote RE plus élevée) sur le mur sud.

Et que pense Hydro du chauffage aux granules (à base de bran de scie récupéré des scieries québécoises) pour réduire la demande de pointe? « Le chauffage à granule reste un chauffage au combustible, même si c’est considéré comme de la biomasse, et produit des gaz à effet de serre lors de la combustion, répond le porte-parole Cendrix Bouchard. Le but de LogisVert est de promouvoir des mesures de réduction de la consommation électrique et non des mesures de substitution d’énergie. » 

Jean-Pierre Finet, analyste pour le Regroupement des organismes environnementaux en énergie, préconise des mesures autres que la géothermie pour réduire la demande de pointe : « J’opterais pour l’accumulateur de chaleur avec la thermopompe air-air [combinaison subventionnée par LogisVert], plutôt que le design à 100 % des systèmes géothermiques. Ce serait un investissement plus judicieux qui combinerait économie d’énergie et gestion de la demande en puissance. 

Le chauffage à la biomasse favorise la résilience énergétique des résidents en cas de panne, ce qu’un autre combustible promu par Hydro-Québec, le gaz naturel renouvelable (GNR), ne fait pas lorsqu’utilisé en mode biénergie ou 100 % GNR durant les pannes. Une autre avenue intéressante, à mon avis, serait de subventionner le stockage électrique, qui, lorsque couplé au photovoltaïque, pourrait assurer la résilience des résidents en cas de panne, mais aussi contribuer à gérer la demande de pointe. »

Le GNR est le méthane issu de la décomposition des matières organiques et qui est capté aux sites d’enfouissement. Des groupes écologistes québécois viennent de déposer une plainte à l’Office de protection du consommateur contre Énergir qu’ils accusent de « représentations fausses ou trompeuses ». Selon un communiqué de Greenpeace, Énergir « donne l’impression à sa clientèle actuelle qu’en payant plus cher, elle peut être alimentée à 10 %, 30 % ou 100 % en GNR. Cette offre laisse croire qu’Énergir peut alimenter de façon personnalisée une résidence, alors que son réseau est incapable d’acheminer séparément les deux types de gaz (le gaz fossile et le gaz renouvelable).

Calcul réaliste des économies

L’économiste Denis Tanguay ne croit pas aux promesses de jusqu’à 72 % d’économie de chauffage et de rentabilité rapide avec un système géothermique. « Selon Hydro-Québec, la consommation électrique d’une résidence moyenne au Québec pour le chauffage ET la climatisation est de 54 %. Si on enlève la climatisation de l’équation, la consommation moyenne pour le chauffage sera vraisemblablement sous la barre des 50 %. Mettons 48 % pour faire bonne figure. Par exemple, sur une consommation d’électricité annuelle totale de 40 000 kWh, si on applique une économie de 72 % sur la portion chauffage de 48 % (19 200 kWh), on obtient des économies de 13 824 kWh (environ 1 400 $ par année). Mais ce 72 % semble sortir directement d’une vue de l’esprit qu’un système géothermique aura un coefficient de performance de 4, soit une unité d’énergie consommée (électricité) pour quatre unités d’énergie utile “produites” (chaleur), pour un gain net de 3 ou 75 % du 4. Personnellement, je me garderais une petite (grosse) gêne sur ce chiffre. Ces affirmations sur la performance de la géothermie ne cessent de m’inquiéter. Il y a des tonnes d’hypothèses et/ou de réalités techniques dont on fait abstraction, ou qu’on ignore, volontairement ou pas, quand on considère de tels exemples. C’est la base du marketing : ne rien dire de faux mais surtout, surtout, ne pas dire toute la vérité. Ce n’est pas pour rien qu’on parle de “système géothermique”. Un système est une affaire complexe qui requiert beaucoup de calculs et de précision pour chacune des composantes (ou variables) qui entrent dans l’équation. Bref on ne fait pas de calculs sur le dos d’une enveloppe sur le coin d’une table. »

Enfin, Denis Tanguay s’inquiète de l’apparente absence de contrôle de qualité du programme LogisVert alors qu’il s’attend à ce que le petit nombre d’installateurs expérimentés en géothermie sera rapidement débordé par la hausse de la demande. « C’était l’un des principaux arguments pour l’établissement du programme qualité que j’avais mis en place avec la CCÉG. Dans le cas des maisons neuves, si ça dérape, qui va être responsable? Le constructeur? Le frigoriste? Le foreur? Ou simplement le programme de garantie des maisons neuves! Dans le cas des maisons existantes, ça va être le free for all. » 

Mathieu Thifault, de 22Degrés, croit au contraire que le programme a été bien conçu. « Comme le chèque d’Hydro va être envoyé à l’entrepreneur, il devra chercher des investisseurs pour avancer la subvention. Ce sera rassurant pour le consommateur qui verra sa facture réduite et ça devrait éviter les entrepreneurs qui veulent s’improviser. »

En conclusion, l’ingénieur Marc-Antoine Meilleur, d’ALTE Coop, résume bien la pensée des experts indépendants à qui nous avons parlé : « Je suis pour le fait de démocratiser l'accès à la géothermie par la subvention. C’est cher, mais clairement une solution attrayante pour notre climat et qui a sa place dans les solutions d'efficacité et de résilience énergétiques. Cependant, il faut faire attention à la façon dont on utilise les chiffres pour convaincre les gens d'adopter une technologie. Présenter des chiffres sans nuances ne devrait pas être un scénario optimiste, mais réaliste. On peut avoir des retours sur investissement intéressants dans certains cas spécifiques, mais je préfère promettre une performance et une rentabilité moindres et en livrer davantage, plutôt que l’inverse. »

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