Le débat fait rage depuis décembre alors que Radio-Canada dévoilait une étude choc de Santé Canada passée jusqu'ici sous le radar des médias : faudra-t-il bannir tout chauffage au bois ou du moins interdire l'utilisation des vieux appareils les plus polluants, comme Montréal l'a fait sauf en cas de panne prolongée d'électricité? Selon cette étude publiée en février 2023 et téléchargeable ici, en 2015 les particules fines (PM2,5) émises par le chauffage au bois auraient contribué à causer environ 1 400 décès au Québec. Ce serait davantage que tous les décès causés par l’ensemble des autres polluants issus d’activités humaines, et quasiment deux fois plus que les émissions du transport routier (toutefois la principale source de PM2,5 à Montréal). Le radon, gaz radioactif présent dans le sol et qui s'infiltre dans les maisons, est reconnu causer directement environ 1 400 décès au Québec, selon les estimations de Santé Canada, soit trois fois plus que les accidents de la route.
Le Dr Stéphane Perron, professeur de médecine aux Universités McGill et de Montréal et spécialiste en santé publique et en médecine préventive, nuançait les hypothèses de l'étude de Santé Canada aujourd'hui dans La Presse : « Si j’avais à parier, je dirais que ce modèle surestime sans doute un peu les décès liés au chauffage au bois, et qu’il sous-estime très certainement les décès liés au transport routier. »
Qu'importe, en ville comme en campagne, la pollution du chauffage au bois peut faire des ravages si la combustion est incomplète et qu'il ne vente pas assez pour disperser les PM2,5 ainsi que les gaz nocifs émis, tel le monoxyde de carbone asphyxiant.
Autre source d’inquiétude, le programme américain de certification des appareils de chauffage au bois « met en danger la santé publique et l’environnement » car il sous-estime les émissions réelles des appareils, selon un rapport du Bureau de l’Inspecteur général de l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA), également publié en février 2023. Les normes du programme de l’EPA sont déficientes, manquent de clarté et offrent trop de flexibilité, juge l’Inspecteur général. « En conséquence, les tests de certification peuvent ne pas être exacts, ne pas refléter les conditions réelles et peuvent aboutir à la certification de certains chauffages au bois qui émettent trop de particules polluantes... Bien que l'EPA ait retiré certaines méthodes d'essai de certification défectueuses, les appareils de chauffage au bois certifiés sur la base de ces méthodes d'essai retirées restent disponibles à la vente. » Conséquemment, dix États à la poursuivent l'EPA afin qu'elle resserre ses règles. Selon les procureurs généraux de ces États, leur échec signifie que remplacer les vieux appareils par des nouveaux modèles certifiés par l'EPA n'améiore pas nécessairement la qualité de l'air.
Les PM2,5 sont reconnues pour augmenter les hospitalisations et les décès pour causes cardiorespiratoires et il n’existe aucune dose d’exposition qui soit sécuritaire. De plus, le chauffage au bois émet des gaz cancérogènes comme le benzène et le formaldéhyde.
Dans un contexte où le chauffage au bois est de plus en plus populaire pour diverses raisons (travail à distance, pannes d’électricité plus fréquentes, hausses des prix de l’électricité, etc.), ses impacts sanitaires sont préoccupants. Selon Statistique Canada, en janvier 2023, « environ 1 ménage canadien sur 50 (2 %) a déclaré posséder un poêle, dont les trois quarts étaient des poêles à bois. Les ménages résidant à l’extérieur des grandes villes du Canada étaient quatre fois plus susceptibles de déclarer posséder un poêle que leurs homologues dans les villes (4 % par rapport à 1 %), et 88 % de ces ménages ont indiqué avoir un poêle à bois. » Toutefois, d’après un article du Journal de Montréal paru en octobre 2019, entre 9 % et 15 % des Québécois se chaufferaient principalement au bois, selon diverses sources non précisées.
Plusieurs intervenants, comme l’organisme Écohabitation, réclament un programme provincial de subventions pour remplacer les appareils non certifiés par des modèles certifiés par l'EPA ou l'association canadienne de normalisation (la CSA). La Ville de Québec offre d'ailleurs jusqu’à 1 000 $ d'aide pour ce faire. Depuis 2009, tous les appareils de combustion au bois vendus au Québec doivent afficher l'une de ces certifications et le 1er septembre 2026, la Vieille Capitale interdira l'utilisation de tout appareil non certifié. Son maire, Bruno Marchand, a récemment admis devoir « mieux communiquer » après avoir soulevé un tollé en interdisant tout chauffage au bois lors d'un récent épisode de smog, en vertu du nouveau règlement municipal sur les combustibles solides. « Quatorze foyers d’ambiance allumés durant cinq heures deux fois par semaine, cinq mois par année, polluent autant en particules fines que l’incinérateur pendant l’année. Il en a pas mal plus que ça (14) à Québec. C’est dur à gober. Mais c’est pour ça que Champigny est un des quartiers les plus pollués et ça a une incidence sur la santé des gens», a-t-il expliqué au Journal de Québec. L’installation de ces foyers au bois « décoratifs ou d’ambiance », qui ne servent pas à chauffer et ne sont soumis à aucune certification, y est interdite depuis le 1er janvier, et ces appareils existants ne pourront plus être utilisés à partir du 1er septembre 2030. Le 7 janvier, Le Devoir écrivait que selon la Ville de Québec, de 10 à 30 % de tous les appareils de chauffage au bois utilisés sur son territoire ne sont pas certifiés.
Le directeur d'Écohabitation, Emmanuel Cosgrove, veut en finir avec ces vieux appareils. « Plus de 1 000 décès annuels, c’est pas un petit dossier de santé publique. Pourquoi ne pas mettre un foyer électrique de Canadian Tire si c’est pour voir des couleurs danser au plafond dans un condo à Tremblant le vendredi soir? T’auras pas de coccinelles, d’araignées et de poussière partout dans ta maison. Il n’y a pas de bonne raison pour l’existence de la combustion de bois pour des fins décoratives. Au niveau de la règlementation, la santé publique devrait primer et ça devrait être interdit. Maintenant, pour les ruraux qui habitent une région à faible densité, les particules fines dans l’air ambiant devraient être cartographiées de façon saisonnière par le gouvernement du Québec, tant pour les feux de forêt que pour le chauffage au bois. Les municipalités dans les zones à risque, où les fameux 1 400 doivent mourir de façon prématurée, on peut y aller zone par zone et trouver où les polluants sont amenés par les vents dominants et appuyer les municipalités avec des fonds verts pour des programmes de remplacement dans des zones cibles où on a de réels problèmes. »
Le chauffage aux granules, selon Écohabitation, est une option plus verte que celui aux bûches puisqu’il utilise un combustible recyclé (sciure de bois) bien sec, alors que les appareils qui brûlent des bûches « nécessitent la coupe d'arbres sains [non pourris] et ils génèrent aussi plus de polluants à la combustion ».
Le cas de Montréal
Depuis le 1er octobre 2018, la Ville de Montréal interdit tout chauffage au bois en période de smog et autrement on ne peut allumer qu'un appareil certifié par l'EPA ou la CSA comme émettant moins de 2,5 grammes de PM2,5 par heure. Tous les appareils non certifiés sont donc bannis, sauf lors d’une panne d’électricité durant plus de trois heures.
Depuis 2009 qu’elle règlemente le chauffage au bois, Montréal constate que le nombre de jours de smog est passé de 27 en 2008 à 2 en 2018. En effet, en interdisant l'utilisation des appareils non certifiés à l’hiver 2018-2019, la pollution de l’air a chuté radicalement, de 35 %. (On peut suivre ici les prévisions de qualité de l’air émises par Environnement Canada.)
La Maison du 21e siècle a demandé à deux intervenants ce qu’il faut faire pour réduire les problèmes de santé liés au chauffage au bois. Nous débuterons avec Daniel Vézina, cofondateur de Familles pour l’air pur, un organisme qui milite contre la pollution atmosphérique causée par la fumée de bois. Ensuite, ce sera au tour de Jean-François Fauteux (sans lien de parenté avec l’auteur de ces lignes), distributeur d'appareils et membre du conseil d’administration de l’Association des professionnels du chauffage (APC).
Lire la deuxième partie de ce dossier ici.