Coûts totaux de l'énergie excluant les taxes et l'entretien. Source : Rapport d'analyse des dépenses d'exploitation (OPEX) - Analyse de la position concurrentielle de différents systèmes de chauffage au Québec. © Ecohabitation, octobre 2022.
 

Adhérer au nouveau programme de biénergie électricité-gaz, pour chauffer une maison unifamiliale, coûte plus cher que la chauffer uniquement à l’électricité avec des appareils de pointe, selon une étude de l’organisme Écohabitation commandée par des groupes sociaux et écologistes. Ceux-ci veulent qu’Hydro-Québec cesse de promouvoir l’option biénergie qui contribue aux changements climatiques et qui est financée par des hausses des tarifs d’électricité pendant la durée de vie utile d’un système au gaz, de 15 ans.

Cette option est mauvaise pour tous les Québécois, selon Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie (ROEÉ). « Elle est tellement mauvaise que le consommateur doit s’engager à consommer du gaz pendant dix ans car s’il l’annule, il doit rembourser sa subvention au pro rata, si bien que la plupart des clients de la biénergie vont acheter un nouveau système au gaz quand leur système actuel rendra l'âme dans trois ou cinq ans. C’est un cadeau empoisonné fait aux clients actuels et futurs d’Énergir ainsi qu'aux clients d’Hydro-Québec qui verront leur facture augmenter de 2,4 milliards $ d’ici 2050 pour que celle des clients d’Énergir n’augmente pas trop. » Ceci en vertu d’une entente conclue entre Hydro-Québec et Énergir pour compenser ses pertes de revenus de 70 %, puisqu'un système biénergie ne chauffe au gaz que par grands froids. Cette entente a été approuvée en mai par la Régie de l’énergie mais elle a été portée en appel.

L’étude a été commandée par le ROEÉ et autres groupes qui contestent cette entente qui permet de subventionner l’achat d’un système biénergie par les clients d’Énergir : Équiterre, Greenpeace, Nature Québec, le Regroupement vigilance hydrocarbures Québec et le Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP-Québec) qui représente près 18 000 travailleurs du secteur de l’énergie, notamment d’Hydro-Québec.

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Le gaz jusqu'à deux fois plus cher

L’analyse d’Écohabitation révèle que chauffer une nouvelle maison homologuée Novoclimat par le gouvernement du Québec coûte 17 % plus cher en mode  biénergie avec thermopompe pour climat froid que si celle-ci est plutôt jumelée à un accumulateur thermique. Et chauffer une maison existante uniquement au gaz coûte jusqu’à deux fois plus cher qu’avec ces deux options 100 % électriques. Comme ces solutions permettent de réduire la demande d’électricité en période de pointe hivernale ET les émissions de gaz à effet de serre des Québécois, elles menaceraient la survie même d’Énergir en ne justifiant plus le chauffage au gaz au Québec. 

Technologie de pointe éprouvée depuis des années dans le monde, l'accumulateur thermique stocke dans des briques réfractaires la chaleur d’un élément électrique qui est distribuée au besoin par une soufflerie. Il permet de déplacer la consommation d'électricité pour chauffer par grands froids hors des heures de pointe qui surviennent de 6h à 9h et de 16h à 20h, alors qu'Hydro-Québec perd de l'argent en répondant à la plus forte demande d'électricité de l'année. Un peu plus gros qu’une fournaise, il s’installe pour environ 16 000 $ et a une durée de vie utile de 30 ans avec un minimum d’entretien. Comme il procure jusqu’à 15 heures d’autonomie de chauffage, Hydro-Québec offre une subvention de 10 000 $ jusqu'au 30 juin 2023 aux gens qui l’achètent car il diminue la demande d’électricité en période de pointe hivernale. Pour satisfaire les besoins croissants des Québécois et de ses clients étrangers, la société d'État doit alors produire ou à acheter de l’électricité de source fossile (de centrales au gaz naturel, au mazout ou au diésel) contribuant aux changements climatiques et polluant l'environnement. Près d'une centaine d'accumulateurs thermiques ont été installés au Québec depuis trois ans.

L’étude compare les coûts de chauffage de trois types de cottages détachés de 1 700 pieds carrés : le premier fut bâti entre 1986 et 2012; le second est une nouvelle construction qui perd 13 % moins de chaleur en respectant les exigences minimales du Code de construction de 2012, toujours en vigueur; le troisième est une maison neuve Novoclimat aux besoins de chauffage de 35 % inférieurs au second. Elle compare ensuite leurs coûts de chauffage selon qu’elles utilisent un système au gaz à basse ou haute efficacité, avec ou sans biénergie, ou une fournaise électrique, avec ou sans thermopompe basse ou haute efficacité et un accumulateur thermique.

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Des aides financières plus profitables
L’étude d’Écohabitation tient compte à la fois du prix du gaz naturel en 2021 et en 2022, alors qu’il a doublé en raison de la guerre en Ukraine. Comme il risque d'augmenter en raison de la lutte aux changements climatiques et de la situation géopolitique, elle conclut qu'il vaut mieux profiter des subventions offertes à l’achat d’une thermopompe conçue pour climat froid (jusqu’à 5 000 $ d’aide) et d’un accumulateur thermique. Orientée face au soleil, une thermopompe certifiée ENERGY STAR peut réduire les coûts annuels de chauffage jusqu’à 30 % par rapport à des plinthes ou une fournaise électrique. L’accumulateur thermique permet d’économiser environ 200 $ d’électricité par année si l’on adhère à la tarification dynamique offerte par Hydro-Québec pour réduire la demande de pointe.

Par exemple, son option Flex D permet de réduire la facture d’électricité durant un maximum de 33 brefs événements de pointe survenant seulement par grands froids. Du 1er décembre au 31 mars, les consommateurs qui adhèrent à cette option paient l'électricité 4,49 ¢/kWh pour les 40 premiers kWh consommés quotidiennement, 7,650 ¢/kWh pour la consommation quotidienne excédentaire, mais 51,967 ¢/kWh durant les événements de pointe qui ne dépassent toutefois pas 100 heures par année. Hydro-Québec songe d'ailleurs à imposer un tarif de plus de 50¢/kWh à ses clients commerciaux en période de pointe, selon le Journal de Québec.

Comparativement, le tarif biénergie est en vigueur en moyenne 573 heures par hiver, à Montréal. Il varie de 4,542 ¢/kWh, lorsque la température est égale ou supérieure à –12 °C ou à –15 °C selon les régions, à 26,555 ¢/kWh pour tous les appareils utilisés par temps plus froid, alors que le chauffage au gaz ou à la biomasse prend le relais.

Comme tous les pays, le Québec fait face à un dilemme : il veut décarboner son économie en réduisant la consommation d’énergie fossile, mais préserver les emplois acquis et en créer de nouveaux qui sont plus durables dans des secteurs moins polluants. Alors que les pétrolières sont de propriété étrangère, Énergir est récemment devenue toute québécoise, étant détenue à 80,9 % par la Caisse de dépôt (qui gère nos fonds de pension, soit l’actif de la Régie des rentes) et à 19,1 % par le Fonds de solidarité de la FTQ. Ce fait explique sûrement pourquoi le gouvernement souhaite qu’Hydro-Québec aide Énergir à se décarboner sans faire faillite. En même temps, Québec a interdit le chauffage au gaz dans les maisons homologuées Novoclimat et au mazout dans les maisons neuves et le remplacement des systèmes au mazout en fin de vie.

Mais pour le consommateur et la société, cette entente n’a pas sa raison d’être, selon les groupes qui ont commandé l’étude d’Écohabitation. L’on peut réduire la demande de pointe ET décarboner notre économie avec des équipements de chauffage de pointe et les atouts d’une maison Novcolimat : fenestration, étanchéité, isolation et ventilation à récupération de chaleur haut de gamme. « Ces mesures permettraient d’éviter de nouveaux approvisionnements en puissance comme les grands barrages », selon Jean-Pierre Finet, analyste au ROEÉ. Et elles sont d’autant plus payantes que l’on peut profiter des aides financières offertes par Hydro-Québec ainsi que les programmes Rénoclimat, Chauffez vert et Maisons plus vertes.

Une entente qui coûtera cher sans régler la pollution

La compensation de 2,4 milliards de dollars consentie à Énergir revient à environ 178 $ la tonne d’émission de CO2 évitée. Or, c’est près de cinq fois plus cher que le prix des crédits (38,74 $ la tonne de CO2 évitée) vendus sur la Bourse du carbone Californie-Québec. « C’est ce qu’on pouvait faire de mieux pour gérer la demande de pointe, a déclaré à La Presse la présidente d’Hydro-Québec, Sophie Brochu. Si on avait pu faire ça à moindre coût, on l’aurait fait. »

Une affirmation remise en question par l’étude d’Écohabitation. « L’entente biénergie au gaz n’a plus sa raison d’être pour décarboner la société au meilleur coût, affirme Jean-Pierre Finet. C’est un cadeau empoisonné aux clients actuels et futurs d’Énergir, et aux clients d’Hydro-Québec qui verront leur facture augmenter de 2,4 milliards $ pour que celle des clients d’Énergir n’augmente pas trop. Le gouvernement préfère subventionner la biénergie au gaz naturel qui est moins rentable et moins propre que l’accumulation de chaleur, une solution de décarbonation complète et permanente. C’est le monde à l’envers. »

Il dénonce aussi le fait que le programme gouvernemental Chauffez vert subventionne l’achat d’un appareil de chauffage biénergie pour les clients actuels et futurs d’Énergir alors que l’accumulateur thermique est exclu du programme provincial. « Énergir pourra donc continuer d’étendre son réseau de distribution sans qu’il n’y ait de réelle conversion à la biénergie. Le gouvernement ignore les solutions propres, c’est honteux. Hydro-Québec doit cesser de faire la promotion du gaz. Il y a un engouement pour l’accumulateur thermique. Je dis aux gens de ne pas participer au programme biénergie, d’installer une thermopompe tout de suite et l’accumulateur quand leur système au gaz arrivera en fin de vie. Environ 100 000 clients d’Énergir ont un système à air chaud, plus populaire que la chaudière à eau chaude depuis les années 1980. »

Selon l’Agence internationale de l’Énergie, les rapports gouvernementaux sous-estiment de 70 % les microfuites de méthane (composant 95 % du gaz naturel québécois) qui se produisent lors de la production et de la distribution du gaz. Le méthane a un pouvoir de réchauffement global 81,2 fois plus élevé que le CO2 sur 20 ans et de 27,9 fois sur 100 ans, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. « Un faible taux de fuites peut rendre le gaz naturel plus dommageable en termes de GES que le pétrole ou le charbon quand on tient compte de l’ensemble du cycle de production et de combustion », selon une étude publiée cette année (Kemfert et al) dans la revue Nature Energy.

Énergir offre de réduire l’impact climatique du chauffage en payant plus cher pour une portion de gaz naturel renouvelable (GNR) issu de la captation du méthane dégagé par les rebuts qui se décomposent dans les sites d’enfouissement. Le rapport d’Écohabitation décrit trois types de profils de consommateurs : « Parmi ceux-ci, on retrouve le profil « conscient » avec 10 % de gaz naturel renouvelable, le profil « actif » avec 30 % de GNR et le profil « adepte » avec 100 % de GNR. » Par contre, il ajoute que cela ne change rien au gaz livré chez vous. « Il est important de spécifier que le gaz brûlé par l’utilisateur, peu importe le profil, contient les mêmes proportions de GNR que dans l’ensemble du réseau, soit 0,1 % en 2020, 2 % d’ici 2023, 5 % d’ici 2025 et 10 % d’ici 2030 (Whitmore & Pineau, 2022). » Jean-Pierre Finet explique :  « Les clients continuent de consommer principalement du gaz de fracturation, mais peuvent se donner bonne conscience en faisant en sorte que du GNR, de qualité médiocre soit dit en passant, soit injecté quelque part en Amérique du Nord, dont au Texas. »