Pour Émilie Lemay Bélisle, pas question de mettre du polyuréthane sur ses fondations. « L’idée première était d’utiliser des matériaux sains pour les enfants qui y passeraient beaucoup de temps », affirme la résidante de Laval. Jean-Sébastien Matte et sa conjointe Gaelle Fedida, de Rosemont–La-Petite-Patrie, voulaient également « une rénovation la plus écolo possible ». Les deux ont eu la chance d’être parmi les premiers Québécois à tester le mélange de béton chaux-chanvre projeté au pistolet pneumatique, offert par l'entreprises partenaire HECO Innovation, qui développe des solutions innovantes intégrant ce matériau sain et écologique très répandu en Europe.
HECO (Hemp Engineering Carbon Zero) a été fondée en mai dernier par deux ingénieurs diplômés de l’École de technologie supérieure, Philippe Fortin et Maxime Saint-Pierre. Ils comptent commercialiser le béton chaux-chanvre projeté cet automne et lanceront dès ce printemps leur produit phare : le mur préfabriqué en blocs ou panneaux de béton de liant de chaux et d’isolant de chanvre. « Comme le béton de chanvre prend jusqu’à deux mois à sécher (un pouce par semaine), la préfabrication limitera le temps de séchage sur chantier », a précisé Philippe Fortin en entrevue téléphonique.
Le chanvre et la chaux sont des écomatériaux qui se prêtent bien à l’isolation des fondations parce qu’ils diffusent la vapeur d’eau, permettant ainsi aux murs humides de sécher, a-t-il expliqué.
Un béton durable
« Le but, c’est de ne pas emprisonner l’humidité dans le mur comme le fait le polyuréthane, qui ne la dissipe pas. L’humidité du sol poussée dans le mur et accumulée ne pourra pas sécher. Si la nuit il y a risque de gel, alors [comme l’eau gagne en volume en se transformant en glace] des fissures apparaîtront et causeront une dégradation précoce des fondations. Le béton ne peut pas gérer l’eau liquide comme le font les gouttières, les pentes de terrains, les drains de fondations et les membranes imperméabilisantes, qui sont idéales en présence d’un sol argileux qui retient beaucoup l’humidité », explique ce chercheur qui complètera sa maîtrise sur le béton chaux-chanvre en 2022.
Cet écobéton isole trois fois moins que le polyuréthane, soit R-2 vs R-6 par pouce d’épaisseur, reconnaît Philippe, mais il a des avantages indéniables. D’abord, il procure un bon confort grâce à la masse thermique de la chaux qui est à base de calcaire. « Le chanvre et la chaux offrent un excellent compromis entre isolation et masse thermique », estime Philippe.
De plus, la chaux est ignifuge et antifongique parce que très alcaline, même caustique. C’est pourquoi les ouvriers doivent porter des gants et des vêtements pour protéger leur peau. Pour sa part, le polyuréthane n’offre aucune masse thermique stockant la chaleur ou la fraîcheur. Ce polymère pétrochimique est obtenu en faisant réagir des alcools avec des isocyanates, qui sont des déclencheurs d’asthme professionnel. De plus, l’uréthane doit être ignifugé, car il est combustible et n’offre pas de masse thermique.
Les qualités du chanvre
Le chanvre est un matériau biosourcé qui a un degré de saturation élevé, ce qui signifie qu’il peut accumuler une proportion élevée d’eau par rapport à son poids avant de s’égoutter, ajoute Philippe. « Il est comme une éponge, contrairement à la laine de roche dont il faut empêcher l’humidité de s’y condenser. Les matériaux perspirants comme le chanvre et la chaux empêchent la condensation parce qu’ils absorbent et diffusent toujours l’humidité. Par sa rétention d’eau, le chanvre réduit le facteur humidex dans un bâtiment, ce qui contribue aussi au confort. Son hygrothermie [ce qui caractérise la température et le taux d’humidité de l’air ambiant d’un local] a un impact significatif sur le ressenti en été : ce n’est pas une chaleur étouffante, on n’a pas besoin de climatisation qui contribue au réchauffement de la planète » à cause des fuites de gaz réfrigérant à effet de serre.
HECO Innovation utilise la chaux formulée belge Tradical, comprenant de la chaux aérienne (hydratée) et un peu d’argile afin de diffuser l’humidité tout en étant très résistante à la compression. « D’ici deux ans, on devrait sortir notre propre formulation avec des matériaux locaux. » Le béton chaux-chanvre projeté coûte entre 2 $ et 3 $ le pied carré par pouce d’épaisseur selon la complexité de l’application, par exemple dans un vide sanitaire peu accessible. « C’est complexe, il faut doser la projection avec des machines de 240 volts. On aimerait être autonomes au chapitre de la machinerie également. »
Le chantier lavallois
Émilie Lemay Bélisle et son mari, Christian Casilimas, possèdent une maison construite en 1928 dont le sous-sol comprend environ 28 x 28 pi de plancher et a une hauteur de seulement 4 pi 10 po sous les poutres et de 5’ 2 po entre celles-ci.
« Nous avons choisi d’utiliser cet espace pour du rangement, la salle de lavage qui y était déjà installée, mais surtout comme espace de jeux pour les enfants », explique Émilie. De l’eau s’infiltrait par les murs qui sont partiellement en pierre des champs. Les travaux ont été réalisés l’été dernier, mais faute de temps, une membrane d’imperméabilisation sera posée de l’extérieur cette année.
« Nous avons opté pour faire projeter deux pouces de béton de chanvre sur un petit muret ajouté à l’intérieur de trois des quatre murs des fondations les plus humides. Le haut des murs a été isolé avec de la laine de chanvre, qui est moins chère. Nous avons construit nous-mêmes les structures en bois qui ont été isolées au béton de chanvre projeté et celle qui contient la laine de chanvre. »
« Chez NovEnviro, nous recommandons de mettre une membrane perspirante Salola sur la fondation avant de mettre de l’isolant en natte ou le béton de chanvre », précise Nicolas Séguin, vice-président et cofondateur du distributeur d’écomatériaux.
La laine de chanvre, le béton chaux-chanvre et son application ont coûté environ 8 500 $. Après la projection, le fini rugueux doit être égalisé avec une couche de finition chaux-chanvre appliquée à la truelle. Elle a coûté un peu plus de 2 000 $, main-d’œuvre comprise.
« Nous sommes conscients d’y être allés avec des choix de matériaux peu connus et des méthodes de projection qui se développeront encore beaucoup, mais nous sommes contents d’avoir choisi ces matériaux sains et écologiques qui sont à l’image de ce que l’on espérait », conclut Émilie.
Pour leur part, Jean-Sébastien Matte et Gaelle Fedida possèdent une résidence montréalaise de 3 000 pi2 construite à la même époque, en 1930. Cet ancien duplex a été converti en maison unifamiliale avec deux studios totalisant 1 000 pi2 au sous-sol. Quand ses locataires ont quitté, il a ouvert tous les murs pour découvrir une fondation abîmée en moëllons sur base de ciment. Il a tout nettoyé et imperméabilisé, même installé le drain français.
Il a aussi choisi le béton chaux-chanvre pour son aspect écologique, mais également esthétique. « Les panneaux de gypse ne me parlaient pas trop. C’est laid, le gypse, ça manque de cachet et de vie. J’en ai seulement mis au plafond. »
Il a aussi fait isoler trois murs, le quatrième ayant déjà été isolé lors d’une autre rénovation. Il a fallu quatre jours pour projeter 4 po de béton de chanvre sur deux murs et 2 po sur un mur mitoyen. Le tout a coûté environ 14 000 $ excluant la finition et pris deux mois à sécher. Jean-Sébastien estime qu’il aurait payé moins de 8 000 $ pour une isolation au polyuréthane finie au gypse.
Il finit ses murs à temps perdu. Gabriel Gauthier, propriétaire d’Artcan - Maison en Chanvre, pionnier québécois de cet écomatériau depuis 2010, lui a fourni 32 sceaux d’enduit chaux-chanvre prémélangé. « Il faut lisser, lisser, lisser et repasser, repasser, repasser! dit-il. Dans tous les cas, le résultat est très satisfaisant. Ça donne une belle ambiance du point de vue de la chaleur et de l’isolation phonique. On est comme enveloppés, tout est bien scellé autour des portes et fenêtres. »
L’artisan Gabriel Gauthier explique : « Nous recommandons les membranes et même un espace d’air entre le mur de béton et l’isolant de laine de chanvre. Ça peut-être fait aussi pour le béton de chanvre. Ceci dit, le béton de chanvre appliqué par l’intérieur directement sur des murs de fondations en pierre ou béton donne des résultats impeccables et qui parlent d’eux-mêmes. Ça s’explique par le fait que le matériau est très minéral et calcaire. Il faut une infiltration d’eau pour qu’il soit esthétiquement affecté. Donc, pour ma part je ne suis pas inquiet de l’effet de mèche pour un béton et enduit de chanvre bien dosé en chaux appliquée par l’intérieur sur le mur de fondation. »
L’espace comprend une dalle radiante à eau chauffée dans une chaudière aux granules du géant autrichien ÖkoFEN, le modèle Pellematic 20 du fournisseur Maine Energy Systems. Certifié par l’Agence américaine e protection de l’environnement (US EPA) au chapitre des émissions de fines particules, l’appareil lui a coûté 20 000 $, mais il consomme moins de 3 000 $ en granules, alors qu’il achetait autrefois pour 6 000 $ de mazout par hiver. La dalle est isolée au polystyrène : « Le chanvre n’est pas recommandé au sol », précise Jean-Sébastien Matte.
Ce vigneron et fabricant de cidre est très fier de son sous-sol. « Les travaux sont faits pour les cent prochaines années. L’entretien et la réparation sont faciles et ça régule l’humidité, la température et le son. C’est gagnant sur toute la ligne. »
Et ce, même au chapitre des fournisseurs. « DEUXMAX [NovEnviro] sont du bon monde, sauf qu’il n’y a pas de concurrence pour faire baisser les prix. Le chanvre revient au double du prix de la laine de roche. La seule bonne loi de Donald Trump fut celle qui a légalisé la culture du chanvre industriel. J’ai bon espoir que ça va ouvrir le marché! »