Par Avi Friedman et Charles Grégoire
L’arrivée du 21e siècle a entrainé une multitude de changements sociaux au Québec qui ont eu un impact important sur nos communautés. Il est donc essentiel de repenser les anciennes stratégies de planification et de créer des concepts d’aménagement novateurs. Quatre secteurs en particulier ont subi des changements fondamentaux qui ont affecté les systèmes urbains : le milieu social, l’environnement, l’économie et la technologie.
Une population vieillissante
Premièrement, sur le plan social, un changement démographique radical se fait sentir. Comme le pourcentage de personnes âgées de 65 ans et plus augmente rapidement et constamment dans la population, nous allons vivre un « vieillissement » important de la société. Le pourcentage de personnes âgées devrait représenter environ 25 % de la population québécoise d’ici 2030. Certains retraités laisseront des logements devenus trop grands et trop difficiles à entretenir pour de plus petites unités. Les personnes qui en ont les moyens partiront vers des régions au climat est plus clément situées non loin des services de base. Les autres chercheront au cœur des villes un logement à proximité des centres commerciaux ou des transports publics. Les logements non traditionnels seront de plus en plus recherchés, et les rénovations intensives de plus en plus nombreuses. Les demeures aménagées pour les personnes plus âgées, les habitations multigénérationnelles et les résidences pour personnes autonomes seront de plus en plus populaires.
L'étalement urbain
Comment oublier l’environnement… Au cours des dernières décennies, la société a réalisé l’impact négatif qu’elle avait sur l'environnement et elle adopté des mesures pour le minimiser. Les gens ont fait le lien entre le développement économique, les habitations urbaines et leur conséquence sur l'environnement. L’évaluation de l'empreinte carbone et écologique fait partie des principaux indicateurs utilisés pour évaluer la performance environnementale, et ils peuvent être utilisés pour déterminer l’empreinte des habitations et des communautés.
L’impact négatif sur l’environnement de l’étalement urbain et du développement de la maison unifamiliale a entrainé un appel à la densification urbaine. Le secteur résidentiel est la troisième plus importante source d'émissions de gaz à effet de serre dans les pays industrialisés, surpassé uniquement par les secteurs de l'industrie et des transports. Il s’agit d’un secteur qui consomme de grandes quantités de ressources naturelles – la construction d'une maison unifamiliale neuve de 153 m2 (1 700 pieds carrés) utilise 0,4 hectare (1 acre) de forêt en plus de produire plusieurs tonnes de déchets. Les résidents des communautés à forte densité de population ont tendance à utiliser leur véhicule trois fois moins souvent que ceux des quartiers ayant surtout des maisons unifamiliales. La raison d’être de telles mesures environnementales est la réduction de la consommation et la justification des investissements dans les transports en commun et d’autres commodités coûteuses. L'augmentation de la densité de population est considérée comme une approche saine de la planification urbaine. La nécessité de freiner l'étalement urbain a également popularisé les aménagements à usages multiples.
Les déplacements
La conduite des véhicules automobiles est un autre aspect ayant des conséquences directes sur l’environnement. Les résidents des zones à faible densité de population doivent habituellement se rendre dans des centres urbains éloignés pour obtenir certains services, ce qui nécessite l'utilisation de véhicules privés. L’implantation de succursales régionales ou de commerces pouvant offrir des emplois à proximité des projets résidentiels pourrait être une mesure plus stratégique afin de réduire l’utilisation des véhicules privés, surtout dans les petites villes.
L'habitation
La maison individuelle est elle-même devenue une autre préoccupation environnementale. Certains organismes ont établi des normes rigoureuses qui régissent les codes de construction et les critères d'efficacité, et ils agissent essentiellement comme un système d'accréditation qui permet aux projets domiciliaires de se démarquer. L’augmentation de telles pratiques entrainera inévitablement une plus grande popularité des bâtiments écoénergétiques et à consommation énergétique nette zéro.
Nouvelle économie
Il ne faut pas non plus négliger le paysage économique contemporain. Les transformations économiques sur le plan mondial ont eu des conséquences néfastes sur la création de la richesse, les marchés du travail et la vie des citoyens. Le budget gouvernemental pour réduire le déficit a entraîné une diminution des services sociaux. Les accords commerciaux internationaux ont permis de créer des emplois dans certains pays et en ont éliminé plusieurs autres ailleurs. La faible croissance économique a entrainé une certaine méfiance de la part des investisseurs, des employeurs et des consommateurs. Ces macro-tendances visibles sur le marché québécois affecteront les économies de toutes les communautés, ce qui signifie que les planificateurs et les architectes devront également s’adapter à ces nouvelles réalités.
Maisons inaccessibles
À cause de certaines nouvelles réalités économiques, la maison unifamiliale détachée est maintenant hors de portée pour de plus en plus d’acheteurs de première maison dans plusieurs pays, ce qui ne peut que faire augmenter la demande pour de plus petites habitations moins couteuses. Il s’est créé un écart d'abordabilité important – en effet, le prix des maisons a augmenté beaucoup plus rapidement que les revenus familiaux. Dans certaines régions, cet écart grandissant en matière d’accessibilité financière peut s’expliquer par des coûts plus élevés pour les terrains et les infrastructures, ce qui nous donne un autre argument en faveur de la densification de population et de la construction de quartiers abordables.
Nouvelles technologies
Les transformations sont également visibles sur le plan technologique. Étant donné l’évolution rapide des contextes mondial, social, environnemental et économique, les constructeurs, les propriétaires et les responsables en matière de logement doivent affronter de nouveaux défis et explorer de nouvelles pratiques de construction.
Grâce aux progrès technologiques contemporains, les fabricants disposent maintenant de mécanismes plus efficaces non seulement pour concevoir et construire, mais également pour atteindre les clients. La révolution numérique a eu un impact important sur l'industrie du design dont la plupart des membres ont adopté le logiciel BIM (Building Information Modeling) au cours des dix dernières années. Ces méthodes et technologies favorisent une intégration relativement simple des concepts et des produits novateurs et permettent d’échanger avec le constructeur afin de réduire les coûts de conception et de construction, améliorant ainsi l’abordabilité et la rentabilité des habitations.
Maisons usinées
Parmi les innovations récentes, on note un intérêt renouvelé pour les maisons préfabriquées qui pourraient permettre de résoudre certains de ces défis. Construites en usine, ces résidences industrielles ont le potentiel d’atténuer certains problèmes comme l'accessibilité financière et l'efficacité des ressources.
Une autre avancée récente est la production entièrement automatisée comme celle que réalise l’entreprise de demeures préfabriquées Laprise située à Montmagny, près de Québec, où les panneaux sont produits par des éléments robotiques dans toutes les phases de la fabrication, du découpage, au clouage à l’installation de l’isolation. Ce type de fabrication robotisée permet de réduire les coûts de production et d’améliorer la qualité des produits.
L'impression 3D promet d'être la prochaine avancée en matière de préfabrication. Cette technologie est habituellement utilisée pour produire des objets physiques, couche par couche, à l'aide de machines automatisées contrôlées par ordinateur. Les imprimantes 3D le plus souvent utilisées sont celles avec des systèmes de type portique conçus pour la production additive. Parmi les autres méthodes disponibles, on retrouve les têtes d'impression suspendues par câble et les petits robots. La méthode est habituellement choisie en fonction du matériau utilisé. Le processus est encore en phase d'incubation, mais il est rapidement développé afin de produire des structures aux formes très complexes.
Planification de la durabilité
Si l’on analyse un instant les transformations sociales mentionnées ci-dessus, on se pose la question suivante : de quelle façon les changements nécessaires devraient-ils être apportés? Comment les communautés devraient-elles être planifiées à nouveau ou rénovées? En tant que philosophie et principe d’organisation, la durabilité a été mise de l’avant pour répondre à ces questions.
L'origine du terme développement durable remonte à plusieurs décennies. En 1992, lors de la Conférence des Nations Unies sur l'environnement humain qui se déroulait à Stockholm, l’on s’inquiétait déjà du fait que l'humanité mettait à l’épreuve la capacité de charge de la terre jusqu’à ses limites. Des années plus tard, cette réflexion a entrainé la mise en place d’une initiative internationale appelée la Commission mondiale sur l'environnement et le développement (CMED). Dans un rapport intitulé Notre avenir à tous et publié en 1987, les auteurs estimaient que le développement durable répondait aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire leurs propres besoins. Cette définition a servi de base à une approche conceptuelle du développement selon laquelle toute action entreprise doit prendre en considération son impact sur l’avenir.
Culture et gouvernance
Ce document a mis en lumière les trois piliers originaux du développement durable qui sont la durabilité sociale, économique et environnementale. Cependant, il est vite devenu apparent que la culture et la gouvernance doivent faire partie de toute initiative de durabilité afin que cette dernière puisse réussir. Selon une approche durable de la culture et de la gouvernance, les pratiques doivent refléter et satisfaire les valeurs et les traditions du contexte sociopolitique particulier dans lequel elles sont mises en œuvre. Bien que les initiatives internationales n’aient pas toujours tenu compte de ces facteurs par le passé, ils se sont révélés essentiels à leur réussite (ou à leur échec).
Ces cinq piliers du développement durable représentent des directives essentielles pour les planificateurs d’aujourd’hui. Regardons-les séparément en commençant par la durabilité sociale. L’expression « besoins sociaux » représente un concept vaste et global qui peut être expliqué et interprété de plusieurs façons. En voici un exemple. Si l’objectif est la création d'un système de santé durable, il est essentiel de s’assurer que les fonds nécessaires soient disponibles en permanence. Favoriser la mise en forme physique peut être vue comme une contribution à la santé publique. Il a été démontré que les personnes qui ont un style de vie actif sont moins susceptibles de souffrir de maladies cardiovasculaires ou de diabète. Les municipalités ont donc intérêt à ce que leurs quartiers soient conçus avec des pistes cyclables et des sentiers pédestres, intégrant des fonctions résidentielles et non résidentielles.
Les traditions, un patrimoine
La durabilité culturelle est également essentielle. La promotion de la culture populaire et la préservation des traditions locales contribuent au bien-être de la société de façon directe et indirecte. De toute évidence, les vieux bâtiments sont des rappels visibles de l’histoire de l’humanité qui se veulent un lien direct avec le passé. De façon plus indirecte, le patrimoine architectural inspire les jeunes architectes et urbanistes, améliorant ainsi la qualité des futurs bâtiments et concepts. La conservation et la transformation des anciens bâtiments permettent également d’éviter les démolitions, ce qui contribue à réduire la consommation de ressources naturelles qui pourraient autrement être utilisées dans de nouvelles constructions.
Évidemment, nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer la durabilité économique. Les mauvaises décisions prises aujourd’hui en matière de planification pèseront lourd sur les générations futures. Par exemple, la construction de routes extrêmement larges aura des répercussions économiques à long terme. La surface de ces routes devra être régulièrement refaite, et dans les climats froids, une plus grande quantité neige s'accumulera ce qui se traduira par un plus gros budget de déneigement. Si un projet de développement résidentiel est initié au privé, le coût des routes plus larges fera augmenter le prix des maisons. Les acheteurs seront forcés d’emprunter de plus grosses sommes d’argent qu’ils seront ensuite obligés de rembourser sur une plus longue période, ce qui risque d’affecter leur viabilité financière.
Analyse le cycle de vie
La durabilité environnementale représente les attributs écologiques créés par la construction et l'entretien d'un développement résidentiel, y compris ses routes, ses espaces ouverts et ses maisons. Il est nécessaire d’effectuer une évaluation des cycles « du berceau au berceau » lors de la planification d'un développement résidentiel, non seulement pour l’impact initial du choix des matériaux, par exemple, mais également pour leur performance à long terme et leur potentiel de recyclage. Si les routes sont recouvertes d'asphalte, les eaux de pluie vont s'écouler vers les regards. La création de plans d’eau sur les côtés des routes permettra la plantation et la croissance d’une flore alimentée par les eaux de pluie, ce qui réduira le ruissellement des eaux.
Politiques durables
Finalement, il nous faut tenir compte d’une gouvernance durable. Même s’ils sont très novateurs, les concepts et les stratégies de planification ne seront pas mis en œuvre si la direction municipale n’établit pas les politiques appropriées. Nos dirigeants politiques sont également responsables de communiquer la vision de la planification à long terme aux citoyens. De plus, un système politique efficace attirera de nouveaux participants plus jeunes vers la fonction publique, ce qui entrainera une continuité des idées et des actions.
Chacun de ces cinq piliers essentiels au développement durable peut être envisagé de façon indépendante. Pourtant, si on examine de près le fonctionnement interne des quartiers conçus et construits sur des principes sains et durables, il est évident que la convergence de ces facteurs est absolument essentielle. Intégrés ensemble, ils affectent l’environnement bâti et fonctionnent en harmonie de façon équilibrée. Bien que ces cinq facteurs qui se chevauchent soient présentés séparément, de façon à organiser les concepts et les illustrations, il n’en est pas moins essentiel de reconnaître les rapports qui les unissent les uns aux autres.
Avi Friedman, Ph. D., est un architecte, professeur, auteur et observateur social. Vous pouvez le rejoindre à avi.friedman@mcgill.ca
Charles Grégoire, M. Arch., est chercheur chez Avi Friedman Consultants Inc.