« Vivre en coopérative, c'est avoir un pouvoir sur son milieu. » Mère de deux enfants, Hélène Rochon vit dans une maison de Sherbrooke appartenant à la Coopérative d'habitation des Cantons de l'Est, depuis un an et demi. Elle embrasse complètement les valeurs des coopératives, dont la mission est de permettre aux locataires de se regrouper pour contrôler et améliorer leurs conditions de logement et leur milieu de vie. « La beauté du modèle coopératif, c'est le tissu d'entraide et de solidarité qui se dessine entre voisins », salue Hélène.
Au Québec, le mouvement des coopératives d'habitation a vu le jour en Estrie à Asbestos, en 1941. À l'origine, les coopératives avaient pour objectif de favoriser l'accès aux maisons unifamiliales grâce à l'effort de corvée communautaire déployé lors de la construction. Depuis, c'est plus de 1 300 coopératives d'habitation qui ont été créées aux quatre coins de la province. Fondée en 1975, la Coopérative d'habitation des Cantons de l'Est regroupe 45 immeubles à travers la ville de Sherbrooke, ce qui en fait l'une des plus grandes coopératives d'habitation au Québec. Ses administrateurs redoublent d'efforts pour offrir des logements à des prix en deçà de ceux des marchés privés, au grand plaisir de ses 250 membres. Hélène Rochon rappelle d'ailleurs que l'accessibilité des coopératives d'habitation favorise une certaine mixité sociale, brisant du même coup la solitude ressentie par certaines personnes (d'âges, cultures et statuts socioéconomiques divers) parfois marginalisées. En 2010, le prix moyen des loyers de la Coopérative d'habitation était de 435 $, alors que le loyer moyen à Sherbrooke pour un logement de deux chambres était de 515$.
La Coopérative d'habitation des Cantons de l'Est a intégré une dimension environnementale à ses activités. Par exemple, la rénovation de La Loggia épicière en 1995 a valu à l'organisme le prix « Rénovation en vedette » du concours national de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) grâce à son utilisation de technologies et de matériaux sains et durables. Les administrateurs de la coopérative ont profité des rénovations pour éliminer tous les tuyaux en cuivre, ayant une longévité moins grande. De plus, ils ont eu recours à des techniques d'isolation plus performantes, favorisant du même coup l'économie d'énergie.
Le mouvement coopératif en soi s'appuie d'ailleurs sur une logique de développement durable, puisque les membres sont appelés à adopter des comportements responsables en matière d'utilisation et de gestion des ressources. Par exemple, la Fédération des coopératives d'habitation de l'Estrie, dont fait partie la Coopérative d'habitation des Cantons de l'Est, assure la promotion du programme « Coops efficaces », qui vise à sensibiliser les membres à la mise en œuvre de mesures écoénergétiques dans les coopératives. La Coopérative d'habitation assure également l'installation de thermostats programmables ainsi que de fenêtres à haut rendement énergétique dans ses maisons.
La Coopérative du rang 13
Au fil du temps, le mouvement coopératif a pris de l'ampleur et a étendu son influence à l'échelle de la région estrienne, se posant comme une partie de la solution aux défis démographiques. Dans la petite communauté de Saint-Camille, située à 35 km de Sherbrooke, plusieurs citoyens s'inquiétaient de la décroissance de la population. Avec la municipalité, ils se sont donc fixés un objectif ambitieux : accroître la population de 10 % en dix ans. En 2004, la Coopérative de solidarité du rang 13 a été créée et a décidé de prendre les choses en main en achetant près de 300 acres (121 hectares) de terrains. Le but était de favoriser l'accessibilité à la propriété en offrant des terrains abordables et du même coup, encourager l'établissement de jeunes familles. Rapidement, 25 lots d'une grandeur variant entre 5 et 17 acres (entre deux et sept hectares) ont été vendus à des familles. Saint-Camille a même surpassé l'objectif initial grâce à une augmentation de 17 % de sa population ! Aujourd'hui, la coopérative table sur un projet de transfert d'expertise afin d'aider les municipalités à mettre en œuvre des projets immobiliers novateurs.
Afin de favoriser un développement immobilier viable, la Coopérative du rang 13 a adopté une charte s'appuyant sur les principes du développement durable et s'inscrivant dans une perspective agroforestière. Plusieurs propriétaires ont par exemple utilisé des matériaux peu dommageables pour l'environnement ou implanté des mesures écoénergétiques pour la construction de leur nouvelle demeure. De plus, la charte encourage le recours à des techniques d'agriculture biologique et l'utilisation de produits naturels et biodégradables. Depuis 2003, la Coopérative de solidarité La Clé des champs de Saint-Camille contribue à l'effort agroforestier en encourageant le recours aux produits forestiers non-ligneux et en favorisant ainsi la diversification agricole.
Pour limiter les effets de la spéculation, les membres de la coopérative songent à se permettre de récupérer l'argent investi - ajusté au taux de l'inflation - s'ils revendaient leur maison à la coopérative. Ce serait une première québécoise.
L'écohameau La Source
D'autres initiatives en milieu rural sont en cours d'élaboration en Estrie. Par exemple, à Chartierville, village de 388 habitants situé près de la frontière américaine, le projet de l'écohameau La Source est actuellement en gestation. Celui-ci est né suite à une consultation publique tenue en 2011 portant sur l'avenir de la municipalité qui venait de perdre certains services, comme son point de service de la Caisse Desjardins des Hauts-Boisés. La réflexion populaire a mené à l'idée de la création d'un écohameau, où une coopérative d'habitations composée d'environ cinq à huit maisons écologiques serait développée en plein cœur du périmètre urbain de Chartierville.
Depuis deux ans, les idéateurs du projet d'écohameau ont travaillé d'arrache-pied afin de promouvoir un développement écologique favorisant l'autosuffisance. La municipalité de Chartierville aimerait ainsi instaurer un système de chauffage à la biomasse pour l'ensemble de l'écohameau. Dans un souci d'accessibilité à la propriété, les artisans du projet réfléchissent à la possibilité de recourir à une formule usufruitière, où les habitants de la coopérative récupéreraient l'argent investi s'ils revendaient la maison à la coopérative. Cette méthode novatrice permettrait de limiter les effets de la spéculation sur le prix des maisons, alors l'augmentation de la valeur de la maison serait limitée à l'indice des prix à la consommation (IPC). Il s'agirait d'une première au Québec.
La municipalité a procédé à l'analyse des milieux et à l'acquisition des terrains, qui se trouvent sur d'anciennes terres agricoles, et s'affaire maintenant au développement d'infrastructures et de services accessibles pour tous les habitants de Chartierville, comme un parc naturel et un circuit de sentiers sur pilotis. De plus, environ un acre (0,40 hectare) de terrain sera réservé à l'agriculture grâce à l'aménagement d'un jardin communautaire. Déjà, des gens ont manifesté un intérêt pour l'acquisition d'une maison dans l'écohameau La Source.
Le mouvement coopératif prend donc du galon en Estrie grâce à des projets innovateurs qui s'appuient sur une vision conjuguée d'accessibilité et de développement écologique. Comme le mentionne Hélène Rochon, « les coopératives sont un vecteur de valorisation pour les milieux ». Les Estriens ont de quoi se réjouir !
Pour en savoir davantage
Coopérative d'habitation des Cantons de l'Est
Coopérative du rang 13, à Saint-Camille
Écohameau La Source, à Chartierville