99homedepotPar Nathalie Deraspe et André Fauteux

Le bois certifié par le Forest Stewardship Council (FSC) est le seul à être promu par Greenpeace et par le programme nord-américain Leadership in Energy and Environmental Design (LEED) qui certifie les bâtiments verts. Mais le consommateur moyen connaît mal cette certification des pratiques forestières durables et éthiques. Pour compliquer les choses, certains écologistes — dont le chanteur Richard Desjardins — déplorent que le FSC encourage la monoculture et les coupes à blanc. En outre, des points LEED pourraient un jour être accordés pour l’utilisation de bois certifié par l’Association canadienne de normalisation (CSA) et le Sustainable Forestry Initiative (SFI) américain, des organisations encore moins sévères que le FSC. On n’est vraiment pas sortis du bois!

Créé pour contrer la déforestation massive et les coupes illégales, le FSC est sur le point d’atteindre sa majorité. L’organisation non gouvernementale sans but lucratif de bonne gestion forestière, qui a certifié environ 135 millions d’hectares (M ha) de forêts dans 50 pays, ne cesse de hausser la barre pour toute l’industrie. Bien qu’il reste beaucoup de travail à abattre avant de crier victoire, les progrès que le FSC a permis de réaliser sont colossaux.

Si le film L’erreur boréale, de Richard Desjardins et Robert Monderie, continue de frapper l’imaginaire québécois 11 ans après sa réalisation, les images de saccage des forêts tropicales ont davantage marqué les environnementalistes de la planète. En 1986, 50 acres (20 hectares) de ces forêts humides disparaissaient chaque minute, entrainant l’extinction de deux douzaines d’espèces par jour. C’est ce qui est à l’origine de la fondation la même année du Rainforest Alliance, l’organisme new-yorkais qui a sonné l’alarme planétaire au sujet de cette tragédie, d’abord au Costa Rica. Encore aujourd'hui, plus de 90% des forêts tropicales, cruciales pour l'avenir du climat et de la biodiversité, «sont mal gérées, voire pas du tout», selon l'Organisation internationale des bois tropicaux (OIBT), rapportait l'Agence France Presse le 7 juin 2011.

Rainforest Alliance s’est donné comme mandat d’encourager les pratiques écologiques et responsables d’abord en foresterie, puis en agriculture, pour enfin s’attaquer au marché du tourisme. La sympathique grenouille verte qui lui fait office de logo en a parcouru du chemin depuis tout ce temps! L’organisme présent dans 70 pays a apposé sa certification sur des dizaines de milliers de produits et d’entreprises, et les appuis à son égard ne cessent de se multiplier. Rainforest Alliance figure parmi les 25 organismes internationaux indépendants mandatés pour passer sous la loupe les pratiques de coupe des entreprises forestières qui visent une attestation officielle du FSC.

C’est en 1989 que Rainforest Alliance fonde son programme de certification du bois SmartWood, le premier du genre. L’année suivante, l’organisme certifie une première forêt en Indonésie. Pour la première fois, cette reconnaissance offre un avantage économique en incitant les entreprises à pratiquer la foresterie responsable. Puis, en 1993, l’Alliance contribue à fonder le FSC dont le programme de certification deviendra le chef de file mondial de la foresterie responsable vérifiée par des tierces parties.

Assurer l’avenir de la ressource
Pour le FSC, une gestion responsable des forêts de la planète implique une approche holistique où les impacts sociaux et économiques d’une entreprise sont tout aussi importants que ses impacts environnementaux. Pour obtenir le sceau FSC, il faut non seulement respecter scrupuleusement une série de principes mondialement reconnus d'aménagement forestier durable (détails ci-bas), mais également favoriser le bien-être des communautés et des travailleurs, et respecter les droits des peuples autochtones sur leurs territoires ancestraux. Grâce à cette nouvelle approche, pas moins d’une vingtaine d’ententes ont été conclues ces dernières années entre des communautés autochtones et le grand producteur forestier québécois Tembec. Des ententes portant sur la consultation, l'éducation et la participation économiques de ces peuples au domaine forestier et à l'intégration de leurs connaissances traditionnelles au processus de planification forestière. Du jamais vu au Canada.

Toutefois, cela demeure bien théorique, souligne Geoff Quaile, analyste en te environnemental au Grand Conseil des Cris. « Les Cris ont eu beaucoup de problèmes avec la façon dont le programme du FSC a été appliqué mis en application dans sur leur territoire, dit-il. En général, les compagnies ont fait très peu pour engager les Cris dans le processus. Tembec a mis cinq ans pour les informer que leur territoire avait été certifié ! Conséquemment, un moratoire a été placé décrété sur toute implication tant que ces compagnies entreprises ne démontreraient pas leur engagement à honorer le principe 3 de la charte du FSC qui concerne les droits des peuples autochtones sur leurs territoires. » Récemment, un protocole d’entente a finalement été établi. Tout reste donc à faire.
 
Le FSC en bref
Le FSC est un organisme international fondé en 1993 notamment par Greenpeace et le Fonds mondial pour la nature.
    Il comprend aussi des groupes sociaux, de commerce du bois et du secteur industriel forestier présents  dans 25 pays.
    Sa certification forestière est basée sur dix principes :
1. Le respect des principes du FSC et des lois en vigueur.
2. Les droits et responsabilités clairement définis, documentés et établis légalement.   
3. Les droits des peuples autochtones sur leurs territoires.   
4. Le bien-être socioéconomique des communautés et des travailleurs.   
5. La viabilité économique et les bénéfices environnementaux et sociaux.   
6. Le maintien de l’intégrité et de la biodiversité de la forêt.   
7. Des plans d’aménagements précis, appliqués et mis à jour.   
8. Le suivi régulier de l’état de la forêt, du rendement des produits, de la chaîne de traçabilité, des opérations de gestion et des impacts sociaux et environnementaux.   
9. Le maintien des forêts à haute valeur pour la conservation.  
10. Des plantations qui favorisent la conservation et la restauration des forêts naturelles.
 
   Pourquoi choisir le bois certifié FSC
  • Parce qu’il fait la promotion du meilleur et du plus efficace usage des ressources de la forêt.
  • Parce qu’il donne l’assurance que tous les coûts sociaux et environnementaux sont incorporés dans le prix des produits certifiés.
  • Pour la réduction des déchets et des dommages.
  • Pour la renonciation à la surconsommation et à la surproduction.

Le FSC s’est attardé au bois récolté dans les pays industrialisés à partir de 1994.Au Canada, il n’a accordé sa première certification qu’en 1998, à la Haliburton Forest and Wildlife Reserve, une forêt privée ontarienne   qui appartient au groupe québécois Tembec. Au Québec, ce n’est qu’en 2002 que le Groupement forestier de Témiscouata obtenait la pareille. Mais comme c’est souvent le cas, le Québec a, depuis, plus que comblé son retard : il figure aujourd’hui parmi les chefs de file mondiaux dans ce domaine.

Aujourd’hui, on compte dans la belle province 26 forêts certifiées FSC couvrant 17,1 M ha. Elles représentent 26 % des forêts commerciales québécoises (66 M ha), 42 % des 40,6 M ha certifiés par l’organisme au pays et près de 13 % de la superficie mondiale certifiée FSC !

C’est en grande partie grâce à Tembec. En 2001, l’entreprise, qui compte aujourd’hui 6 000 employés, est devenue le premier producteur forestier canadien à s’engager à faire certifier toutes ses opérations forestières aux normes FSC. L’objectif touchant plus de 9,7 M had’un bout à l’autre du Canada a été atteint en 2008.

D’ailleurs, le Canada arrive au premier rang mondial avec 40 % de toutes les forêts certifiées, selon l’Association des produits forestiers du Canada (APFC). Cela représente 40,6 M ha affichant le logo FSC et 104,7 M ha portant le label de la CSA ou du SFI américain, deux normes concurrentes établies respectivement par l’industrie forestière canadienne et américaine. Au Québec, les trois quarts des terres forestières publiques sont exploités selon les critères de l’un de ces trois programmes de certification.
 
L’époque où l’image de la forêt canadienne ne valait pas mieux que celle des sables bitumineux est révolue. En effet, en mai 2010, l’APFC signait un accord historique avec neuf des principales organisations environnementales du pays. L’entente sur la forêt boréale canadienne vise à créer des aires protégées favorisant le rétablissement d’une espèce menacée, le caribou forestier, dans 72 M ha de forêts publiques allouées aux membres de l’APFC. Ces succès ont été réalisés grâce aux pressions des groupes écologistes et des consommateurs ainsi qu’aux pionniers comme Tembec et Rona qui ont su à la fois créer et prévoir l’énorme demande pour les produits FSC. Comme le programme nord-américain de certification des bâtiments verts LEED récompense l’usage des produits de bois FSC, les fabricants, distributeurs et détaillants n’ont eu d’autre choix que d’emboîter le pas. La très grande majorité du papier qu’on utilise aujourd’hui ne porte-t-il pas le sigle FSC?
 
« Toute la forêt ne pourra pas être certifiée, prévient Alexandre Boursier, directeur de Rainforest Alliance Canada qui a certifié 86% des forêts FSC du Québec. Parce que toute forêt n’est pas nécessairement certifiable. » Cela dit, il ne fait aucun doute pour cet ingénieur forestier que l’approche FSC demeure extrêmement positive. Et ce, même si les pratiques qu’on y propose sont à mille lieues du travail de certains propriétaires terriens, qui aménagent leur forêt à l’aide de chevaux comme s’il s’agissait d’un immense jardin à cultiver. « On parle de millions d’hectares en jeu. On ne peut pas traiter ça arbre par arbre, mais coupe par coupe, explique le directeur de Rainforest Alliance Canada. L’idée, c’est de tenter d’imiter la nature le plus possible. Le FSC n’assure pas du bois de meilleure qualité, mais c’est un système de production qui tient compte d’une foule de facteurs, qui va de l’acceptabilité sociale à la biophysique, en passant par les espèces menacées et vulnérables. »
 

Une norme contraignante
En février 2009, Chantiers Chibougamau est devenu le premier manufacturier québécois œuvrant dans la forêt boréale québécoise à obtenir la certification FSC pour ses opérations forestières. Pour le fabricant de poutrelles en i et autres produits de bois d’ingénierie de marque Nordic, c’était une simple question de logique. Mais même si les 600 employés de l’entreprise fondée en 1961 entretenaient déjà un lien privilégié avec la forêt, cet engagement exigeait d’en faire davantage, convient le directeur des communications de Chantiers Chibougamau, Frédéric Verreault. « Il faut faire preuve d’une rigueur incroyable, admet-il. Il a fallu sensibiliser nos travailleurs et les former pour qu’ils deviennent nos partenaires en forêt. Des relayeurs d’une meilleure approche écosystémique. »  

Sur le terrain, cela implique passablement de changements. Les caribous aperçus sur le territoire sont automatiquement localisés à l’aide d’un GPS. On construit des cabanes à chauves-souris pour minimiser les impacts. On va jusqu’à demander aux Cris de se rendre sur place pour trapper les castors qui font des ravages dans les chemins et les ponts construits en forêt. On reporte également certains travaux pour éviter qu’ils coïncident avec la période de frai des poissons.

Pour le moment, la préoccupation majeure demeure le caribou forestier, qui a été expulsé de la moitié de son territoire historique. Le ministère des Ressources naturelles et de la Faune estime que l’on compte entre 7 000 et 12 000 têtes au Québec. Or, jusqu’à 40 des 57 populations répertoriées au Canada ont 50 % ou davantage de risque de disparaître d’ici 100 ans, selon un rapport de spécialistes publié par le gouvernement canadien en 2009. C’est que la survie à long terme du caribou forestier requiert de grandes aires protégées couvrant au moins 5 000 km2, selon les experts. 

Le problème, c’est que certaines pratiques forestières incluses dans la Paix des Braves, un traité constitutionnel conclu entre la nation crie et le gouvernement du Québec en 2002, sont en contradiction avec celles édictées par le FSC. « La Paix des Braves aide beaucoup la plupart des éléments du FSC, comme la bonne entente avec les Premières Nations et la protection de la majorité des espèces, précise Alexandre Boursier. Toutefois, elle encourage une multitude de petites coupes forestières, ce qui nuit au caribou qui a besoin de grandes étendues vierges et de grandes étendues perturbées, par exemple par le feu et le chablis (un coup de vent qui peut déraciner des arbres sur des dizaines d’hectares à la fois). 

Protection du territoire
La directrice intérimaire de Greenpeace Québec, Mélissa Filion, est d’avis que la certification FSC est malgré tout la meilleure à être disponible à l’heure actuelle. Toutefois, l’ancienne responsable de la campagne Forêt boréale soutient qu’il ne faudrait effectivement pas privilégier l’exploitation de bois FSC au détriment de la création d’aires protégées. La solution consiste à mener ces deux dossiers de front. « Tant et aussi longtemps qu’on ira chercher du bois dans l’habitat du caribou forestier, on devrait davantage utiliser l’argument économique qu’écologique pour vanter l’utilisation de la ressource. C’est de l’autorité des gouvernements de permettre le rétablissement des espèces menacées. Il faudrait mettre le principe de précaution en application. Même si le FSC répond à la façon dont on doit aménager les forêts, la question qu’il faut se poser ensuite, c’est : Où doit-on le faire ? » 

Diplômée en sciences de l’environnement, Mélissa Filion admet qu’il faudra faire preuve d’ingéniosité. En privilégiant la deuxième et la troisième transformation du bois comme le font Chantiers Chibougamau et d’autres fabricants, on pourra réfléchir à de meilleurs aménagements forestiers. Dans sa vision économique du secteur forestier québécois, Greenpeace prône une transition vers une exploitation responsable, quimise non pas sur la quantité de bois produit, mais sur la qualité des produits dits à valeur ajoutée. Dans cette optique, l’organisme suggère du même souffle de développer une industrie du meuble made in Quebec. Récemment, un bras de fer a été engagé entre Eacom Timber Corporation (qui a acheté la division des produits forestiers de Domtar en 2010) et les Cris de la vallée de Broadback, l’une des dernières forêts intactes du Québec. Situé dans la région de la Baie James, ce « territoire ancestral des Cris, juste sous la limite nordique de coupe, abrite plusieurs espèces menacées d’extinction telles que l’aigle royal, le pygargue à tête blanche et le caribou forestier », écrit-on sur le site de l'organisme Canopée. À la suite d’une série de pourparlers engagés par Greenpeace, l’entreprise a accepté d’abandonner tout projet de construction de routes ou de ponts menant à ce vaste territoire jusqu’en 2013. D’ici là, explique Mélissa Filion, le gouvernement devra démontrer son autorité en refusant d’accorder des droits de coupe dans des forêts à haute valeur de conservation. Plutôt que de s’attaquer à des forêts intactes, Greenpeace invite les entreprises à exploiter des territoires situés plus au sud de la province. Au mieux, l’État devrait promouvoir des projets de foresterie gérés à même les communautés et mettre en valeur tous les services écologiques, sociaux et économiques que la forêt peut nous fournir.

 
Des efforts applaudis
Selon des analyses comparatives effectuées par Greenpeace, les normes SFI et CSA sont moins contraignantes et davantage conçues par et pour l’industrie que la norme FSC. « Le FSC est le seul système de certification reconnu par les groupes écologistes et celui qui pose les critères les plus exigeants quant aux performances environnementales et sociales des entreprises », affirme-t-on chez Greenpeace Québec.
 
Pendant longtemps, le bois certifié FSC était difficile à trouver au Québec. Mais la donne a changé depuis novembre 2008, alors que Rona s’engageait à devenir le « chef de file de l’industrie au Canada dans le domaine du développement durable » en privilégiant le bois certifié FSC selon sa disponibilité et sa compétitivité. C’est ainsi que le géant du détail s’est donné quatre ans pour offrir à sa clientèle du bois d’œuvre — épinette, pin et sapin (EPS) — provenant exclusivement de forêts certifiées, tant dans ses magasins corporatifs que chez ses franchisés (Coupal, Marcil et Réno Dépôt). De plus, Rona s’est démarqué de ses concurrents en prévoyant que 25 % de son bois EPS serait certifié FSC d’ici la fin de 2012, comparativement à 2 % en 2008. Aujourd’hui, l’entreprise peut dire « mission accomplie ». Le plus important distributeur et détaillant d’articles de quincaillerie, de rénovation et de jardinage au Canada a atteint cet objectif deux ans plus tôt que prévu. En outre, le détaillant québécois a obtenu la certification FSC de Rainforest Alliance pour la chaîne de traçabilité de ses produits du bois dans dix magasins et trois centres de distribution. « Les consommateurs obtiennent ainsi l’assurance d’y trouver du bois provenant de forêts certifiées, où la conservation de la biodiversité et les relations avec les autochtones font partie des exigences fondamentales rigoureusement vérifiées et analysées par les vérificateurs de Rainforest Alliance », de dire Alexandre Boursier. En outre, même si les frais administratifs de la chaîne de traçabilité augmentent le coût du bois certifié, Rona le vend au même prix que le bois ordinaire.
 
Greenpeace a d’ailleurs félicité Rona qui devient ainsi un véritable chef de file dans la protection des forêts intactes. « Moins de 5 % des forêts commerciales de la province sont protégées contre le développement industriel », rappelle l’organisme. Rappelons que Rona possède un immense pouvoir d’achat. Le bois représente près de 40 % de ses ventes, soit plus de 6 milliards de dollars par année, issus de quelque 700 magasins répartis dans tout le pays. Pour leur part, Sears, Harlequin, Best Buy, Toys R Us et Home Depot ont laissé tomber la forêt boréale, concluait en décembre 2010 Greenpeace en publiant son bilan Grands acheteurs, grands défenseurs ? Ces entreprises font de l’écoblanchiment en se livrant à un pur exercice de relations publiques sans modifier leurs approvisionnements, accuse Greenpeace : « Home Depot a pris des engagements il y a un dizaine, voire une quinzaine d’années, envers la certification FSC, rappelle Mélissa Filion. Cependant, depuis, cette chaîne n’a pas fait pas de rapport pour démontrer ses progrès, ni mis ses engagements à jour, ni augmenté ses cibles de bois certifié FSC, ni pris de mesures pour la protection des forêts menacées, ni effectué de démarches auprès des gouvernements pour une meilleure gestion forestière. » Selon l’étude de Greenpeace, Rona, Cascades, Kimberly-Clark (Kleenex) et à Chapters/Indigo Books comptent parmi les chefs de file en la matière. Quant à Home Depot, le plus important vendeur de bois au monde s'est dit surpris de la conclusion de Greenpeace. « Nous achetons plus de bois certifié FSC que tout autre détaillant en Amérique du Nord et nous achetons plus de bois certifié au Canada que quiconque », affirme la porte-parole Emily Bradshaw.
 

Une norme encore ignorée
La Coalition Bois Québec, qui promeut l’usage accru de bois québécois dans nos grands bâtiments, salue les efforts de Rona en matière environnementale. Dans cet univers hautement compétitif, les avancées de l’entreprise sont autant de pas dans la bonne direction, affirmait début 2011 son ancien directeur François Tanguay. Cet ancien directeur de Greenpeace Québec soutient toutefois que pour le commun des mortels, le bois FSC demeure quelque chose d’exotique. « En fin de compte, il n’y a pas d’identification de séparation entre les produits certifiés et les autres. Rona est un pionnier, mais ses clients l’ignorent.
 
Cependant, cette Coalition composée notamment d'universitaires, d'écologistes, d'élus et d'industriels refuse de favoriser un programme de certification au détriment des autres. François Tanguay estime plus important de dénoncer le fait que la certification LEED néglige les avantages environnementaux du bois sur l’ensemble de son cycle de vie pour ne reconnaître que les produits FSC, même s’ils proviennent souvent de l’étranger. Négliger cet aspect, selon lui, est une forme d’impérialisme.
 
En matière de cycle de vie, M. Tanguay souligne que la production extrêmement énergivore du béton en fait un grand émetteur de gaz à effet de serre alors que le bois permet de stocker le dioxyde de carbone absorbé par l’arbre durant sa croissance. « Le béton ne tient pas la route par rapport au bois. La traçabilité, qu’on appelle aussi le "paper trail", est autrement plus importante à mes yeux, parce qu’elle présuppose un système de gestion au départ. » François Tanguay cite en exemple la Chine, qui se vante d’être le pays qui reboise le plus au monde, mais qui, en contrepartie, demeure le plus grand acheteur de bois illégal de la planète. « Chaque année, on pille 13 M ha de forêt. Environ 90 % des coupes illégales sont faites au Brésil, en Indonésie, en Asie du Sud et dans le bassin du Congo. En Colombie, où on reçoit 45 pieds [13,7 m!] de pluie par année, la grande difficulté est de trouver de l’eau propre. Dans ce pays d’Amérique du Sud comme dans la plupart des pays tropicaux, les coupes se font presque exclusivement en zones montagneuses. Les rivières se chargent de sédiments, les poissons meurent, les humains ne peuvent plus s’alimenter et ils aboutissent dans des bidonvilles. Finalement, le bois FSC, c’est un problème de riches. Il ne faudrait pas que ce soit l’arbre qui nous empêche de voir la forêt. »
 
Tout en admettant que « c’est tout à fait vrai » que la certification FSC protège davantage les forêts intactes et les droits des travailleurs et des autochtones, M. Tanguay explique que toute certification permet de mieux protéger la nature et l’humain qu’auparavant. « La protection des forêts, c’est surtout une affaire de protection des populations, dit-il. Au Brésil, on a réduit de presque la moitié les pertes de forêts dues aux coupes sauvages. Une meilleure gestion forestière signifie qu’un plus grand nombre de Brésiliens ne vont pas raser la forêt. Ces gens pourront gagner leur vie, se nourrir et s’abriter plutôt que d’aboutir dans des bidonvilles. »
 

Un arbre à la fois
À des kilomètres de ces débats d’échelle, les artisans de la Coop de l’arbre, une coopérative de solidarité établie dans Charlevoix, tentent de valoriser la forêt par tous les moyens mis à leur disposition. Cette coop comporte trois volets, soit l’arboriculture, l’écoforesterie et l’éducation environnementale. « Pour nous, la norme FSC n’allait pas assez de l’avant, explique le coordonnateur Antoine Suzor-Fortier. Elle obtient une bonne presse, mais elle est plus ou moins adaptée à notre climat. » De plus, ce type d’approche convient davantage aux grosses entreprises qui exploitent un minimum de 500 hectares de forêt ou davantage. La petite équipe de la coop œuvre sur des territoires privés ou intramunicipaux qui couvrent beaucoup moins d’espace. Le but est de travailler avec les propriétaires terriens pour leur fournir un revenu d’appoint en misant sur la qualité des produits récoltés. La coop a mis de l’avant une dizaine de principes, qui visent notamment à valoriser la forêt entière et non le bois, de manière à accroître l’écosystème forestier tout en protégeant les espèces fauniques et floristiques et en aménageant de larges zones tampons afin de protéger les milieux humides et les préserver de toute intervention. 

Les arboriculteurs s’attardent à diversifier les peuplements d’arbres, en réponse aux monocultures d’antan. Pour maximiser leurs chances de réussite, ces cultivateurs misent sur une protection optimale des sols et limitent leurs interventions à la période hivernale. En été, la coopérative propose des activités éducatives environnementales qui attirent jusqu’à 6 000 personnes chaque année. « On tente d’établir un pont entre la forêt et le bâtiment écologique afin que les jeunes visualisent chacune des étapes qui vont de l’arbre à la construction de la maison en bois. » Mine de rien, cette petite entreprise d’économie sociale a triplé son chiffre d’affaires en trois ans. La coop compte 10 travailleurs saisonniers et une soixantaine de membres. Un modèle prometteur qui pourrait être importé dans certaines petites localités dévitalisées de la province, estime Antoine Suzor-Fortier. Le jeune homme admet qu’il faut avoir les reins solides pour pouvoir mener à bien ce type de projet. Mais l’écoforesterie est un principe somme toute assez récent. En plus de maximiser le rendement de chaque volume de bois récolté, on aspire à développer les produits forestiers non ligneux, les champignons, par exemple. « Ça demande une réforme de fond en comble, affirme le coordonnateur et membre fondateur de la Coop de l’arbre. Ça fait longtemps que notre bois est donné à l’industrie. »
 
Régionaliser la ressource
Ancien travailleur forestier, l’auteur Bob Eichenberger applaudit le courage dont fait preuve le trio à l’origine de la Coop de l’arbre, tout comme les pionniers de Windhorse Farm, en Nouvelle-Écosse, qui maintiennent des pratiques écologiques depuis plus de 150 ans. Extrêmement critique à l’égard de l’industrie forestière, cet environnementaliste gaspésien se révolte à l’idée de voir certains projets certifiés FSC alors que pour lui, il s’agit toujours de coupes à blanc. « Entre Saint-Louis-de-Gonzague et Maria, c’est le désastre certifié! La forêt mixte est en train de se faire détruire pour de la monoculture. Sur le terrain, le FSC est un gros zéro! L’industrie lourde [bois d'oeuvre, papier] ne crée pas d’emploi, se tue-t-il à répéter. C’est la ressource qui en crée. En cultivant de la qualité, on peut espérer obtenir du bois de lutherie, qui se vend 20 fois plus cher le mètre cube. C’est notre planche de salut », lance Bob Eichenberger sans mauvais jeu de mots.
 
L’auteur du livre L’écoforesterie est une science, un art, un projet de société (Olivert Ecodesign, 2007) estime qu’il faudra compter plusieurs générations avant que les dégâts soient réparés et les écosystèmes, rétablis. Selon lui, à l’heure actuelle, près de 80 % des terres publiques de la Gaspésie seraient dévastées. Une partie de la solution réside dans la régionalisation de la ressource et la multiplication de petites coopératives de travailleurs. « Le FSC était tellement une idée géniale que les gens préfèrent y croire. Mais les bons principes ne sont pas appliqués sur le terrain. Le problème en forêt n’est pas scientifique ou technique, il est politique. »
 
« La certification FSC ne livrera jamais la marchandise pour Bob Eichenberger, répond Alexandre Boursier. C’est un bon gars, mais il est contre l’exploitation forestière industrielle. Oui, les coupes à blanc sont permises (par le FSC), mais il doit y avoir une rétention d’arbres à l’intérieur de la coupe. Rainforest Alliance/SmartWood se penche justement sur une façon plus rigoureuse de s’y conformer, plusieurs aménagistes certifiés ne conservant pas suffisamment d’arbres debout à l’intérieur des coupes totales. Des actions correctives ont donc été exigées et les certificats seront retirés si la situation n’est pas corrigée. « Au sujet des coupes à blanc, la norme est beaucoup plus exigeante que ce que la loi demande, encore une fois en terme de rétention. Il est cependant très facile d’aller sur une coupe récente, certifiée ou non, de prendre une photo et de dire "quel désastre". Une coupe à blanc, certifiée ou non, c’est laid, ça choque et ça frappe l’imagination. Cependant, la coupe photographiée, si certifiée FSC, fait partie d’un plan à grande échelle où l’aménagiste a prévu des corridors pour la faune, protégé les forêts de valeur élevée pour la conservation, les espèces menacées, les valeurs et intérêts autochtones, etc. Ce n’est pas possible d’avoir cette perspective en marchant sur le site. Il faut voir la carte. »
 
Alexandre Boursier souligne que les normes FSC sont révisées périodiquement et qu’elles continueront, sans être parfaites, à constituer le modèle de meilleures pratiques dont s’inspirera l’industrie forestière. Ainsi, elles exigeront bientôt qu’on tienne compte des effets des changements climatiques en planifiant les coupes dans la forêt boréale.
 
Mais ce qui inquiète les écologistes, c’est qu’en plus de faire pression sur les élus pour qu’ils assouplissent leurs règles, l’industrie forestière américaine — derrière l’organisme de certification SFI — combat le monopole dont jouit le FSC dans la certification LEED gérée par le US Green Building Council (USGBC). L’industrie a même convaincu certains États de bouder le programme LEED dans la construction publique et privée. Ceci parce que le programme permet de récolter un ou deux points LEED seulement si 50 % ou 95 % du bois utilisé dans un immeuble (même en béton) est certifié FSC.
 
Le programme SFI a été fondé en 1994 par l’Association américaine de la forêt et du papier qui voulait préserver son marché menacé par l’invasion de produits importés certifiés FSC. En 2007, le programme est devenu indépendant de l’Association. Tout comme le programme de la CSA, il est reconnu comme crédible et transparent par les gouvernements canadien et américain ainsi que des organismes comme Canards Illimités Canada (CIC). Par contre, le groupe ForestEthics a déposé devant la Commission américaine du commerce (FTC) une plainte accusant le SFI de fausse publicité et contestant son statut d’organisme caritatif, tandis que le groupe écologiste Sierra Club a attaqué un leader du SFI, le géant de la forêt Weyerhaeuser. Une coalition de 500 entreprises incluant Weyerhaeuser a répliqué en accusant le FSC et le USGBC d’user de pratiques commerciales déloyales et trompeuses. C’est dans ce contexte que depuis 2006 les membres votants du USGBC débattent furieusement la possibilité d’assigner au moins un demi-point (ou « crédit ») LEED pour l’usage du bois certifié CSA ou SFI. « Cette approche reconnaît les avantages environnementaux inhérents du bois comparé aux matériaux de construction non renouvelables, écrivait alors Alex Wilson, éditeur du bulletin Environmental Building News et membre du comité technique du USGBC. Le bois est produit essentiellement grâce à la lumière solaire (par la photosynthèse), il séquestre le carbone durant sa production, contient peu d’énergie intrinsèque, est non toxique, réutilisable et biodégradable. » Or, le 10 décembre 2010, les membres votants du USGBC ont rejeté la deuxième proposition de reconnaître les produits certifiés CSA et SFI. Selon plusieurs architectes et designers, et selon les membres du Conseil du bâtiment durable Cascadia (le chapitre du USGBC pour le nord-ouest du continent), il aurait été contradictoire de réduire ainsi les exigences de la norme LEED alors qu’elles sont perpétuellement resserrées.
 
Pour sa part, François Tanguay répond qu’il y aura toujours des gens et des organismes plus écologiques que d’autres, et c’est très bien ainsi. Mais il ne faut pas nuire à ceux qui font des progrès, nuance-t-il en précisant que contrairement à la Suède, le Canada favorise la biodiversité plutôt que la monoculture en laissant la forêt repousser naturellement jusqu’à cinq ans avant de replanter au besoin. « Faire du FSC ou de la récolte avec des chevaux une religion, dit-il, ça nuit plus que ça aide. C’est comme en alimentation : il y aura toujours des gens plus "granolas" que d’autres. L’important, c’est qu’on retrouve aujourd’hui des allées complètes de produits sains dans les supermarchés. »
 
Des consommateurs incohérents
« Demandez à n’importe quel consommateur s’il veut protéger l’environnement et il répondra par l’affirmative sans hésiter. Tout le monde est pour la vertu. Pourtant, le consommateur québécois moyen fait peu d’efforts pour bien s’informer avant de faire ses achats de matériaux et oublie de poser les bonnes questions une fois en magasin », déplore le directeur de la Coalition Bois Québec, François Tanguay. « Les gens lisent les étiquettes quand ils achètent leur nourriture, mais dans les cours à bois, ils regardent juste le prix. Il va falloir que le consommateur apprenne à lire les étiquettes. Nous sommes assez irresponsables en la matière. »
 
La Coalition met notamment en garde contre l’achat de produits de bambou, un produit considéré vert pour les certificateurs LEED. Malgré son abondance, sa croissance très rapide et la source de revenus qu’elle représente pour les moins nantis de la planète, cette herbe est parfois le fruit de plantations dans des sites dévastés par la déforestation de forêts tropicales. À moins de trouver du bambou certifié FSC, l’organisme privilégie l’érable d’ici, qu’on peut trouver à prix semblable.
 
L’ipe, ou noyer brésilien, est également une essence exotique fort populaire à cause de sa résistance à la pourriture. Cet arbre, qui pousse de l’Argentine aux Caraïbes, peut atteindre 50 mètres de hauteur. Très prisé pour la fabrication de meubles, il est notamment apprécié pour la construction d’ouvrages extérieurs, en particulier aux États-Unis et au Canada. Mais cette essence, dont le rendement à l’hectare est très limité, est surexploitée et peut provenir de coupes illégales. Pourtant, le ministère des Transports du Québec oblige l’utilisation de ce bois tropical pour la conception de passerelles. L’ipé commencerait même à remplacer certains de nos bois francs, déplore la Coalition.
 
Par contre, les marchands doivent contribuer à mieux informer les consommateurs, ajoute M. Tanguay. « Comme tous les 2 x 4 certifiés ne sont pas estampés, l’affichage en magasin doit s’améliorer pour que le bois certifié de provenance locale soit bien identifié. »
 
De plus, il rappelle qu’en achetant du plancher flottant chinois à 1,50 $ le pied carré, on encourage les coupes illégales et l’exploitation des travailleurs qui œuvrent dans l’ombre à des milliers de kilomètres de notre chaleureuse demeure. Chaque fois qu’on achète au rabais, d’autres en paient pleinement le prix. Le plus important, dit le directeur de la Coalition, c’est la chaine de traçabilité qui garantit la provenance d’un produit.
 
Or, si l’on achète un produit de bois certifié FSC, CSA ou SFI, sa provenance est assurée par une chaîne de traçabilité. François Tanguay affirme par ailleurs que le consommateur peut difficilement se tromper s’il achète son bois de petits producteurs forestiers et de propriétaires de scieries locales. « Ils n’ont pas les moyens de se payer les coûts élevés d’une certification sans se regrouper, mais ils ont tout intérêt à ne pas couper sauvagement la forêt qui les fait vivre. De plus, les scieries permettent d’entretenir des rapports personnels avec les exploitants et aussi de commander des essences plus rares, comme la pruche, ainsi que des dimensions sur mesure. »
 
Enfin, François Tanguay dit qu’il faut encourager les gens les plus affectés par les pertes d’emploi dans l’industrie du bois, conséquence directe de la baisse de la demande aux États-Unis, où les mises en chantier ont chuté de 2,5 millions à 400 000 maisons par année. « La Gaspésie, l’Abitibi et le Saguenay sont les régions les plus touchées, mais aussi les plus dynamiques, dit-il. Grâce à l’ingéniosité régionale, on fait aujourd’hui autre chose que du 2 x 4. » Par exemple, on se sert du tremble, un bois semi-mou, pour faire du bois torréfié d’apparence exotique et résistant à la pourriture. Des chercheurs ont même réussi à en faire du bois dur en le compressant. On n’arrête pas le progrès !