L’organisme Héritage Montréal défend becs et ongles le patrimoine urbain avec des considérations historiques en tête, mais aussi avec un net penchant pour le développement durable. Et la défense du patrimoine construit nous renvoie, invariablement, à la problématique de la préservation des édifices résidentiels. C’est avec cette considération en tête que l’organisme a mis sur pied une série de cours axés sur la rénovation résidentielle.
Alliant connaissances historiques et trucs pratiques, cette série de cours vise à éclairer les propriétaires résidentiels sur les tenants et les aboutissants de la rénovation selon les règles de l’art. Nous avons assisté à la version anglophone de la série, histoire de prendre le pouls des meilleures pratiques de l’heure et d’en restituer un aperçu qui puisse rendre justice au propos des conférenciers. Voulant s’adapter aux considérations écologiques de l’heure, les responsables de la programmation de cette série viennent d’ajouter un cours dévolu aux enjeux les plus pointus du développement durable. Synthèse d’une série de cours qui tient la route depuis un bon quart de siècle.
Remise en forme
Rénover une maison peut certainement s’apparenter à un programme de mise en forme pour une personne. La structure est voutée et la peau du bâtiment se fissure, sans oublier les organes internes qui peuvent montrer des signes de vieillissement. Voilà pourquoi les systèmes mécaniques et électriques n’échapperont pas, eux-aussi, à une cure de rajeunissement.
L’architecte montréalais Ron Rayside, un des conférenciers invités par Héritage Montréal, estime qu’il importe d’adopter une attitude respectueuse envers le «Génie des lieux». Ainsi, il nous faisait remarquer, en entrevue, l’importance «d’opérer un traitement qui puisse respecter les caractéristiques et les lignes de forces d’une époque donnée». L’architecte table sur une philosophie de la rénovation sans équivoque : faire beaucoup avec peu et ne pas oublier les économies d’énergie.
Des quartiers historiques
Notre interlocuteur aime à rappeler que «les quartiers centraux de Montréal recèlent un nombre important d’édifices qui ont été érigés entre 1890 et 1930, une période qui va de l’ère victorienne jusqu’à l’Art Déco». De fait, les faubourgs limitrophes au centre-ville de Montréal se sont développés à un rythme de plus en plus cadencé à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Tant et si bien qu’il est possible d’identifier des cycles de construction qui correspondent à des périodes de ralentissement ou de reprise économique. C’est ce que soutient David B. Hanna, professeur d’études urbaines à l’UQAM. Ce conférencier fut chargé de faire la lumière sur les styles d’architecture résidentielle des quartiers de l’ancienne métropole du Canada.
Chevauchement d’époques
Le professeur Hanna animait le premier cours de la série du printemps 2010. Intitulée Montreal residential architecture through history, sa présentation nous aura permis de prendre conscience du chevauchement d’une multitude de pratiques architecturales à une époque où les élites à la tête de l’Empire britannique s’inspiraient autant du style Second Empire que des influences italiennes. S’appuyant sur des pratiques remontant au régime français – les structures pièces sur pièces ou le prolongement des toitures pour protéger les galeries – les constructeurs faisaient preuve d’un remarquable esprit de synthèse.
Le professeur Hanna souligne l’importance de la typologie des unités d’habitation dans la genèse du tissu urbain des anciens quartiers comme la Côte-à-Baron ou Milton-Parc, tous deux situés de part et d’autre du pittoresque Carré Saint-Louis à Montréal. Bien au-delà de l’effet de style, c’est plutôt un effort d’adaptation des legs culturels qui aura présidé à cette période d’effervescence architecturale.
La fonction définit la forme
Les fameux escaliers extérieurs montréalais seraient un emprunt aux traditions bretonnes ou angevines s’il faut en croire David Hanna. Poussant plus loin son analyse, le professeur de géographie urbaine souligne que certaines maisons de ferme du XVIII e siècle possédait un escalier extérieur latéral afin d’avoir accès à l’étage de service et au grenier. Cet usage aura favorisé, par la suite, l’apparition de ce duplex si caractéristique de l’ère victorienne. Il est toujours possible de pouvoir admirer cette forme d’habitation sur la rue Montcalm, dans le Faubourg Québec.
Cette typologie comporte son lot de composantes architecturales qui commandent une approche de la rénovation attentive et respectueuse. Le coloré conférencier tient à préciser que c’est véritablement l’usage qui déterminera la forme de nombre d’habitations empruntant leur typologie aux usages en cours en Grande-Bretagne.
L’art de la restauration
C’est le respect des caractéristiques d’origine qui pourrait bien constituer le cœur des nouvelles approches dans le domaine de la restauration des édifices patrimoniaux et ce, peu importe l’époque ou le style. Avec un net préjugé pour la lisibilité des composantes architecturales, cette mouvance rejette le camouflage ou le pastiche. On n’imite pas des composantes ou des éléments ornementaux sans s’être, au préalable, documenté sur l’histoire d’une propriété en vue de sa restauration. Et, les nouveaux matériaux ou techniques employés ne devraient pas entraîner des modifications irréversibles qui nuiront au caractère ou à la condition du bâtiment.
Un autre conférencier invité, l’architecte et inspecteur en bâtiment Peter Bishin, n’hésite pas à parler d’une «science de la construction». En fait, il faudrait «considérer nos vieilles demeures comme un véritable système constructif», une idée qui avait été défendue par Viollet-le-Duc, un architecte et théoricien français du XIXe siècle réputé pour son approche de la restauration des édifices médiévaux.
Chaque composante du programme architectural peut être vue comme un sous-système : ainsi la forme d’une toiture déterminera les systèmes d’évacuation des eaux. Il est donc primordial de déterminer le système constructif d’un édifice avant d’envisager quoi que ce soit. S’agit-il d’une maçonnerie porteuse, d’un système pièce-sur-pièce ou d’un ensemble de poutres en bois assemblées à tenon et mortaise ?
L’approche «cause à effet»
Peter Bishin défend une approche de «cause à effet» qui permet de déterminer les véritables symptômes de dégradation et de poser un diagnostic adéquat par la suite. Ainsi, les infiltrations d’eau à l’intérieur d’un mur du sous-sol pourront être causées par une mauvaise connexion des drains dans le cas où la toiture de deux triplex ne serait pas séparée par un mur coupe-feu.
Les détails de finition de la toiture – comme des ardoises dont l’ancrage métallique peut être attaqué par la corrosion – sont importants, sans oublier le système d’isolation et de ventilation des combles. Il nous rappellera à ce sujet que «la ventilation d’un grenier réduira la formation de la glace sur la toiture et qu’une isolation adéquate permettra d’améliorer l’efficacité énergétique de votre habitation».
En outre, il est primordial de déterminer le niveau d’infiltration de l’eau des sols sur lesquels reposent les fondations. De même, il sera utile de connaître aussi la pente du terrain, des détails qui ont leur rôle à jouer au niveau de la détérioration des fondations. C’est bien simple : toutes les composantes structurelles d’une fondation doivent être passées en revue en phase d’inspection.
À l’intérieur, il faut être attentif aux fissures dans les murs et plafonds, sans oublier les portes ou les fenêtres qui se coincent. Des symptômes qui peuvent montrer du doigt les mouvements de la structure qui auraient été causés par un affaissement des sols par exemple. Dans le même ordre d’idées une peinture extérieure boursouflée ou un revêtement de stuc endommagé trahiront des infiltrations d’eau.
Le colosse aux pieds d’argile
En fait, cette approche fait grand cas de l’interrelation de tous les éléments constructifs en lice. Le bâtiment peut être aisément comparé à un corps humain, un système dynamique où chaque composante a son rôle à jouer. Ainsi, le mortier devrait être toujours plus souple que la brique qu’il scelle. Le mortier à base de chaux est le plus indiqué à cet effet.
Le prochain conférencier invité, l’architecte Fernando Pellicer, est expert en conservation historique depuis 22 ans. Il a œuvré sur de nombreux bâtiments historiques classés, tels la Basilique St-Patrick (1847), le Marché Bonsecours (1851), l'Édifice du parlement du Québec (1879) et l'Édifice de l'Est de la colline parlementaire d'Ottawa (aile 1867). Il est réputé pour son expertise au niveau de l’enveloppe des bâtiments anciens.
Sa présentation, intitulée Foundations and structure, faisait grand cas de l’importance de l’interrelation entre une fondation et la structure qui y est ancrée. Il convient donc d’identifier avec acuité la pente et la composition d’un terrain, le type de fondation et son drainage avant de passer à autre chose. Le sens des lézardes dans un mur de maçonnerie indiquera la direction prise par les transferts de charge.
Dans le même ordre d’idées, des fenêtres non alignées peuvent désigner un problème de transferts de charge et la même logique s’applique pour l’emplacement des portes à l’intérieur. Il faut prêter une attention méticuleuse aux linteaux et autres arches qui supportent et transfèrent les charges de part et d’autre des percements extérieurs.
Certaines fondations subissent les pressions latérales du terrain en présence ou seront endommagées par des sols argileux en mouvement. Il conviendra donc de mener une évaluation des sols afin de poser un diagnostic adéquat et de recourir, au besoin, à des mesures de renforcement des fondations. Dans certains cas on recommande de creuser sous le niveau original, de couler de nouvelles semelles à l’intérieur des murs de soutènement et d’ériger un muret permettant d’empêcher que l’ancienne fondation ne s’enfonce à nouveau.
Un corps sain dans un esprit sain
Président d’Écohabitation, Emmanuel Cosgrove a été élevé dans une famille d’entrepreneurs et sa maison fut la première rénovée au pays à obtenir la certification LEED de niveau platine. C’est un consultant fort apprécié dans le domaine de la construction écologique résidentielle. Il n’hésite pas à souligner l’importance de «l’empreinte écologique des édifices, dans un contexte où l’industrie de la construction serait responsable d’environ 50 % des sources de pollution de la planète». Rejoignant la philosophie de Ron Rayside, il estime qu’il est essentiel d’éviter le gaspillage puisqu’une grande part des déchets de construction se retrouvera à l’incinérateur ou dans les sites d’enfouissement.
Mais, il faut aussi tenir compte de la santé des futurs occupants d’une unité d’habitation. Hormis leur efficacité énergétique déficiente, les maisons traditionnelles étaient beaucoup plus saines s’il faut en croire le responsable du volet Sustainable Development de la série. En effet, les revêtements de linoléum, les armoires en bois véritable ou le plâtre de Paris contenaient peu ou pas de matériaux toxiques.
C’est avec cette considération en tête qu’il recommande de restaurer les composantes d’origine ou de se procurer des matériaux le plus naturels possibles et qui n’auront pas nécessité un cycle de production trop dommageable pour l’environnement. Une rénovation faite dans cet esprit redonnera vie à une maison laissée pour compte. C’est ici qu’il faut prendre en considération la provenance et la qualité des composantes employées, mais tout autant les façons de faire sur le chantier. En effet, le réemploi d’éléments existants et une maximisation des stratégies d’économie d’énergie permettront de bonifier le projet.
M. Cosgrove estime qu’il est primordial de prendre en compte l’orientation d’une maison afin de tirer le meilleur parti possible de son niveau d’ensoleillement. C’est le côté sud qui devrait être le plus exposé et normalement une fenestration adéquate permettra aux rayons du soleil de pénétrer en profondeur. Il recommande d’ailleurs d’utiliser à l’intérieur des matériaux de revêtement massifs qui permettront cette précieuse énergie. L’addition d’une véranda ou d’un portique vitré pourra justement agir comme une stratégie de maximisation de l’ensoleillement, mais il faudra aussi porter attention au rendement énergétique des fenêtres.
Contrairement à bien des idées reçues, l’emploi de sources énergétiques d’appoint n’est pas une mesure prohibitive. Un système solaire pour la production d’eau chaude pourra être rentabilisé dans une période allant de 6 à 15 ans, selon M. Cosgrove. Par ailleurs, les mesures de captations des eaux pluviales, de réutilisation des eaux grises pour le jardinage ou d’économie de l’eau potable utilisée dans les salles d’eau seraient à la portée de toutes les bourses.
Un plan de rénovation s’impose
Ron Rayside nous aide à gérer un projet de rénovation par le biais d’une présentation qui table, d’entrée de jeu, sur une bonne communication entre le client et l’ensemble des professionnels appelés à intervenir. L’obtention d’un diagnostic fiable représente, certes, la pierre d’achoppement d’une entreprise de rénovation consciencieuse. C’est ce qui permettra de déterminer la séquence des travaux et d’identifier les intervenants avec lesquels vous devrez transiger. Aussi, ne jamais oublier d’obtenir toute la documentation nécessaire à l’obtention d’un permis de construction et tenir compte des changements de zonage si votre projet modifie les gabarits de l’édifice.
Certaines rénovations sont impossibles à gérer de son propre chef. Il faut donc faire appel à un entrepreneur général qui s’occupera de la coordination et de l’exécution des travaux. La consultante Nancy Dunton, membre du Comité Patrimoine et Aménagement et administratrice d’Héritage Montréal, souligne qu’un entrepreneur général est en mesure d’obtenir des escomptes sur l’achat de matériaux ou d’avoir un pouvoir de négociation non négligeable avec les sous-traitants. Et, non des moindres, cet intervenant connaît le code du travail et toutes les questions afférentes à la santé et sécurité sur un chantier.
Madame Dunton précise le rôle des professionnels à mettre à contribution : «un architecte vous aidera à déterminer l’approche adéquate en fonction de l’histoire de votre demeure, alors qu’un ingénieur en structure validera les déplacements des portées dans le cas d’ouvertures ou d’agrandissements planifiés». Et, c’est bien connu, une entente claire et concise évitera bien des désagréments par la suite. Dans certain cas un architecte pourra exiger des honoraires qui se situent entre 12 % et 15 % des coûts de rénovation. D’autres professionnels exigeront plutôt un taux horaire qui peut être négociable. Finalement, n’oubliez pas de décortiquer les phases du projet avant d’entreprendre quoi que ce soit.
Une mauvaise compréhension de la logique constructive pouvant entraîner de coûteuses erreurs difficiles à réparer par la suite. Héritage Montréal prépare sa prochaine série de conférences en français et en anglais sur la rénovation qui aura lieu au printemps prochain.
Pour en savoir davantage, visitez le site www.heritagemontreal.org ou contactez Héritage Montréal par téléphone au (514) 286-2662 ou par courriel à l’adresse suivante : renovation@heritagemontreal.org