La journaliste scientifique Ève Beaudin, reçoit Marie-Ève Carignan, professeure en information, journalisme et communication publique à l’Université de Sherbrooke et co-titulaire de la Chaire Unesco en prévention de la radicalisation et de l’extrémisme violent. La discussion se concentre sur l'augmentation et l'efficacité de la désinformation et du climatoscepticisme sur les plateformes numériques.
Source : https://sciencepresse-detecteurderumeurs.transistor.fm/s4/34

Résumé de Gemini AI
La discussion met en lumière la gravité de la situation médiatique et numérique en invitant le professeur Carignan, dont les travaux se concentrent sur la désinformation, l'extrémisme et la radicalisation. L'objectif principal de cet épisode est de répondre à plusieurs questions fondamentales : pourquoi les discours climatosceptiques prolifèrent-ils en ligne, qui les diffuse, et comment ces arguments ont-ils évolué pour s'adapter à la réalité scientifique ?

1. La montée en puissance du déni climatique sur les réseaux sociaux
Le point de départ de la discussion est l'inquiétante constatation que les publications niant ou minimisant la crise climatique génèrent un engagement et une visibilité disproportionnés sur les réseaux sociaux par rapport aux contenus scientifiques fiables. Une analyse citée au cours de l'épisode (menée par le média Tortoise entre 2021 et 2024) révèle une augmentation frappante de ce type de contenu : les publications climatosceptiques auraient grimpé de **43 % sur X (anciennement Twitter) et de 82 % sur YouTube**. Ces chiffres mettent en évidence l'échec des algorithmes et des politiques de modération à contenir efficacement la propagation de fausses nouvelles climatiques.

Marie-Ève Carignan explique que cet engagement élevé s'explique par la nature émotionnelle et sensationnaliste de ces publications. La désinformation climatique capitalise sur la peur, l'identité et la méfiance envers les institutions (gouvernements, médias, scientifiques). Les plateformes numériques, conçues pour maximiser l'interaction, favorisent ainsi mécaniquement les discours polarisants et extrêmes, au détriment de l'information nuancée et factuelle.

2. L'évolution de la stratégie du doute
L'un des apports majeurs de l'épisode réside dans la démonstration de l'évolution des arguments climatosceptiques au fil du temps. Historiquement, le déni climatique se concentrait sur la négation pure et simple de la réalité du réchauffement. Cependant, face à la masse de preuves scientifiques irréfutables et aux événements climatiques extrêmes de plus en plus fréquents (feux de forêt, inondations, sécheresses), les discours ont dû se complexifier :

* De la négation à l'attribution : La rumeur ne porte plus sur l'existence du réchauffement, mais sur ses causes. Elle cherche à remettre en question le rôle humain, pointant plutôt du doigt les cycles naturels ou des facteurs astronomiques.
* La remise en cause des solutions : Une nouvelle tactique consiste à discréditer les efforts d'atténuation. Les climatosceptiques insistent sur le coût économique prohibitif de la transition écologique, la futilité des actions individuelles, ou prétendent que les énergies renouvelables sont intrinsèquement inefficaces ou dangereuses.
* Les arguments de la confusion : Des affirmations simplistes et trompeuses sont utilisées pour semer le doute, comme l'idée que le CO2 est uniquement une « nourriture pour les plantes », ignorant son rôle d'agent de réchauffement en quantité excessive.
* L'instrumentalisation des désastres naturels : Les événements climatiques extrêmes sont souvent des occasions pour les désinformateurs de propager des fausses nouvelles (comme le rôle présumé des éoliennes dans les pannes de courant au Texas) ou d'anciennes rumeurs récurrentes (comme la photo d'un requin sur une autoroute inondée).

3. Les racines idéologiques et la manipulation
La professeure Carignan insiste sur le fait que l'adhésion au déni climatique n'est pas simplement due à uneméconnaissance de la science. Les racines sont souvent idéologiques et profondes. Le déni climatique est intimement lié à d'autres formes de désinformation et d'extrémisme :
* Identité et tribalisme : Pour certains individus, adhérer au climatoscepticisme devient un marqueur d'identité politique, souvent associé à une méfiance envers l'État, les élites scientifiques et le « système ».
* La stratégie du doute orchestré : L'épisode rappelle le rôle historique des multinationales des carburants fossiles. Depuis des décennies, ces industries ont financé des groupes de réflexion et des campagnes de relations publiques pour semer délibérément le doute sur la science du climat. Ces efforts, découverts grâce à des fonds d'archives, ont souvent ciblé des publics spécifiques pour freiner toute réglementation environnementale.
* Le complotisme : Pour une part des adeptes, le réchauffement climatique n'est pas seulement un phénomène naturel, mais une ruse orchestrée par des gouvernements ou des organisations mondiales pour contrôler les populations ou imposer une idéologie.

4. Les conséquences : de l'intimidation au blocage du dialogue
L'impact de cette désinformation est lourd, allant au-delà de la simple opinion erronée. Le balado souligne les conséquences concrètes :
* Effet sur les politiques publiques : En créant une fausse équivalence entre le consensus scientifique et les voix dissidentes, la désinformation paralyse le débat et retarde l'adoption de mesures urgentes contre les changements climatiques.
* Harcellement des professionnels : L'épisode mentionne des cas de météorologues et de journalistes qui ont subi des menaces de mort et du harcèlement après avoir simplement couvert les changements climatiques, forçant certains à démissionner.
* Incapacité à dialoguer : L'experte Jennie King, citée dans le contexte, rappelle que le danger n'est pas tant que les gens aient des opinions déplaisantes, mais plutôt « notre incapacité à avoir un dialogue de bonne foi sur ces questions absolument critiques pour les années à venir ».

5. Conclusion et outils pour contrer la désinformation
L'épisode conclut en insistant sur la nécessité d'outiller le public. Face à des stratégies de désinformation sophistiquées, la simple accumulation de faits scientifiques ne suffit plus. Il est crucial d'enseigner la littératie médiatique et informationnelle.

L'équipe du Détecteur de rumeurs et Marie-Ève Carignan invitent les auditeurs à se concentrer non pas sur la réfutation de chaque rumeur individuelle, mais sur l'identification des stratégies de manipulation : chercher la source, vérifier l'expertise et la crédibilité de l'auteur, et analyser les motivations sous-jacentes à la diffusion de l'information. C'est en comprenant pourquoi et comment la désinformation est créée qu'on peut s'armer contre ce phénomène qui menace à la fois la santé publique et la capacité de la société à répondre à la crise climatique.

POUR EN SAVOIR PLUS SUR LE SUJET :
Rapport de la Chaire Unesco Prev sur la désinformation climatique (mars 2025) : https://chaireunesco-prev.ca/rapport-desinformation-et-deni-climatique-revue-de-la-litterature-et-portrait-de-la-situation-au-quebec/