
C'est un projet de vie qui a commencé durant les années '70 par la cueillette de nombreux articles sur l’habitation de Jacques Drapeau, du journal Le Soleil de Québec, ainsi que des articles de La Presse. J'avais déjà un plan de maison élaboré par une étudiante en architecture que j'avais mis sur pause.
Au moment de construire notre maison sur le bord du lac à Lac-Etchemin, j'ai sorti mon dossier accumulé et constaté que le nom de Christian Ouellet revenait souvent. Mon épouse constate en septembre '85 que cet architecte donne un cours sur l'autoconstruction à l'Université Laval. J'ai suivi ce cours de 12 jours et été emballé par l'aventure. J'ai toujours aimé comprendre et m'impliquer dans mes projets. Quelle occasion en or avec un homme si compétent et si bon enseignant! Il n'était pas avare de commentaires toujours justifiés par des exemples et des explications faciles à comprendre.
Un de mes oncles, entrepreneur en construction à la semi-retraite, était disponible ainsi que nos deux fils âgés de 17 et 15 ans. Je trouvais brillant d'aller chercher l'énergie gratuite du soleil grâce à une architecture solaire passive. C'était parfaitement en accord avec ma philosophie de vie, à savoir faire beaucoup avec qualité et le minimum de ressources. J'étais un assez bon bricoleur, surtout en mécanique automobile en démontant et remontant de petites voitures Citroën. J'ai toujours aimé faire le plus possible par moi-même.
Christian et Estelle [sa conjointe et associée architecte] étaient très intéressés par mon projet de construction. Nous nous sommes entendus sur des honoraires que mon entourage considérait comme excessifs. On me considérait un peu cinglé d'engager un architecte pour élaborer un plan de maison. Personne ne fait ça, disait-on!
Mon épouse et moi avons adoré la démarche de nos architectes. Ils sont venus s'installer durant une semaine en décembre 1985 dans un chalet près de chez nous et sont venus souper deux soirs. Ils nous ont fait parler de ce qu'on avait aimé ou pas dans les différentes habitations que nous avions connues. Par la suite, ils nous ont présenté deux esquisses que nous avons largement commentées. Ils sont partis avec le plan du terrain et nous ont donné rendez-vous à Montréal au cours de l'hiver '86. Pour cette rencontre, ils avaient préparé une maquette de la maison projetée. D’autres échanges justifiant leurs démarches ont suivi et nous avons accepté leur projet.
Les plans sont élaborés et la construction commence fin mai '86. On entre dans la maison, pas terminée mais habitable, le 31 octobre de cette même année. En voici les détails, plus poussés que ceux présentés en 1988 dans l’hebdomadaire Habitabec où l'éditeur de La Maison du 21e siècle, André Fauteux, s'est initié pendant cinq ans à la construction saine et écologique.
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Architecture
C'est une maison solaire passive de 1975 pieds carrés excluant le sous-sol. De style post-moderne, elle est inspirée de la norme d’efficacité énergétique R-2000 mais n’a pas été certifiée par ce programme fédéral parce qu'il aurait fallu que la construction soit réalisée par un entrepreneur certifié. Le terrain fait 90 000 pieds carrés en pente vers une façade de 602 pieds sur le lac qui est au nord. « Pour aller chercher à la fois le maximum d’ensoleillement et de vue sur le lac, Christian a dû prévoir la maison sous une forme triangulaire et prévoir deux pignons. Plusieurs sous-traitants se montraient intrigués par une telle forme de maison, surtout en raison des pertes de matériaux.
Le soleil entre à profusion (nous n'avons aucun rideau), particulièrement par les deux pointes dont une donne sur le salon et l'autre sur la chambre des maîtres. Il y a 34 fenêtres et portes (en bois ou PVC pour le solarium) fabriquées par MQ, dont la majorité font face au sud évidemment.

Le solarium, aussi orienté franc sud, est doté d’une toiture en verre double trempé. C’est une véritable source de chaleur. Même en janvier, par un froid de -20 °C mais une journée pleinement ensoleillée, il peut faire jusqu'à 25 °C dans cette pièce non chauffée autrement. Cet air surchauffé est aspiré par un ventilateur installé au sous-sol et circulé dans son plancher de béton super isolé à travers un tuyau de poêle de 6 po qui évacue l’air chaud dans un coin nord du sous-sol.
Quand nous sommes à la maison, une autre grande partie du chauffage est assurée dans le salon par un foyer au bois Beausoleil. Ce foyer à combustion lente très puissant est super efficace : ses gaz de première combustion passent dans un tuyau de fonte où se produit une deuxième combustion qui minimise les risques de formation de créosote à l’origine des feux de cheminée. Il repose sur un plancher de béton de 6 po et est entouré sur une hauteur de 5 pi d'un mur de blocs de béton de 4 po fini en gypse. L'air chaud chemine vers le toit cathédrale, où se trouve une grille qui aspire cet air chaud par un autre ventilateur situé dans le sous-sol et le fait circuler dans le plancher du vide sanitaire par un tuyau de 6 po qui débouche dans un autre coin du sous-sol.
Il y a plusieurs masses thermiques outre le plancher du foyer, à savoir tout le solage isolé par l'extérieur, le plancher du solarium et de la cuisine (4 à 6 po de béton).

L'excellente ventilation permet la circulation d'air de sorte qu'il n'y a jamais d'odeur d'humidité dans le demi-sous-sol. Cette ventilation ainsi qu'un ventilateur récupérateur de chaleur (VRC) et sa répartition de récupération et de diffusion a été pensée par un partenaire de M. Ouellet, Michel Beaulieu, qui fut jadis directeur technique de la Corporation des maîtres mécaniciens en tuyauterie du Québec. Quant au VRC, je l'ai construit moi-même à partir du plan de l'inventeur saskatchewanais que m'a procuré M. Ouellet. En 1986, il y avait plusieurs propositions de VRC en vente, mais aucun n'équivalait au concept de l'ingénieur de la Saskatchewan qu'un résident de Québec avait aussi appliqué.
Le sous-sol est aussi très éclairé par une porte entièrement vitrée ainsi que deux fenêtres du côté nord et une autre, plus petite, du côté ouest. Il s'agit d'un demi-sous-sol parce que du côté nord, la porte de sortie est au niveau du sol.
La maison est aussi équipée d'un chauffage électrique par pellicule radiante ESWA posée dans les plafonds de toutes les pièces, sauf du sous-sol où il y a des plinthes électriques. Elles ont toujours bien fonctionné malgré que certaines autres marques aient provoqué des incendies, incitant la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) à ordonner leur débranchement et à interdire leur installation, en 1994. D’ailleurs, Desjardins n'a jamais voulu m'assurer à cause de la présence de cette pellicule pourtant tout à fait sécuritaire et encore vendue en Europe.

Les murs de la maison sont à double ossature, soit une structure extérieure de 2x4 po, un espace de 4 po et un mur intérieur de 2x3 derrière le gypse. Chacun de ces trois espaces est rempli de laine de verre. L’intérieur des murs extérieurs est revêtu d’un pare-air/vapeur en polyéthylène de 6 mil de po posé à l’extérieur des 2x3 (sur les 8 po d’isolant) étanchéifié au scellant acoustique. Ce même produit est aussi présent dans tous les joints murs-plafonds-fenêtres, de sorte que l’infiltration d’air est minimale. Tous les fils, prises de courant et tuyaux de plomberie et de ventilation ont été installés dans le mur en 2x3.

Le revêtement mural extérieur est en bois traité Goodfellow teint avec la teinture alkyde Sikkens (aujourd’hui SICO ProLuxe) aux 6 à 8 ans selon l'exposition au soleil ou non. Ce bois traité était garanti 40 ans. Il a actuellement 39 ans et ne présente aucune détérioration. Construit en 1995 et également en excellente condition, le garage est revêtu de bois brut enduit de la même teinture Sikkens.
La toiture est fermée par une membrane élastomère Soprema. C'est M. Ouellet, architecte avant-gardiste qu'il était, qui m'avait suggéré ce produit alors nouveau sur le marché québécois. Je l’ai soudée moi-même grâce aux conseils d’un représentant de ce fabricant français (il fallait appliquer un apprêt liquide sur le contreplaqué pour faciliter son adhésion). C'était une des premières résidences québécoises à être dotée de ce produit. Des photos ont été prises à des fins publicitaires à la demande de Soprema qui finalement ne les a jamais utilisées. Plusieurs couvreurs ont provoqué des feux avec cette soudure qui se faisait directement sur bois. À mon avis, ce fut dû à un manque de précaution ou de connaissances, voire à de l’incompétence, ce qui a incité la RBQ à interdire le soudage de telles membranes sur bois. Un bulletin technique de Soprema le précise : « Dans tous les cas, des panneaux de recouvrement non combustibles et des écrans pare-flammes doivent être utilisés afin d’éviter le contact de la flamme avec les matériaux combustibles. »
La durée de vie de la première procédure d’installation était de 40 à 50 ans, selon Hélène Parent, qui était représentante chez Soprema, alors que la deuxième procédure dure à peine 25 ans. Mon garage est recouvert de la même membrane avec la deuxième procédure. Elle poche sous l'effet du soleil alors que sur la maison tout est stable comme à l'origine. Mais à l'usage, il y a deux inconvénients, soit la perte de granules et les coulisses noires sur le fond gris, donc inesthétique. J'ai toutefois réussi l'été dernier à éliminer ces coulisses à l'aide d'un pulvérisateur d’eau avec un impact marginal sur les granules. Quant à ces derniers, il ne semble y avoir rien à faire car il est impossible d’en remettre sur une grande surface. La membrane elle-même m'apparaît toujours impeccable et selon moi, elle est bonne encore pour de nombreuses années.
J'ai reçu des avis horribles sur cette membrane de la part de couvreurs, dont un présent à l’Expo Habitat de Montréal, au printemps 2023, ainsi que d'un architecte. Selon le premier, il faudrait clouer et souder une membrane de finition sur la membrane actuelle, mais cela ne vaudrait que pour une toiture à pente légère. Comme vous pouvez le voir sur les photos, j'ai des pentes fortes. Donc inapplicable selon cette importante firme de la région métropolitaine. Quant à l'architecte, je l’ai fait venir de Québec pour le coût de 3 500 $ pour mettre à jour les caractéristiques solaires passives de ma maison, en particulier la fenestration, tel que l’a suggéré à l’origine M. Ouellet. Selon cet architecte, il aurait fallu enlever toute la toiture à partir du contreplaqué puisque la membrane ne se dessoude pas du contreplaqué, réinstaller un autre contreplaqué, clouer une première membrane et souder la membrane de finition. Pour lui cependant, les pentes ne créaient pas de problème. Devant tant d'opinions si diverses et très coûteuses, l’automne dernier j'ai fini par retrouver Hélène Parent, qui était devenue directrice adjointe aux ventes chez Soprema et qui prendra sa retraite cette année. Elle m'a confirmé :
1) que ma toiture était la meilleure de Soprema, avec une durée de vie de 40 à 50 ans et
2) qu'il était possible de souder une autre membrane de finition directement sur l'actuelle. Vous voyez la différence de coût vs tout arracher! Elle m'explique que devant les nombreux feux qui ont eu lieu lors de la pose de cette membrane, la RBQ et les assureurs des couvreurs ont exigé que seuls les couvreurs accrédités peuvent installer cette membrane mais sans la souder directement sur le bois. Donc pas surprenant que les architectes et couvreurs qui n'étaient pas dans le décor à l'époque soient ignorants de cette procédure. Soprema est basé à Strasbourg, en France. L’installation actuelle prévoit une première membrane clouée sur le contreplaqué sur laquelle est soudée la membrane de finition de sorte qu’en fin de vie, après 25 ans selon les assurances, on envoie le tout au dépotoir alors que sur l’ancienne, on n’enlève rien : on soude par-dessus jusqu’à quatre ou cinq couches bonnes pour 40 à 50 ans chacune, soit de 200 à 250 ans avant le dépotoir. De l’écologie avant son temps prévue par Christian Ouellet!
Les fenêtres en bois de MQ sont oscillo-battantes avec quincaillerie allemande. Elles fonctionnent toujours très bien et sont en excellente condition. J'ai eu à changer une dizaine de thermos sur 34 et reteint le bois quatre ou fois en 39 ans.

Christian Ouellet m'avait mentionné qu'il y aurait probablement de meilleures fenêtres dans 25 ans en raison du verre double clair peu isolant car sans gaz isolant ni pellicule faible émissivité. Elles ont une résistance thermique de R-2 au centre du vitrage alors qu'aujourd'hui Isothermic, par exemple, en fabrique des R-7, idéale pour les fenêtres au nord car elles minimisent les pertes de chaleur (ainsi que les gains solaires qui y sont inexistants).
Coûts d'énergie
Le chauffage est triple mode, soit solaire, électrique et bois. Il nous en coûte actuellement environ 1 100 $ en électricité et 700 $ en bois pour un total de 1 800 $ annuellement. Lors de l'implantation de la maison en 1986, il y avait beaucoup de sapins et d'épinettes d'une trentaine d'années qui, en grandissant, ont fait que notre maison était de moins en moins solaire passive. À l'automne 2000, en raison de la maturité des arbres et sur la recommandation de deux ingénieurs forestiers, nous avons obtenu un permis d'abattage de tous les résineux. Le coût annuel de chauffage a alors baissé du tiers, soit de 2 700 $ à 1800 $!
Il y a très peu de surchauffe en été en raison de l'orientation idéale de la maison et de son vitrage (M. Ouellet est venu lui-même planter les piquets des fondations) et aussi de larges corniches qui font que le soleil d’été pénètre très peu dans la maison en mi-journée.
La ventilation assure un bon déplacement d'air entre le sous-sol et les étages. Nous n'avons pas besoin de climatisation. Lors des canicules de plus de trois jours, il nous est arrivé quelquefois de dormir au sous-sol, toujours frais, où nous y avons deux chambres.

Notre appréciation
M. Ouellet nous avait dit qu'on ne quitterait jamais cette maison. Il avait bien raison. En 1990, j'ai cessé de travailler à Lac-Etchemin et j'ai alors choisi de voyager au quotidien durant sept ans dans les régions de Québec et Chaudière-Appalaches dans le cadre d'un autre emploi. En 1997, j'ai changé d'orientation de carrière. Mon lieu de travail était alors à la maison avec beaucoup de déplacements en région.
Mon épouse et moi sommes originaires de la région de Québec et notre intention a toujours été de retourner à Québec après avoir vécu aussi à Montréal, Toronto et en Outaouais.
Ce qui nous a retenu à Lac-Etchemin, c'est surtout le grand terrain sur le bord du lac et bien sûr notre confortable maison autoconstruite avec nos enfants et la famille élargie.
Cet attrait est tellement fort que même aujourd'hui, alors que j’ai 84 ans et ma conjointe près de 81, nous ne parvenons pas à décider du moment de notre retour à Québec, où se trouvent nos familles et beaucoup d'amis. On sait qu'on ne retrouvera jamais un lieu de résidence équivalent.
En résumé
Cette maison est pour nous un projet de vie dont nous sommes très fiers.
Moi qui ai toujours aimé faire le plus possible par moi-même, j'en ai eu pour mon argent! J'aime bricoler et bâtir depuis mon enfance. J'ai tant joué avec le jeu de mécano que vous connaissez probablement. Il y avait place à la créativité.
Suivre les cours d’autoconstruction dans un domaine que je connaissais peu a été une occasion d'épanouissement personnel malgré les nombreuses embûches en cours de route. M. Ouellet nous avait prévenus contre le risque de séparation des couples qui se lancent dans un tel projet. Le nôtre a survécu, mais en avril 1987, alors que nous étions encore dans les travaux de finition, nous en avions plein notre casque. Nous avons alors décidé de prendre des vacances dans le Sud pour détendre l'élastique. Sage décision. Ces travaux ont été faits alors que nous étions chacun à notre travail, ma conjointe comme infirmière et moi comme gestionnaire de CLSC.
Nous connaissons notre maison par cœur. Nous n'avons éprouvé aucun vice de construction et fait que des corrections mineures.
Nous sommes fiers de notre réalisation. Si c'était à refaire, nous le referions.

Le plan de maison est une conception d'avant-garde mettant à profit l'éclairage et la chaleur gratuits du soleil. Nos visiteurs qui viennent pour la première fois sont souvent ébahis par la luminosité. Le fait aussi que nous n'ayons pas de rideaux (non nécessaire en raison de la surface du terrain qui fait que les voisins sont hors de portée de notre intimité) nous donne l'impression de faire partie de la nature environnante.
La maison tire profit du maximum de soleil qui entre à profusion pour la chauffer, tout en stockant une partie de cette énergie vers les masses thermiques qui réduisent les pertes de chaleur durant les surchauffes (plus l’air est chaud, plus il monte vite, augmentant les pertes thermiques par effet de cheminée).
En raison de sa disposition sur le terrain par rapport au soleil et des corniches, il n'y a pas de surchauffe en été, mais le soleil pénètre davantage au cours des autres saisons. Nous n'avons pas besoin de climatisation ni de thermopompe; une autre économie.
Le foyer Beausoleil placé dans le salon est une source de chaleur extraordinaire. Nous aimons ce type de sensation par grands froids. L’ascenseur tout près du foyer permet de monter de grosses bûches : le foyer peut prendre facilement des bûches de 8 à 10 po de diamètre et de 20 po de long.
En plus de capter la chaleur du soleil, le solarium est une pièce vraiment appréciée, surtout au printemps et à l'automne. Nous avons l'impression d'être encore davantage dans la nature.
Nous apprécions quatre fenêtres en particulier, soit celles dans la chambre des maîtres qui donnent sur le lac. Le bas des fenêtres est à un pied du plancher, de sorte qu'au réveil tout en restant couchés, on n'a qu'à ouvrir un œil pour profiter de la magnifique vue qui nous attache à cette maison depuis bientôt 40 ans…

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