
Le brutalisme, ce style architectural apparu dans les années 1950 au Royaume-Uni, dans le cadre des projets de reconstruction de l’après-guerre, et tant décrié pour ses formes surdimensionnées en béton brut et son esthétique utilitaire, a finalement rejoint Hollywood. Il y a quelques mois, André Fauteux et moi-même avons eu le plaisir de visionner The Brutalist, un film épique de trois heures et demie qui a valu un deuxième Oscar du meilleur rôle masculin au magistral acteur américain Adrian Brody.
J'avais de grandes attentes pour The Brutalist, m’attendant à voir des plans magnifiquement détaillés de l'architecture brutaliste (voir de nombreux exemples spectaculaires ici), espérant ressentir la poésie du minimalisme, les jeux de lumière, la beauté brute des matériaux apparents.
Toutefois, j'ai été déçue. Je m'attendais à un niveau de maîtrise cinématographique à la hauteur de l'esthétique et de la philosophie de l'architecture brutaliste qui a régné sur tant de grands chantiers publics des années 1950 aux années 1970. Toutefois, ce que j'ai vu était loin de cela. L'architecture semblait secondaire, presque accessoire, plutôt que véritable protagoniste visuel et thématique du film.

Adrian Brody interprète László Tóth, un architecte juif-hongrois formé à l’école d'architecture et des arts appliqués du Bauhaus en Allemagne. Fondée en 1919 et fermée en 1933 par les nazis qui estimaient qu’elle enseignait un « art dégénéré », l’école du Bauhaus est devenue au fil du temps le symbole de l’architecture moderniste toujours populaire de nos jours.
Tóth arrive seul en Pennsylvanie après la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle il a été séparé de sa femme. Le film dépeint son parcours pour relancer sa carrière après avoir obtenu le mandat de construire un centre communautaire et une chapelle — qui prendra la forme du camp de concentration nazi où il a été détenu, comme on l'apprend vers la fin du film — en utilisant l'architecture brutaliste.
Le brutalisme est caractérisé par l'utilisation de matériaux apparents comme le béton brut, par ses dimensions imposantes, ses formes géométriques audacieuses, ses surfaces rugueuses, la répétition de certains éléments comme les fenêtres et son esthétique utilitaire. Ce style privilégie la construction et la fonctionnalité au détriment de l'ornementation, ce qui lui donne souvent un aspect austère, voire menaçant. Lorsqu’il est utilisé dans des films, c’est souvent pour dépeindre des milieux dystopiques, des régimes oppressifs et la nature froide et impersonnelle de la vie moderne.

Le film s'inspire clairement d’un des projets architecturaux de Marcel Breuer, un designer hongrois d'origine juive devenu architecte moderniste qui s'est installé aux États-Unis avant la guerre. Au début des années 1950, Breuer a été chargé de concevoir, tout comme Toth, une immense église construite sur une colline — l'église abbatiale Saint-Jean — mais au Minnesota plutôt qu'en Pennsylvanie. Contrairement au film, ses clients étaient des moines bénédictins et non pas un industriel millionnaire.

Après avoir suivi une formation au Bauhaus en Allemagne avant d'émigrer aux États-Unis, Breuer est devenu un fervent défenseur du brutalisme, tout comme ses contemporains, Walter Gropius et Ludwig Mies van der Rohe (concepteur du Westmount Square), qui ont émigré en Amérique en 1937. Ils ont mené des carrières très fructueuses, façonnant l'architecture moderne du 20e siècle.
Le nom « brutalisme » vient du mot français « brut », qui signifie « non traité », reflétant l'importance d’exposer les matériaux bruts comme le béton et de mettre l'accent sur la fonction, la simplicité et le rejet de l'ornementation.
Il faut toutefois rendre à César ce qui est à César. Les architectes britanniques Alison et Peter Smithson sont reconnus pour avoir été parmi les premiers à établir ce style architectural en Anglerterre après la guerre. De plus, des architectes modernistes comme le Franco-Suisse Charles-dpiard Jeanneret-Gris, dit Le Corbusier, l'Allemand-Américain Mies van der Rohe et le Finlandais Alvar Aalto, ont grandement influencé le mouvement brutaliste et contribué à l’établir à travers le monde. Le Corbusier, en particulier, reconnu pour son utilisation du béton brut et l'importance qu'il accordait à la fonctionnalité et au rationalisme, est considéré comme une influence majeure. Il a notamment créé le concept d'unité d'habitation, dont le premier exemple est la Cité Radieuse, à Marseille.

Le film utilise l'architecture brutaliste comme toile de fond pour explorer les thèmes de l'immigration, de l’antisémitisme, du génie créatif et de l'ambition artistique, ainsi que le choc entre les cultures européenne et américaine.
Malheureusement, malgré une réalisation léchée, le film ne nous apprend pas grand-chose sur l'architecture, en particulier le brutalisme. Malgré ses scènes qui dépeignent certains aspects de la réalité du milieu architectural, comme les relations difficiles avec les clients, le choix des matériaux et la politique sur les chantiers, The Brutalist n’a pas réussi à satisfaire les nombreux experts en architecture qui ont vu le film.
Peut-être en attendais-je trop, mais je suis sortie du cinéma en me disant que le film ne rendait pas hommage à l'architecture brutaliste et ne reflétait pas la réalité de la pratique architecturale.

Classée monument historique depuis 1986, la Cité Radieuse a révolutionné l’architecture des bâtiments par sa conception hors du commun. Située 280 boulevard Michelet dans le 8e arrondissement de Marseille, cette résidence est surprenante, colorée, et elle se visite toute l’année sur réservation auprès de l’office du Tourisme de Marseille.
Tel qu'expliqué sur Wikipedia, Le Corbusier définit le logis comme le contenant « d'une famille ». Ce contenant peut être inséré non pas dans un immeuble traditionnel mais dans une « ossature portante », conçue comme une structure d'accueil.
Le Corbusier va définir une cellule de base. Elle va donner naissance à un ensemble de deux cellules orientées est/ouest et imbriquées autour d'une rue intérieure. Il aboutit ainsi à un système d'étage courant qui s'organise sur trois niveaux.
Entre les cellules de chaque côté du bâtiment se trouvent de larges couloirs. Ils sont conçus comme un espace de circulation et de rencontre entre les habitants. Entre le 3e et le 4e étage, un couloir plus grand encore, le déambulatoire, fait face à la mer.
Comme les autres unités d'habitation de Le Corbusier, la Cité radieuse de Marseille est conçue sur le principe du Modulor, système de mesures lié à la morphologie humaine basé sur le nombre d'or et la suite de Fibonacci, calculé par le quotient de sa taille (1,83 m) par la hauteur de son nombril (1,13 m) qui est de 1,619, soit le nombre d'or au millième près.
Celui-ci est d'ailleurs illustré par une empreinte sur le béton à la base de l'immeuble ainsi que sur un petit vitrail.
Une reconstitution à l'échelle 1 d'une cellule est visitable à la Cité de l'architecture et du patrimoine. Cet appartement a été réalisé dans le cadre d'un partenariat avec seize lycées d'enseignement technique et professionnel d'Île-de-France.
La Cité radieuse traduit une conception fonctionnelle, hygiéniste et circulatoire de l'habitat collectif. Elle manifeste le rejet de la ville traditionnelle et applique les principes de la Charte d’Athènes. Dans les années 1970, on reprochera à Le Corbusier d’avoir inspiré l’urbanisme monotone des grands ensembles des banlieues françaises.