Le Canada marginalise, discrimine et stigmatise les personnes handicapées, dont les personnes atteintes de sensibilité chimique multiple, déplore le Comité des Nations Unies des droits des personnes handicapées. Le 21 mars 2025, il déclarait : « Le Comité constate avec préoccupation que la discrimination à l’égard des personnes handicapées persiste, en particulier la marginalisation socioéconomique accrue des personnes handicapées autochtones (...); que le capacitisme à l’égard des personnes handicapées 2SLGBTQI+ perdure, en particulier dans le secteur de la santé; que la discrimination à l’égard des personnes handicapées noires et racialisées est forte; que les personnes atteintes de démence, de sensibilité chimique multiple et du syndrome/trouble de l’alcoolisme fœtal sont victimes d’actes de discrimination et de stigmatisation; que les personnes ayant un handicap intellectuel ou psychosocial sont exclues, en particulier des espaces publics, des loisirs et des manifestations culturelles; que les comportements discriminatoires à l’égard des personnes ayant le syndrome de Down persistent. »

Le Comité commentait ainsi les derniers rapports de suivi périodiques remis par le Canada en tant que signataire de la Convention relative aux droits des personnes handicapées. Il a recommandé que le pays s'emploie à « élaborer des stratégies et des statistiques transversales, complètes et intersectorielles propres à donner effet, au niveau fédéral, dans les provinces et les territoires et dans toutes les administrations publiques, au droit à l’égalité et à la non‑discrimination des personnes handicapées, comme ceux avec sensibilité chimique multiple ». 

Le Canada est souvent cité comme accommodant pour les personnes handicapées, mais les personnes atteintes de sensibilité chimique multiple peinent toujours à faire reconnaître leurs droits, notamment au Québec, comme me l'expliquait le 28 mai en entrevue Michel Gaudet, vice-président de l'Association pour la santé environnementale du Québec (ASEQ-EHAQ), qui a reçu à la fin de mars, les Observations finales concernant le rapport du Canada valant deuxième et troisième rapports périodiques de l'ONU. 

Le 6 mai, le député libéral Gregory Kelley déposait à l'Assemblée nationale une pétition de l'ASEQ-EHAQ signée par 776 personnes demandant « l’adoption d’une politique sans fragrances dans tous les établissements de santé du Québec ». « Les fragrances et produits parfumés peuvent avoir de graves effets sur la santé incluant pour des personnes atteintes d’asthme, de migraines, de dermatite, de sensibilité chimique multiple (SCM) qui voient souvent leurs symptômes s'aggraver avec l'exposition aux fragrances. Un environnement sans fragrances est essentiel pour assurer la sécurité, l’accessibilité et l’inclusion », affirme l'ASEQ-EHAQ« On attend la réponse du gouvernement », dit M. Gaudet. Cet organisme a été fondé en 2004 pour soutenir les individus et communautés qui souffrent de SCM, défendre leurs intérêts notamment au niveau politique, en sensibilisant le public tout en contribuant à la recherche et à l'élaboration de normes et partenariats au Canada et à l'étranger.

L'ASEQ-EHAQ a acquis un terrain dans les Laurentides pour construire 40 logements sociaux sains, mais le projet piétine depuis 2012. « En 2015, la SHQ [Société d'habitation du Québec] nous a dit qu'elle attendait le rapport de l'INSPQ » (Institut national de santé publique du Québec) sur le syndrome de sensibilité chimique multiple (SCM ou MCS en anglais). Plutôt que d'incriminer la surexposition aux produits chimiques, ce rapport paru en juin 2021 a conclu : « L’anxiété chronique permet d’expliquer l’ensemble des symptômes du syndrome SCM. »

Or, la même année, le ministère de la Santé de l'Alberta publiait un rapport plus nuancé recommandant plus d'études, notamment de mettre à jour et d'harmoniser les critères diagnostiques de la SCM/MCS. Basé sur 140 études retenues après avoir analysé plus de 4 000 documents, il concluait entre autres : « Un large éventail de symptômes a été associé à la MCS, notamment des effets sensoriels, neurologiques, physiques, gastro-intestinaux et comportementaux. Ces effets ont été associés à divers déclencheurs ou stimuli, mais il n'existe pas de schéma clair en ce qui concerne les produits chimiques ou les substances. (...) Il est possible que les processus biologiques impliqués dans la sensibilité chimique multiple impliquent (1) le traitement olfactif et (2) la sensibilisation neurogène et l'inflammation neurogène, étant donné qu'ils impliquent le système nerveux et la réaction du cerveau aux stimuli (irritants et olfactifs) et aux effets d'irritation sur les membranes muqueuses de l'œil et de l'appareil respiratoire. » 

La conclusion du rapport de l'INSPQ était anticipée, déplore Michel Gaudet. « Le Dr Albert Nantel [qui a collaboré au chapitre 10 sur l'hypothèse psychogénique] disait à l'avance qu'il était convaincu que les produits chimiques n'étaient pas en cause. C'est lui qui a décidé de plusieurs articles qui allaient être retenus, il a fait du cherry picking », soit du picorage, pratique souvent associée aux chercheurs financés par l'industrie pour « écarter les études qui n’abondent pas dans leur sens pour ne sélectionner que celles qui soutiennent leur position ».

Cette année, une résolution de la société médicale du Massachusetts la mandatait de plaider auprès de l'Association médicale américaine « pour qu'elle reconnaisse l'existence du syndrome d'intolérance chimique (... et) mette à la disposition des médecins des ressources en ligne sur la santé environnementale pour qu'ils les examinent et les utilisent, y compris, mais sans s'y limiter, les échelles QEESI et BREESI ». Lire plus de détails sur ces deux outils de dépistage des intolérances chimiques en cliquant sur Ressources pour la SCM  à la page https://aseq-ehaq.ca/medical-evenement.

« Les hypersensibilités environnementales/sensibilités chimiques multiples (SCM/MCS) sont un ensemble de réactions aux agents environnementaux incluant les produits chimiques, les aliments et les agents biologiques, à des niveaux d’exposition tolérés physiquement par la plupart des gens. » En 2020, 3,5 % de la population canadienne disait avoir reçu un diagnostic de sensibilité chimique multiple, selon Statistique Canada. Or, aux États-Unis, en 2016 12,8 % des gens sondés ont dit avoir reçu un diagnostic médical de sensibilité chimique multiple et 25,9 % avoir une sensibilité aux produits chimiques.

L’hypersensibilité environnementale est reconnue par la Commission canadienne des droits de la personne comme un handicap, mais les accommodements en milieu de travail (essentiellement les politiques sans parfums et choix des produits les moins toxiques) ne touchent que les employés de la fonction publique fédérale et des grandes entreprises à charte fédérale. La sensibilité chimique multiple est reconnue comme un handicap par toutes les Commissions des droits de la personnes des provinces et territoires canadiens. « Il y a des accommodements, mais c’est du cas par cas », explique Rohini Peris, présidente et cheffe de la direction de l'ASEQ-EHAQ et épouse de Michel Gaudet. En mars, elle a présenté un exposé sur la SCM lors de la 32e session du Comité des Nations Unies sur les droits des personnes handicapées à Genève. « Le Comité a répondu en incluant la SCM dans ses observations finales. Il s'agit d'une avancée importante pour le handicap de la SCM au Canada et partout au monde », dit-elle.

Dès les années 1990, la Société canadienne d'hypothèques et de logement publiait un guide de 180 matériaux et produits sains, intitulé Matériaux de construction pour les personnes hypersensibles à l'environnement, et un rapport décrivant les détails techniques de la maison de recherche qu'elle a fait construire pour les personnes hypersensibles

Pour sa part, le Conseil des pays nordiques reconnaissait les hypersensibilités environnementales comme des maladies professionnelles en 2000. Son adaptation de la classification internationale des maladies mentionnait que les symptômes d'intolérance électromagnétique « disparaissent dans les environnements non électriques ». Le mois dernier, une étude histoqiue financée par le gouvernement français suggérait une base biologique à l’électrosensibilité qui semble liée à une mauvaise gestion de cassures à simple brin ou double brin de l'ADN.

En 2011, en réponse à ses questions, l'ASEQ-EHAQ recevait une lettre de la Commission québécoise des droits de la personne et des droits de la jeunesse confirmant que les hypersensibilités environnementales sont un handicap tel que défini dans la Charte des droits et libertés de la personne. Les personnes atteintes peuvent réagir à une foule de substances, tels les pesticides, produits de nettoyage, solvants, parfums, moisissures, rayonnements électromagnétiques, selon le site hypersensibiliteenvironnementale.com créé par l’ASEQ-EHAQ en collaboration avec l’UQÀM et la TÉLUQ grâce à la participation financière du ministère québécois de l’Éducation, du Loisir et du Sport.

Le programme de l’ASEQ-EHAQ Épauler la communauté et retirer les barrières (ECRoB) a permis, en 18 mois, d'organiser et de tenir 110 ateliers de formation sur la SCM auprès de divers groupes à travers le pays, notamment des commissions des droits de la personne, des barreaux et des associations médicales. L'organisme organisait récemment une conférence internationale à laquelle 870 personnes ont participé en ligne. Il a collaboré avec des universités canadiennes et des chercheurs japonais pour des projets de recherche. En 2024, Le projet ECRoB a reçu un Prix Papillon « santé » de la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN). En lui décernant ce prix, la COPHAN a déclaré que l’ASEQ-EHAQ « rend les environnements plus sûrs et accessibles pour les personnes avec des sensibilités environnementales. ECRoB incarne une puissante vision d’une société inclusive et solidaire, sans barrières. »

L'ASEQ-EHAQ compte cinq employés au Québec et six en Ontario. Son conseil d'administration dirige aussi son pendant canadien qui transige avec le gouvernement fédéral. L'année dernière, elle a rejoint pas moins de 18 millions de personnes via les réseaux sociaux. Sa page Facebook a été « aimée » plus de 91 000 fois. Elle vient d'y afficher un sondage pour les gens confrontés à des préjudices, des préjugés ou des obstacles dans le domaine des soins de santé en raison de la SCM.

Rohini Peris est devenue plus sensible aux produits chimiques après avoir été empoisonnée par des pesticides. Dans les années 1990, elle a cofondé et dirigé avec son mari et d’autres personnes la Coalition pour les alternatives aux pesticides (CAP). Grâce à des membres fondateurs telle la botaniste Edith Smeesters, la CAP a milité pour que le Québec devienne la première province du pays à adopter un Code de gestion des pesticides. Ce code interdit l'utilisation de 22 substances actives dans l'entretien des espaces verts urbains.