Voilà 30 ans qu'André Fauteux poursuit son aventure à titre de capitaine (ou éditeur, si vous préférez!) de La Maison du 21e siècle. Bien que je n’aie pas suivi le magazine durant les 15 premières années, je suis une lectrice assidue depuis les 15 dernières.

Cette publication est un incontournable dans l’univers des habitations saines et écologiques avec un contenu toujours pertinent et traité avec rigueur. J’ai eu le plaisir d’y partager mes connaissances à quelques reprises depuis une dizaine d’années, au début en tant que porte-parole francophone du Laboratoire solaire de l’Université Concordia lors de mes études supérieures en génie du bâtiment et par la suite en rédigeant quelques articles.

Malgré certaines avancées dans le monde médical et technologique et la hausse de l’espérance de vie au Canada, notre santé collective s’est plutôt appauvrie depuis 30 ans au chapitre des maladies chroniques, dont plusieurs sont environnementales. Par exemple, la Société canadienne du cancer prévoit que 44 % des hommes et 43 % des femmes seront atteints par cette maladie au cours de leur vie et que le quart des Canadiens (26 % des hommes et 22 % des femmes) en mourront.

Rester en santé n’est pas une mince affaire de nos jours. Ça demande une grande implication personnelle pour s’informer auprès de sources fiables et se prendre en main. Que l’on soit conscient ou non du lien entre la santé et la qualité de l’environnement, notamment en ce qui concerne les ondes électromagnétiques et les produits chimiques, les effets sur nos cellules se font quand même sentir.

Comme le disait la philosophe russo-américaine Ayn Rand : « On peut ignorer la réalité, mais on ne peut pas ignorer les conséquences d’ignorer la réalité. »

Je me rappelle avoir traversé une phase de colère en lisant le magazine, il y a une dizaine d’années. À force de lire sur les dangers des ondes électromagnétiques, la pollution de l’eau, de l’air, le plomb, le radon, les moisissures, les composés organiques volatiles et plus encore, je me rappelle avoir pensé, avec une certaine colère : coudon, c’est dont ben difficile, de rester en santé! Ça prendrait un doctorat dans plusieurs disciplines!

Comment sensibiliser les gens aux principaux dangers environnementaux sans tomber dans l’alarmisme et provoquer un sentiment de déprime et de découragement? Voilà un défi d’équilibriste que La Maison du 21esiècle relève avec brio depuis trois décennies!

 

Efficacité énergétique et les maisons net zéro énergie et net zéro carbone

Vous avez peut-être entendu parler de la certification LEED qui reconnaît les efforts des constructeurs et propriétaires de maisons écologiques qui intègrent certains éléments écologiques dans la planification de leur demeure : conception intégrée (en réunissant les intervenants des différentes disciplines impliquées), emplacement et transport, aménagement écologique du site, gestion efficace de l’eau, des matériaux et des ressources, énergie et atmosphère (efficacité et émissions de gaz à effet de serre), qualité des environnements intérieurs, innovation et priorité régionale (achat local). Si tous ces sujets sont de plus en plus populaires, force est de constater qu’on parlera de plus en plus d’efficacité énergétique comme c’est le cas depuis dix ans. C’est déjà le cas en Europe et dans d’autres pays qui ont connu des hausses faramineuses du coût de l’énergie – ce qui risque de se produire ici aussi puisqu’Hydro-Québec prévoit augmenter sa capacité de production d’au moins 50 % afin que le Québec devienne carboneutre en 2050.

Il y a une dizaine d’année, c’était la mode de l’énergie nette zéro – concevoir des bâtiments qui produisent autant d’énergie renouvelable qu’ils en consomment. Avec un bâtiment bien isolé, des systèmes mécaniques efficaces et des panneaux solaires, c’est tout à fait réalisable. Une fois qu’on connait la recette – ou plutôt les différents ingrédients à combiner afin d’atteindre les objectifs tout en respectant les contraintes – ce n’est pas si difficile que ça. Évidemment, sans subventions pour les systèmes photovoltaïques qu’un patron d’Hydro-Québec vient de promettre d’ici la fin de la décennie, cet exercice demeurera marginal car il génère un surcoût important par rapport à un bâtiment normal. Je constate qu’en 2023 on parle surtout de bâtiments net zéro carbone, ou carboneutres, que de bâtiments net zéro énergie. Attention toutefois à ne considérer que le carbone comme mesure unique de l’évaluation environnementale d’un projet. L’analyse du cycle de vie d’un bâtiment est un exercice complexe et fastidieux à faire, et l’empreinte carbone n’est qu’un facteur à considérer parmi tant d’autres dans le cadre d’un projet écologique réalisé de manière holistique; il faut également considérer la consommation énergétique (dont l’énergie grise ou intrinsèque – embodied energy en anglais – consommée tout au long du cycle de vie d’un produit, de l’extraction au recyclage), la consommation en eau, le potentiel d’eutrophisation des plans d’eau, l’impact sur la couche d’ozone, l’impact sur la santé aquatique, environnementale et humaine, etc., et ce, autant pour les matériaux de construction que pour l’opération du bâtiment

Je constate que la lutte contre les changements climatiques prend de plus en plus de place dans le discours public. Et parfois, on s’attarde tellement à ce seul sujet qu’on découvre des aberrations, comme un pot de peinture dit « sans émissions de composés organiques volatils (COV) » alors que les États-Unis autorisent cette appellation même si le pot contient des COV nocifs, en autant qu’ils ne soient pas précurseur d’ozone (un constituant du smog) à l’extérieur! Mieux vaut donc se fier aux programmes de certification rigoureux, comme GREENGUARD et Declare.

Chapeau à La Maison du 21e siècle qui se fait un devoir à chaque numéro de parler du lien entre la qualité de l’environnement et la santé alors que les grands médias n’en traitent qu’à l’occasion.

Pour ma part, après avoir appris à concevoir un bâtiment solaire efficace qui peut être net zéro énergie, passif (chauffé majoritairement par le soleil) ou résilient, selon les priorités et le budget, j’en suis venue à la conclusion que concevoir un bâtiment vraiment sain, qui non seulement n’empoisonne pas ses occupants mais qui contribue même à favoriser leur santé, est un défi beaucoup plus complexe et important que de réduire sa facture d’énergie.

Un corps humain sera toujours plus compliqué qu’une enveloppe de bâtiment, qu’un système mécanique ou une autre machine. Chaque personne a des sensibilités et un environnement qui lui sont propre, ce qui peut compliquer les choses.

J’ai décidé de me mettre au défi de concevoir les bâtiments les plus sains autant que possible. En priorisant la santé humaine, par la bande on améliore la santé environmentale, car généralement les matériaux sains, comme l’isolant de chanvre et les peintures naturelles sont aussi peu polluants du berceau au tombeau.

J’en reviens à cette question à laquelle je me confronte souvent : comment sensibiliser les gens aux principaux dangers environnementaux sans tomber dans l’alarmisme et provoquer un sentiment de déprime et de découragement?

Pour ce faire, j’ai développé certains outils et stratégies :

  • Les connaissances

Les sujets sont nombreux et multidisciplinaires : l’eau, l’air, les contaminants gazeux, les produits chimiques, les moisissures, les ondes électromagnétiques et les systèmes mécaniques touchent autant la physique, la biologie, la chimie et l’ingénierie. La baubiologie, concept originaire d’Allemagne qui signifie biologie du bâtiment, regroupe toutes ces disciplines dans un tout cohérent qui aide à mieux comprendre le lien entre l’habitat et l’humain. En mariant la sagesse ancienne avec les connaissances scientifiques modernes, il est possible de concevoir un bâtiment en respectant l’environnement local sur tous les plans afin de contribuer à l’épanouissement des occupants et du site dans son ensemble.

Pour surmonter le sentiment d’impuissance ou même de peur et entrer en action, il est important de connaitre les éléments à risque et les façons de les mitiger. C’est ce qu’enseignent les divers instituts de baubiologie, notamment par le biais de leurs Valeurs indicatives pour les zones de repos (également décrites sur baubiologie.fr). 

  • N’en parler qu’à un auditoire intéressé

Plus les années passent, moins je suis intéressée à essayer de convaincre les gens. Au hasard des conversations, je me permets de planter des petites graines, du genre : pour ton bébé qui ne dors pas, as-tu pensé à fermer le moniteur sans-fil qui se trouve à ses côtés pour voir le résultat? S’il y a un intérêt, la conversation continue et je réfère la personne notamment au site multilingue babysafeproject.org qui présente les résultats de plusieurs études sur l’impact des ondes cellulaires sur les fœtus réalisées à l’École de médecine de l’Université Yale. S’il n’y a pas d’intérêt, la conversation s’arrête là et personne n’est offusqué, mais la graine semée germe souvent plus tard.

Je ne ressens nullement le besoin de sauver la planète ni toutes ses âmes en faisant la morale à droite et à gauche ou en inondant les gens d’informations non sollicitées. Par contre, je retire toujours une grande joie à partager les connaissances acquises au fil du temps avec les gens qui désirent assainir leur environnement de manière préventive ou curative (bravo, votre corps vous remerciera!).

Lors d’une inspection, il arrive souvent qu’un membre de la famille soit plus conscientisé à certains risques qu’un autre, plus sceptique. Mon approche est d’y aller doucement, de piquer la curiosité, par exemple de demander : « Que penses-tu de tel sujet? Voudrais-tu voir le niveau d’exposition sur mes capteurs? » Souvent, le fait de mesurer un polluant invisible pour les yeux permet de mieux comprendre la réalité physique. L’éducation est une part importante de mon travail. En premier lieu, faut faire connaitre et identifier les éléments qui produisent une certaine pollution ou toxicité. Ensuite, après avoir discuté des éventuels risques sur la santé humaine, il est possible de trouver des solutions permettant de réduire ou non son exposition. Chacun(e) a son libre arbitre et décide de ses valeurs et son mode de vie!

C’est pour moi un grand privilège d’aider les gens à surmonter les défis en leur apprenant comment se fixer des objectifs réalistes et choisir des solutions efficaces et accessibles. Je suis infiniment reconnaissante envers André Fauteux qui alimente son lectorat francophone de connaissances avant-gardistes sur les maisons saines et écologiques depuis 30 ans. Bravo pour ce travail de sensibilisation inlassable pour les gens qui veulent construire et rénover de la meilleure façon!

Et le travail doit continuer. Comme les pratiques et les technologies évoluent rapidement, c’est un travail constant que de suivre l’évolution de l’industrie de la construction afin de trouver et de partager les solutions vraiment intelligentes. J’espère bien que La Maison du 21e siècle restera dans notre paysage pour les 30 prochaines années à venir!