Le propriétaire de cette maison a dû dépenser davantage parce que la Ville lui a imposé de vitrer 60 % de son mur sud, ce qui en outre lui crée de l'inconfort à l'année et requiert des dispositifs d'ombrage extérieur, également coûteux. © André Fauteux

L’enfer est pavé de bonnes intentions… Val-David voulait bien faire en favorisant le chauffage solaire passif. La petite municipalité verte des Laurentides a plutôt adopté un règlement qui mésinterprète les principes du design solaire passif (on dit aussi « bioclimatique ») en exigeant que 60 % du mur sud d’une maison neuve soit fenestré, plutôt que 60 % de l’ensemble des fenêtres de la maison soit sur ce mur. Une erreur qui a pour conséquence d’augmenter inutilement les coûts de construction et le gaspillage de l’énergie, selon divers spécialistes.

« Ça semble une erreur d’interprétation, estime l’architecte André Bourassa, qui fut président de l’Ordre des architectes pendant huit ans. Avec un mur de verre froid parce que le soleil n’est pas au rendez-vous en hiver, on aura tendance à surchauffer le milieu de la maison pour compenser. En été, ça va coûter cher en pare-soleils et en climatisation. Depuis cinq ans, l’énergie consacrée à la climatisation au Québec a quadruplé parce que beaucoup de résidences sont faites avec la démesure du vitrage. C’est une tendance assez lourde que de promouvoir l’architecture dématérialisée », transparente afin de s’ouvrir sur la nature.

La mode est à l'architecture transparente, comme ici en Californie où les hivers sont beaucoup plus chauds qu'au Québec. © Quilo Homes

Limiter la fenestration en général

Val-David est réputée pour ses mesures écologistes, comme son adoption, en 2018, du programme de subventions Habitation durable, créé par Victoriaville.

Mais son règlement no 604 de 2008 sur les permis et certificats, rédigé par la firme montréalaise Apur urbanistes-conseils, n’a rien d’écologique. Il exige qu’un logement comprenne « au moins soixante pour cent (60 %) d’ouvertures sur le plan de façade donnant au sud ». Or, l’organisme Écohabitation recommande plutôt que 60 % de toutes les fenêtres d’une maison soient au sud et « de limiter la fenestration en général », explique son fondateur, Emmanuel Cosgrove. Son coordonnateur de l’efficacité énergétique, l’ingénieur Denis Boyer, précise : « Pour une maison bien orientée (est-ouest sur l'axe le plus long), ça aurait du sens de mettre environ 60 % de toute la fenestration de la maison sur la façade sud dans la mesure où elle jouit de protections pour éviter la surchauffe. Mais avec un mur sud fenestré à 60 %, il risque d'être difficile de protéger les fenêtres du soleil à certains moments de la journée et de l'année. Même en hiver, il risque d'y avoir une surchauffe. »

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À la municipalité, nous avons parlé à une employée du service d’urbanisme qui a reconnu que le tir devra être corrigé. « On prend bonne note de cela », dit-elle en précisant que le règlement ne s’applique qu’au Domaine du Cerf, un développement privé en copropriété.

L’employée en question n’était pas autorisée à parler au nom de la Ville dont l’urbaniste, la mairesse et le service des communications ont décliné nos demandes de commentaire. « Ce sont les propriétaires du secteur qui ont rédigé la demande de projet particulier avec la volonté d’avoir des maisons plus performantes du niveau énergétique », a précisé l’employée en ajoutant qu’il faudrait quelques années pour modifier le règlement en question. « Nous n’avons pas prévu de réforme de la règlementation avant 2024-2025 et ça peut prendre environ deux ans avant que ce soit adopté, en 2025 ou 2026. C’est aux propriétaires du secteur de proposer une modification du règlement par une résolution du conseil. »

Un résident de Val-David nous a même confié que l’application du règlement serait selon lui aléatoire et donc inéquitable. « J’ai parlé à mes voisins et personne n’était au courant du règlement. Je suis à peu près le seul à qui on me l’a imposé. » Comment est-ce possible? « C’est une bonne question, répond  Mme Bouchard. C’est peut-être une erreur de notre part. »

Appelée à commenter cette situation, la mairesse de Val-David, Dominique Forget, m’a d’abord écrit, notamment : « Tout comme M. Bourassa, je pense que 60 % des fenêtres doivent être du côté sud (ou sud-est) et non pas que le mur côté sud soit fenestré à 60 %. À ma compréhension, sauf pour le secteur du Domaine du Cerf, notre règlement municipal qui s’applique à tout Val-David ne demande pas que les murs côté sud soient fenestrés à 60 %. Ce règlement, comme plusieurs autres concernant l’architecture, la construction, l’aménagement des terrains et des nouvelles rues, devra être revu afin de s’adapter aux changements climatiques. »

Mais au lieu d’attendre des années pour modifier le règlement, pourquoi ne pas permettre d’y déroger en autorisant de mettre 60 % de toutes les fenêtres au sud?

« Je prends bonne note de vos recommandations », répond-t-elle.

La Waterloo Green Home fut l'une de dix maisons de démonstration construites dans le cadre du programme des maisons performantes, 70 % moins chères à chauffer, lancé au début des années 1990 par Ressources naturelles Canada. 

Elle fut conçue selon les principes du chauffage solaire passif : 60 % de la fenestration de la maison est en façade sud et la superficie des fenêtres au sud représente 7 % de la surface de planchers de cette maison classique à faible masse thermique (ossature bois, gypse, etc.). Source : ANALYSE DE PROJETS D’ÉNERGIES PROPRES : MANUEL D’INGÉNIERIE ET D’ÉTUDES DE CAS RETSCREEN®, Ressources naturelles Canada, 2001-2004.

Ombrage et masses thermiques

La sommité québécoise des maisons solaires passives, Luc Muyldermans, encourage également Val-David à corriger son règlement malavisé. « Ça m’étonne comme proposition, fenestrer 60 % du mur sud, dit-il. Si la maison est étroite sur les côtés et très allongée au nord et au sud, ça serait énormément vitré au sud par rapport au plancher. Viser 60 % de la totalité des fenêtres de la maison au sud serait la bonne solution, mais une maison solaire ne devrait pas avoir plus de fenêtres qu’une maison standard », dit cet ingénieur retraité qui agit encore à titre de consultant. Au début des années 1990, il fut mandaté par l’Association des professionnels de la construction et de l’habitation du Québec pour concevoir l’une des dix maisons solaires de démonstration construites dans le cadre du programme national des Maisons performantes, lancé par Ressources naturelles Canada. (Découvrez ces dix maisons dans notre numéro d’octobre 1996.)

Diplômé « architecte ingénieur » en Belgique, Luc Muyldermans précise qu’un excès de fenestration au sud peut parfois annuler les gains énergétiques permis par l’isolation. « Si le sud est ombragé en hiver par des arbres ou des bâtiments voisins, ce ne sera qu’un gaspillage d’énergie de vitrer au lieu d’isoler. »

Il ajoute que pour éviter la surchauffe solaire en hiver, il faut limiter la surface vitrée au sud en considérant la superficie habitable de la maison, sinon il faudra compenser en installant des matériaux massifs coûteux, pour stocker le surplus de chaleur dans les planchers, murs, murets ou comptoirs irradiés par le soleil.

Écohabitation déconseille que la surface vitrée au sud soit supérieure à 8 % de la superficie habitable, faute de quoi il faut ajouter des masses thermiques. 

« La surface vitrée au sud ne devrait pas dépasser 6 ou 7 % de la superficie totale des planchers. À 8 ou 9 % il faut ajouter des masses plus importantes qu’un plancher de céramique, comme une dalle sur sol de 4 po de béton non revêtue d’un revêtement de sol. Entre 10 et 12 % il faut ajouter des masses énormes, comme un mur de brique et des chapes de béton d’au moins 1,5 po coulées sur les sous-planchers de contreplaqué. Et ce, en particulier dans une maison performante [très étanche et très isolée, comme une maison homologuée Novoclimat] qui perd peu de chaleur. C’est donc une erreur de poser un vitrage excessif du plancher au plafond. »

Les matériaux denses (froids au toucher) sont dits « masses thermiques » parce qu’ils ont une capacité plus ou moins grande de stocker l’énergie solaire le jour et de la diffuser lentement quand leur température est plus élevée que celle de l’air intérieur – le chaud va toujours vers le froid, c’est un principe de la physique.

Luc Muyldermans devant sa maison centenaire rénovée. Une serre ou un solarium séparé de la maison par une porte isolée et étanche évitera de surchauffer ou refroidir la maison.

La tendance récente à la surfenestration engendre tellement de gaspillage énergétique que depuis 2012, le Règlement québécois modifiant le Code de construction pour favoriser l’efficacité énergétique limite la superficie autorisée des vitrages d’une maison à 30 % de la superficie de tous les murs extérieurs hors sol. Bref, pas plus de 300 pi2 de surface vitrée pour 1 000 pi2 de murs (3 m² pour chaque 10 m²). Cette proportion comprend le cadrage des fenêtres, portes, lanterneaux ou autre élément semblable, mais exclut les portes de garage. 

Les Exigences techniques Novoclimat sont strictes concernant les murs où la surchauffe se produit : « Lorsque de vastes superficies vitrées orientées à l’ouest ou au sud représentent plus de 25 % de la surface de plancher des pièces dans lesquelles elles sont situées, il est fortement conseillé d’installer des dispositifs d’ombrage extérieurs (p. ex., brise-soleil, avancées de toiture, marquise, auvents, volets, végétation dense) pour réduire les risques de surchauffe. »

Tiré des exigences techniques Novoclimat

Le verre énergétique pour les nuls

Luc Muyldermans ajoute qu’il faut adapter la recommandation générale de poser 60 % des fenêtres d’une maison au sud en fonction d’autres facteurs, tels l’environnement extérieur et la disposition des pièces de vie. « Il faut tenir compte des vues et de l’organisation spatiale intérieure. Habituellement on place le salon, la salle à manger et les autres espaces de vie au sud et les chambres ainsi que les pièces de service au nord. »

L’expert dit regretter que la plupart des gens ne pensent pas à mettre le bon type de vitrage au bon endroit. C’est qu’ils ignorent que les pellicules à faible émissivité (Faible É) appliquées sur les vitrages modernes peuvent plus ou moins admettre l’énergie solaire ou isoler (réfléchir le rayonnement infrarouge du soleil ou des corps chauds). Souvent appelées Low-E, acronyme anglais de Low Emissivity, ces pellicules sont faites d’argent vaporisé sur la surface extérieure du vitrage intérieur (du moins en climat froid) ou sur un film plastique suspendu entre les vitrages.

« Parler seulement de double ou triple vitrage, ça ne veut rien dire en soi, dit Luc Muyldermans. L’important, c’est de choisir le type de pellicule faible émissivité en fonction de l’orientation, en maximisant les gains solaires au sud et en laissant passer moins le soleil sur les autres façades. Il y a des vitrages doubles avec pellicule faible émissivité qui sont plus performants qu’un verre triple sans pellicule Faible É. »

En effet, il faut savoir que plus le coefficient de gain de chaleur solaire (CGCS) d’un vitrage est élevé, moins il est isolant, c’est-à-dire que son facteur U (représentant sa perte de chaleur par conduction) est plus élevé. Plus le CGCS se rapproche de 1, plus les gains solaires sont élevés, et plus le facteur U se rapproche de 0, moins il y a de perte de chaleur. Pour obtenir le facteur U, on divise 1 par la valeur R. À l’inverse, 1 divisé par la valeur U = la valeur R. 

Rendement énergétique des fenêtres

Depuis le 1er mai 2023, pour être certifiées ENERGY STAR, les portes et les fenêtres canadiennes doivent avoir un facteur U maximal de 1,2 (R-4,73 ou RSI 0,3 en résistance thermique métrique) et un rendement énergétique (RE) d’au moins 34, peu importe les régions. Le RE exprime le bilan des gains solaires moins les pertes de chaleur de l’ensemble d’une fenêtre, en moyenne pour les quatre orientations. En général, sauf sur le mur nord, les fenêtres ayant un RE d’au moins 40 peuvent avoir un gain solaire net d'énergie positif au cours d'un hiver, les pertes de chaleur totales étant moindres que les gains. Comme l'explique le relationniste de RNCan Anthony Ertl : « Le point auquel le gain solaire dépasse les pertes de chaleur dépend d'un certain nombre de facteurs, en particulier du climat (emplacement, charges de vent, saison, etc.), de l'exposition solaire (orientation de la maison et heure de la journée), ainsi que de la qualité de l’isolation de la maison. »

Les unités de vitrage scellées à faible émissivité sont aussi remplies d’un gaz isolant (tel l’argon) et doté d’un intercalaire isolant entre les verres, typiquement en plastique plutôt qu’en aluminium, pour réduire les pertes de chaleur et les risques de condensation. Autre facteur important : l’espace entre les verres. « L’écart entre les vitres doit être d’au moins un demi-pouce, 5/8 de po c’est l’idéal, dit Luc Muyldermans. Si on a trois vitres espacées d’un quart de pouce, c’est loin d’être idéal. Elles seront plus froides parce que c’est l’espace entre les vitres qui donne le facteur isolant. »

Avis d'un autre ingénieur

L’ingénieur Marc-Antoine Meilleur, de la coopérative d’ingénierie ALTE Coop, déconseille à ses clients de fenestrer plus de 25 % de la façade sud d’une maison écoénergétique. « Pour une vieille maison avec une demande de chauffage bien plus élevée que la moyenne, ça peut être considéré, mais en général, pour des maisons récentes, voire performantes, ce n'est pas une règle à suivre. Ceci dit, il y a toujours des exceptions, mais pour aller à des ratios de plus de 30 % de la façade sud, je recommande une analyse énergétique faite par un professionnel, principalement dans une optique de maison bioclimatique qui veut minimiser le recours à la climatisation. Quand un client veut un ratio de 30 % pour le niveau esthétique, les vues, etc., on peut l’atteindre avec un bon design et un bon choix des propriétés de fenestration en amont avec l'assistance de simulations énergétiques. Pour une maison performante, on n'a pas besoin d’un pourcentage de fenestration si élevée au sud pour avoir un impact considérable en chauffage solaire passif. Augmenter ce ratio engendrera nécessairement plus d'inconfort par la surchauffe que d'économie de chauffage. » 

Cet ingénieur a par exemple simulé diverses proportions de vitrage sur le mur  sud d’une maison « assez performante », avec des murs R-38, une toiture R-52, des fenêtres U 0,25 (R-4), un coefficient de gain solaire de 0,55 et une enveloppe du bâtiment très étanche, à moins de 1 changement d’air à l’heure lors d’un test d’infiltrométrie créant une dépressurisation de 50 pascals. Comme le tableau ci-contre l’illustre : « On voit que la fenestration au sud avec ratio de 22 % réduit d'environ 40 % la consommation de chauffage. À partir de 40 % de ratio les gains en chauffage sont négligeables, tandis que la demande de climatisation augmente constamment pour atteindre 60 % d'augmentation entre un ratio de 22 % et 37 %. » 

© http://altecoop.ca

Coûts des murs et vitrages performants

Constructeur de maisons homologuées par le programme québécois Novoclimat, Étienne Ricard, directeur architecture et design chez UrbanÉco Construction, rappelle qu’un mur isolé R-36 revient à environ 15 $/pi2incluant les finitions intérieures et extérieures comparativement à une fenestration hyper performante (R-8) qui coûte de 65 $/pi2, pour des fenêtres PVC-aluminium au triple vitrage à faible émissivité, à 70-75 $/pi2, pour des portes-patio aussi isolantes.

« En plus du solaire passif, nous donnons autant d’importance dans nos choix d’orientation d’ouverture à la lumière naturelle, aux vues et à la sensation d’être près de la nature (biophilie), dit l’entrepreneur de Sherbrooke. La beauté des fenêtres franc sud avec pare-soleil de ±3’ selon la hauteur de la vitre, c’est que le bilan annuel en chauffage peut être nul (± autant de perte que de gain), tandis que les autres façades sont toujours une perte d’énergie et/ou à risque de surchauffe à l’est et à l’ouest, sauf si protégées par la végétation ou autre dispositif d’ombrage. La quantité de fenêtres au sud est dictée par les autres facteurs que l’apport énergétique, car les pare-soleils sont très efficaces sur cette orientation [le soleil d’été est facile à intercepter lorsqu’il est à son zénith]. Il faut aussi savoir que les grands vitrages créent des courants d’air froid de haut en bas à proximité du côté intérieur... » 

 

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