Plutôt que de s'attaquer injustement aux consommateurs, le gouvernement devrait miser sur des politiques et des réglementations qui permettront rapidement de décarboner le Québec, estime le physicien Normand Mousseau, ancien coprésident de la Commission sur les enjeux énergétiques du Québec.
« Il faut arrêter de taper sur les citoyens : au Canada seulement, 27% des émissions de gaz à effet de serre sont directement liées aux choix de transport des personnes et de chauffage des bâtiments résidentiels. Le restant, en gros, c'est lié à des choix réglementaires, à des choix de la société ou des choix technologiques qui ne sont pas dans les mains de chaque citoyen individuellement. C'est pour ça qu'on doit travailler collectivement avec une transformation importante », a-t-il expliqué lors d’une des conférences d’ouverture du sommet Efficacité et transition énergétique, le 21 avril dernier. Organisé par La Maison du 21e siècle et l’association Énergie Solaire Québec, l’événement de trois jours s’est déroulé au Festival des technologies vertes de Foire écosphère dans le cadre du Salon du véhicule électrique de Montréal, au Stade olympique.
Le directeur académique de l’Institut de l’énergie Trottier, basé à Polytechnique Montréal, rejette aussi l'argument selon lequel il faudrait augmenter les tarifs d'électricité pour réduire le gaspillage de l'électricité. « Quand on dit : “Ah, les méchants Québécois, ils gaspillent leur énergie”, moi je n'embarque pas là-dedans du tout, a-t-il déclaré. Ce n'est pas chaque citoyen qui a décidé des normes du bâtiment. Moi, j'habite une maison qui a été construite à des normes d’isolation fixées par le gouvernement… Si on veut des maisons qui consomment moins, mettons les normes qu'il faut. N’imposons pas à chaque citoyen le devoir ou la responsabilité de gérer sa maison… Ça ne veut pas dire qu'on ne doit pas faire des efforts. Le gouvernement a adopté en 2016 des objectifs de réduction [d’émissions de gaz à effet de serre] de 37,5 pour cent pour 2030. Aujourd'hui, le seul plan qu'on a nous amènerait au mieux à la moitié de ces objectifs et on attend toujours une vraie réforme du bâtiment qui soit compatible avec les objectifs fixés. Je ne sais pas combien d’années on devra attendre, mais on devait avoir une cote sur le bâtiment en 2018 qui a disparue (du plan). Maintenant on parle plus de cotation des bâtiments, donc on n’avance pas vraiment. »
La cotation énergétique obligatoire a été imposée par Québec dans les grands bâtiments mais elle ne vise plus les petits bâtiments résidentiels dans le Plan directeur en transition, innovation et efficacité énergétiques 2026 du gouvernement du Québec. Ceci parce que ces immeubles sont chauffés aux énergies fossiles, a expliqué un porte-parole du ministère de l'Environnement à La Maison du 21e siècle. Pourtant, les 200 000 maisons chauffées au mazout émettent autant d’équivalent CO2 que 300 000 véhicules légers, comme le rapportait le quotidien The Gazette récemment.
En permettant d'identifier les citrons, une telle cote obligatoire au moment de la revente des maisons stimulerait leur réfections énergétiques avant la mise en marché. « La province pourrait aisément imposer une cote énergétique pour les habitations. Quoi de plus logique? Personne n’a envie de se ruiner en travaux d’isolation après avoir signé pour une hypothèque de 25 ans, souligne l'organisme Écohabitation. Ce qui est répandu en Europe (en France, le « diagnostic de performance énergétique » est obligatoire depuis 2006, autant pour les acheteurs que pour les locataires) devrait l’être aussi chez nous. Surtout que nous possédons déjà des outils similaires mais non obligatoires!
Sur les tarifs
M. Mousseau est catégorique : « Dire : “On ne paye pas assez cher l'électricité”, moi je suis profondément allergique à ça. D'abord, on paye l'électricité au prix qu’elle coûte... Moi je n'ai pas vu beaucoup de grands consommateurs d'énergie cogner à la porte du Québec pour dire : “Vendez-nous votre électricité à 15 cents ou 20 cents le kilowattheure.” On se leurre quand on nous raconte cette histoire-là. Nos coûts d’approvisionnement ne sont pas chers, ils sont aux mêmes prix que partout ailleurs en Amérique du Nord. »
Prioriser la décarbonation avant l'efficacité énergétique
Puisque le Québec s’est donné comme objectif de décarboner son économie d’ici 2050, l’expert souligne qu’il faut prioriser le remplacement du chauffage au gaz et au mazout par des solutions propres, comme les thermopompes. « Pour décarboner notre énergie en 25 ans, on n'a pas le temps de passer par des solutions de transition [comme le gaz], ce n'est juste pas économiquement réaliste. Donc on ne peut pas dire, ah ben, je vais faire de l’efficacité énergétique avec une fournaise au gaz qui est plus efficace que la précédente... Parce qu'on va devoir séquestrer tellement de carbone, on ne peut pas se donner le luxe de dire qu’on va d'abord continuer à émettre et ensuite on regardera d'autres solutions. Il faut d'abord, chaque fois que c'est possible, décarboner. L'efficacité énergétique, oui, mais ce n'est pas la priorité… Il est absolument crucial qu'on décarbone rapidement les secteurs qui peuvent se décarboner rapidement, et parmi ceux-là on parle du secteur bâtiment. Donc, maintenir le gaz naturel dans le bâtiment n’a pas de sens. »
Chauffer avec une plinthe électrique 100 % efficace parce qu’elle produit autant de chaleur qu’elle consomme, c’est mieux qu’avec une fournaise à gaz efficace à 85 %, dit-il, mais c’est gaspiller de l’électricité comparativement à une thermopompe qui génère 30 % plus de chaleur par kilowattheure consommé. « Je peux faire mieux. Je peux utiliser l'électricité non pas pour produire la chaleur mais pour la déplacer. Et c’est ça que fait une thermopompe. En gros, c’est un frigidaire qui marche à l'envers et ce qu'on va faire, c'est qu'on va prendre la chaleur qu'on tire du froid à l'extérieur et on va l'amener à l'intérieur et ça c'est hyper efficace. »
Il ajoute : « Si on veut remplacer tous les services produits par le pétrole puis le gaz par de l'électricité, on aura besoin de plus d'électricité. Mais ça, c’est un point important : ce n’est pas par de l'efficacité énergétique qu’on va réduire par exemple les 100 TWH qu’on aura besoin pour 2050. C'est faux… Ce n'est pas vrai que faire plus d'efficacité énergétique va faire en sorte qu'on ne construira pas de nouveaux ouvrages (…) parce que c'est déjà inclus [dans les calculs de prévision des besoins]. Oui il faut le faire, il faut utiliser l'énergie de manière intelligente, mais c'est déjà là. Donc, de penser qu'on va chercher un supplément, qu'on n'aura pas besoin de nouveaux approvisionnements d'électricité en 2050, c'est farfelu, si on veut atteindre nos objectifs de carboneutralité. »
Le 4 avril dernier, Hydro-Québec rehaussait à 25 TWh ses cibles en efficacité énergétique, estimant que le « plein potentiel » de mesures rentables pour elle est désormais de 25 TWh. « Dans son Plan stratégique 2022-2026, Hydro-Québec avait annoncé son intention d’accroître ses efforts en efficacité énergétique afin d’atteindre 8,2 TWh à l’horizon 2029. L’objectif cumulatif fixé pour 2020-2022 a été dépassé de plus de 20 %, avec des économies d’énergie de l’ordre de 2 TWh », expliquait la société d’État dans un communiqué publié le 4 avril.
Normand Mousseau rappelle toutefois que ce n’est pas en maximisant le potentiel d’efficacité énergétique, mais en sortant des énergies fossiles, qu’on atteindra l’objectif de carboneutralité. « Je n'ai rien contre la rénovation, j'encourage tout le monde à faire une très bonne rénovation de leur maison, mais ça ne passe pas à l'échelle. Je parlais avec quelqu'un de Ressources naturelles Canada au début de cette semaine. Il disait : “Nous, on évalue qu'au rythme où on va, on va rénover l'entièreté du parc immobilier canadien d’ici 2150. Donc c'est se leurrer de parler d'efficacité énergétique en disant que c’est ça qui va régler notre problème. (…) C’est un échec dans la plupart des pays qui ont mis ça de l’avant, à moins de dépenser des fortunes immenses. Le fédéral a un plan d'à peu près un milliard de dollars (…) pour à peu près 10 millions de bâtiments à décarboner. En gros, il nous dit qu’on devrait être capable de réduire de 37 % à 40 % par rapport à 2019 les émissions du secteur bâtiment en 2030. Donc en 10 ans on va réduire de 40 % les émissions. Si on veut faire ça, on peut d'abord rénover à peu près 80 % du bâtiment de manière profonde au Canada ou mettre des thermopompes sur 40 % des bâtiments… Quand on regarde les coûts de ces rénovations-là, on s'aperçoit rapidement (…) qu’une maison à rénover de manière complète pour réduire de moitié la consommation énergétique, ça coûte 170 000 dollars… Puis je ne sais pas si vous essayez de trouver un contrat ces jours-ci, même si vous êtes prêt à payer le prix, ça prend du temps et de la main-d'œuvre. Cette main-d’œuvre-là devrait travailler, si on veut atteindre la carboneutralité, non pas à rénover des maisons qui chauffent à l'électricité, mais à décarboner. C'est plus rapide de sortir une fournaise au gaz et d’installer une thermopompe que de refaire l'enveloppe thermique de la maison.” »
Aussi s'oppose-t-il à l'entente conclue entre Énergir et Hydro-Québec visant à encourager le chauffage à la biénergie axé sur l'électricité en temps normal et au gaz naturel en période de pointe hivernale. « Chaque fois que quelqu'un cogne à la porte d'Hydro-Québec et dit : “Moi, je veux m'électrifier pour amener mes émissions à zéro”, il est inadmissible qu’Hydro-Québec dise non, et c'est ce qu’elle dit tous les jours dans la région de Montréal. Aujourd'hui, un grand propriétaire de bâtiment qui dit : “Moi je veux sortir du gaz naturel”, Hydro dit non, tu ne peux pas. On a besoin que tu gardes 25 % de gaz naturel dans ta consommation énergétique. Et ça, c'est inacceptable. On doit faire les investissements, développer les réseaux et amener l'électricité là où il y a des besoins. Mais on est déjà en retard là-dessus. »