La biologiste Ginette Leclaire a beau faire des analyses de moisissures depuis une vingtaine d’années, elle les déconseille souvent aux gens qui la contactent. « Si on voit des évidences de croissance de moisissures dans un bâtiment, on n’a pas toujours besoin de faire des tests, explique l’analyste de spores certifiée par le Pan American Aerobiology Certification Board. Ne gaspillez pas votre argent, gardez-le pour les étapes suivantes. Avant tout, il faut décontaminer. Il faut trouver la cause et la régler pour éviter que ça se reproduise. »
Ancien chercheur principal à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, Ken Ruest abonde dans le même sens. « En général, ma recommandation est de ne pas faire de tests. Détectez la source d'humidité et corrigez la situation. C’est important de résoudre un problème existant tel un bris de tuyau, une fuite d’eau au sous-sol, etc. Dans le cas d’un dégât d’eau, il faut assécher vite parce qu’en présence d’humidité les moisissures se mettent à proliférer après 24 heures. »
Selon M. Ruest, plusieurs entreprises de décontamination effectuent des tests de moisissures avant et après leur travail pour prouver qu’il a été bien fait, alors que ce n’est souvent pas le cas. « Tout ce qui compte pour elles, c’est que les résultats d’analyse après-nettoyage soient plus bas qu'avant le nettoyage. Ces tests ne servent pas à déterminer si la moisissure est un danger pour les occupants ni comment les travaux de nettoyage devraient être faits ou s’ils ont été efficaces. En autres mots, les tests ont une valeur assez limitée dans tout le processus. »
Les tests de qualité de l’air peuvent-ils être utiles si on veut briser un bail, poursuivre quelqu’un ou recevoir une compensation quelconque, par exemple pour invalidité? « Oui, répond Ken Ruest. C'est une façon d'aller au-delà des évaluations subjectives, mais il faut que ces tests offrent une preuve défendable pour valider la cause. Un test de moisissure ne détermine pas la cause du problème. La moisissure parfois est le résultat de la mauvaise gestion de l’humidité par des locataires ou parce qu'ils n'ont pas chauffé adéquatement les lieux. »
Les analyses de moisissures, très populaires notamment dans les écoles et coûtant chacune 150 $ à 200 $, donnent souvent des résultats « faux négatifs » parce qu’on ne fait pas les prélèvements d’air ou de matériau au bon endroit. L’hygiéniste industrielle Anne O’Donnell est intervenue à l’école Harfang-des-Neiges, à Pierrefonds, où le personnel et les élèves se sont plaints pendant dix ans d’odeurs, d’yeux qui brûlaient et d’asthme qu’ils associaient aux moisissures. La Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys n’a rien réglé parce que des tests de qualité d’air se sont avérés négatifs. Elle est venue avec un de ses chiens pisteurs de moisissures et ce dernier a repéré des zones assez gravement contaminées en une demi-heure.
« Si j’étais aux prises avec des moisissures, j’appellerais Anne, dit Ginette Leclaire. Ses chiens sont tellement performants. Elle ne fait faire des tests que lorsque l’alarme du chien est faible et qu’elle a un doute. Elle m’a déjà apporté un morceau de gypse qui ne présentait aucune trace visible de cerne ou de moisissure sur les surfaces. En faisant l'analyse, j'ai mis en évidence une contamination fongique à l'intérieur du gypse. De très belles structures de moisissures étaient présentes à l'intérieur des alvéoles du plâtre, ce qui a prouvé que le chien avait raison. »
Hygiéniste industrielle depuis trois décennies, Anne O’Donnell dirige l’entreprise montréalaise HSST Conseils et elle est l’ancienne présidente de l’Association québécoise pour l’hygiène, la santé et la sécurité du travail. Elle a découvert les chiens pisteurs de moisissures aux États-Unis en 2004. Selon les experts, les chiens ont l’avantage d’avoir un odorat jusqu’à mille fois plus fin que le nôtre et de ne pas inhaler ce qu’ils reniflent, explique-t-elle. Bref, ils ne s’exposent pas aux produits chimiques émis par les moisissures qui peuvent notamment causer des problèmes respiratoires et des allergies.
« L’utilisation du chien évite d’ouvrir les murs partout dans un immeuble, pour repérer les moisissures cachées, explique-t-elle. Le chien pisteur gratte à l’emplacement où elles sont concentrées. Comme les cloisons sont des endroits plus humides qui ne sèchent pas rapidement, uneinspection à l’arrière des surfaces est nécessaire pour constater le degré de contamination et proposer des mesures correctives adéquates, le cas échéant. De petites ouvertures sont donc par la suite réalisées aux endroits repérés par le chien pisteur. On fait des petits trous soit avec mon technicien ou un ouvrier de façon contrôlée, avec un aspirateur muni d’un filtre HEPA pour s’assurer de ne pas aéroporter de spores de moisissures. »
Mais une fois les moisissures localisées, faut-il faire appel à un professionnel du bâtiment pour diagnostiquer et régler la cause de l’humidité? « Des fois, c’est clair, il y a une fissure ou un problème de plomberie ou de toiture, répond l’experte. Mais d’autres fois, ce n’est pas évident et ça prend un expert en science du bâtiment. »
Pour effectuer les travaux de décontamination, elle suggère de faire soumissionner trois firmes aptes à suivre les recommandations spécifiques détaillées dans son rapport. « Si on a moins d’un mètre carré (1 m2) contigu de moisissure sur une surface, le travail de nettoyage peut se faire par un entrepreneur général. De 1 à 9 m2, on devrait faire affaire avec une firme spécialisée pour assainir. Au-delà de 9 m2, il faut des mesures de contrôle additionnelles (lire l’article 9.25 des Lignes directrices sur les moisissures pour l’industrie canadienne de la construction, publiées en 2004 par l’Association canadienne de la construction). Mon rôle, c’est d’apporter des recommandations sur comment faire l’assainissement. »
Elle précise que l’eau de Javel ajoute beaucoup d’humidité nourrissant les moisissures car le chlore qu’elle contient se dégrade rapidement. « Elle est reconnue inefficace pour détruire certaines spores. De toute façon, on vise le nettoyage des matériaux non poreux et la mise aux rebuts des matériaux poreux souillés. »
De même, elle ajoute que tous les autres fongicides sont déconseillés parce qu’ils sont souvent aussi ou même plus nocifs que les moisissures. « Pour s’assurer que les travaux seront faits de façon conforme, certaines entreprises utilisent beaucoup de produits chimiques pour que les tests d’air soient conformes. Ces produits contrôlent les moisissures, mais seulement de façon temporaire. Il faut physiquement retirer les moisissures. Sinon, ça se peut bien qu’elles soient sèches en ce moment, mais qu’elles deviennent humides pendant la fonte des neiges, par exemple. »
Comment se passe la décontamination? « Il faut enlever le matériel poreux qui est souillé, par exemple le gypse, les tissus, les tapis, les rideaux et le cuir. Il faut malheureusement les jeter à la poubelle. On recommande de couper le gypse deux pieds plus haut que la dernière trace visible de moisissure. Les matériaux non poreux, comme le plastique, l’acier, ou semi-poreux comme le béton, peuvent être nettoyés. »
L’inspection d’une maison complète avec chien pisteur coûte typiquement 1 500 $. Mon tarif horaire est de 150 $ avec un minimum de 3 heures incluant le déplacement, dit Mme O’Donnell qui vérifie souvent avec son complice canin si le travail de décontamination a été bien fait. « Cent pour cent du temps où je fais le contrôle de la qualité, il reste toujours des vestiges de moisissures. Il y a toujours d’autres surfaces, des matières qui doivent être enlevées. »
Il y a plusieurs années, elle a été appelée à intervenir à l’Hôpital Honoré-Mercier, à Saint-Hyacinthe. « Après des milliers de dollars de travaux d’assainissement, il y avait encore beaucoup de zones atroces, c’était épais comme moisissure. C’était assez surprenant. »
Elle déconseille d’embaucher des firmes qui offrent à la fois l’inspection et la décontamination des bâtiments moisis, ainsi que les tests de moisissures. « Elles sont en potentiel conflit d’intérêts et vont souvent se trouver un désastre, dit-elle. J’en ai vu très souvent. Il faut vraiment faire affaire avec deux professionnels distincts. »
Un avis que ne partage pas nécessairement Alexandre Legault, spécialiste de la qualité de l’air intérieur depuis plus de 20 ans et propriétaire de la firme montréalaise Legault Hygiène du bâtiment. Ayant suivi la formation d’investigateur en qualité de l’air de la SCHL, il offre à la fois les services d’inspection et de décontamination des maisons infestées par des moisissures (il en dirige ou en supervise plus de 200 chaque année). « Si on est honnête et qu'on fait bien son travail, il n'y a pas de conflit d'intérêts. Par exemple, je ne vais jamais contrôler la qualité des travaux de ma compagnie en décontamination. Si le client veut un contrôle post-décontamination il peut engager une firme de consultants; parfois elle est déjà engagée avant les travaux. Personnellement j'offre mes services de consultant et je recommande toujours à mes clients d'aller chercher plusieurs soumissions lorsque des travaux importants qui doivent être réalisés par des professionnels sont requis. Je propose une soumission et ils choisissent avec qui ils veulent procéder. Mes clients sont satisfaits et ma réputation est importante pour moi. J'encourage toujours mes clients à adopter des habitudes favorables à la qualité de l'air et m’informe s'ils sont prêts à faire des travaux. Je leur explique la procédure, les équipements à utiliser et je suis disponible s’ils ont des questions ou pour superviser leur chantier. »
Il ajoute qu’il respecte l’opinion et l’expertise de Mme O’Donnell, qu’il estime « valables quand on veut rester sur ses gardes. Sans rien enlever au travail avec les chiens, que je trouve super intéressant, mes expériences ont été de voir beaucoup de démolition pour des traces en comparaison avec les techniques traditionnelles. Les chiens sont peut-être un outil intéressant mais potentiellement trop sensible. »
Réponse d'Anne O'Donnell : « Mieux vaut être sensible que de rater les endroits où il y a une contamination fongique qu'un consultant n’a pas répérés! Ceci arrive très souvent. J’ai énormément d’exemples survenus dans plusieurs écoles. »
Pour en savoir davantage :
Écouter notre entrevue avec Anne O’Donnell sur notre chaîne https://www.youtube.com/maison21e.
Et lire Inspection en cas de prséence de moisissures (Société d'habitation du Québec)
« Santé Canada considère que la croissance de moisissures dans les bâtiments d'habitation peut poser des risques pour la santé. Les risques pour la santé dépendent de l'exposition et, pour les symptômes reliés à l'asthme, de la sensibilisation allergique. Toutefois, le grand nombre d'espèces fongiques présentes dans les bâtiments et la grande variabilité interindividuelle de la réponse à l'exposition aux moisissures empêchent la détermination de valeurs guides d'exposition. Par conséquent, Santé Canada recommande :
• de contrôler l'humidité dans les résidences et d'y réparer rapidement toute fuite ou infiltration d'eau afin de prévenir la croissance des moisissures;
• de nettoyer en profondeur toute moisissure croissant dans les immeubles résidentiels, qu'elle soit visible ou non.
Ces recommandations s'appliquent quelles que soient les espèces fongiques croissant dans les bâtiments.
Par ailleurs, en l'absence de valeurs guides d'exposition, les résultats de tests sur la présence de moisissures dans l'air intérieur des immeubles ne peuvent être utilisés pour évaluer les risques pour la santé des occupants de ces immeubles. »
Source : Lignes directrices sur la qualité de l'air intérieur résidentiel : moisissures (Santé Canada)