« Mes tribulations ont alimenté l'actualité, écrit Louis Robert dans son livre coup-de-poing. Je ne suis pourtant pas monté au front pour débattre ou défendre une cause, j'ai plutôt témoigné d'une situation qui était inacceptable tant elle mettait en jeu à la fois notre sécurité alimentaire et notre santé. »

Tiré du livre Pour le bien de la terre, paru aux éditions MultiMondes en 2021.

Je ne suis pas favorable aux organismes génétiquement modifiés (OGM). Non parce qu’ils seraient une menace de santé publique, mais pour des raisons plus fondamentales, à commencer par une raison d’ordre éthique : le contrôle du vivant, l’accaparement de la génétique des cultures par des intérêts exclusivement commerciaux. Pour moi, les variétés, cultivars et hybrides devraient demeurer des biens publics au même titre que l’eau, des parties intégrantes du patrimoine collectif qui ne devraient jamais être brevetées, ni commercialisées de façon exclusive par une société privée. À cet égard, la question se posait bien avant l’avènement des OGM. Les premiers hybrides de maïs, par exemple, sont apparus dès les années 1930, et les semenciers en ont rapidement fait des marques de commerce, gardant jalousement les semences des lignées parentales. Dans ce cas, en plus des brevets, la maîtrise de la génétique par les compagnies était garantie par le fait qu’il était impossible de garder une partie de la récolte de maïs issue d’un hybride pour en faire des semences pour la saison suivante. La « vigueur hybride », le phénomène résultant de l’association de gènes dissemblables permettant à un hybride de produire beaucoup plus que sa progéniture (ou que ses parents), disparaît alors pour les producteurs.

Dans le cas des cultures autopollinisées, telles que l’orge, le blé, le seigle, etc., l’utilisation d’une partie de la récolte comme semences ne cause pas la même perte de productivité que pour le maïs. Il est fréquent que le producteur recycle une partie de sa récolte en semences. Il n’en demeure pas moins que la plupart des cultivars restent la propriété exclusive des semenciers, et le système encourage l’achat de nouvelles semences à chaque saison. Les agronomes rappellent non sans raison que la réutilisation pour les semences de grains récoltés à la ferme augmente le risque de dissémination des mauvaises herbes et des maladies. Pour moi, il est immoral de ne pas laisser à l’agriculteur son libre choix dans l’achat des semences. Du reste, les risques de dissémination de végétation indésirable ne sont-ils pas encore plus élevés avec le système OGM ? Comme les plants de canola préparés pour résister au glyphosate et qui aboutissent dans un champ de canola biologique ?

L’expansion rapide des OGM en grandes cultures repose sur une base génétique très peu diversifiée. Les sources (lignées parentales, lignées sauvages, etc.) exploitées pour les recombinaisons souhaitées sont souvent les mêmes. Motivées par l’obtention de profits toujours plus conséquents, les sociétés manipulatrices de ces chromosomes n’ont que faire de la biodiversité.

Comment les nouveaux cultivars, qui ne disposent plus de la défense génétique de leurs ancêtres, peuvent-ils se protéger contre les attaques des insectes ravageurs ou des maladies ? Je suis d’avis que si les matériels génétiques des cultures étaient demeurés propriété publique, les méthodes de lutte intégrée contre les ravageurs seraient utilisées beaucoup plus largement et auraient réussi à garantir la bonne santé des cultures bien plus efficacement qu’en empruntant le chemin des OGM. Mais il aurait fallu avoir accès à une information scientifique objective.

Car le succès des hybrides de maïs et des cultivars de soya OGM s’explique aussi par un contrôle efficace de l’information de la part des entreprises productrices. Les agronomes comptant un certain nombre d’années d’expérience se souviennent des compagnies qui promettaient une baisse importante de l’utilisation des pesticides grâce à l’adoption d’espèces hybrides résistant au glyphosate. Au tournant des années 2000, plusieurs parmi nous doutaient de cette assertion, car nous savions que le glyphosate réprime uniquement les mauvaises herbes présentes au moment du traitement. Son efficacité était nulle sur plusieurs espèces de mauvaises herbes, celles qui germent plus tard. Nous savions aussi qu’on ne pouvait compter sur une seule molécule sans avoir tôt ou tard à faire face à des résistances. Malgré ces appréhensions, fondées scientifiquement, les journées d’information et les médias spécialisés ont sans cesse relayé le « pitch de vente » des compagnies : hybrides et cultivars RR (pour « Roundup-Ready », résistants au glyphosate) = moins de pesticides.

Vingt ans plus tard, l’histoire a donné raison aux sceptiques, même si les représentants ne l’admettront jamais : l’adoption massive des OGM par les céréaliculteurs québécois a été un facteur majeur dans l’augmentation prononcée de l’utilisation de pesticides au Québec au cours de la décennie 2000-2010. Aujourd’hui, presque tous les champs de maïs et plus de la moitié de ceux de soya reçoivent au moins une dose (souvent deux) de glyphosate par saison, et doivent en plus être traités par un herbicide à effet résiduel. Sans parler des mauvaises herbes résistantes au glyphosate, de plus en plus répandues et problématiques.

Le scénario est le même en ce qui a trait à l’argument de la productivité : les augmentations de rendement promises étaient exagérées en comparaison des évaluations objectives dont nous disposions à l’époque. Il est difficile aujourd’hui de dégager un verdict clair à ce sujet, étant donné que les hybrides et les cultivars OGM d’aujourd’hui ont bénéficié d’efforts de recherche disproportionnés par rapport à la génétique conventionnelle.

Il en va de même avec la rentabilité des cultures. Contrairement aux prétentions initiales, ce ne sont pas les producteurs qui ont bénéficié des retombées de cette nouvelle technologie. Les utilisateurs doivent payer les semences OGM à un prix 40 % supérieur à celui des semences conventionnelles, sans pour autant encaisser d’augmentation de rendement substantielle. 

Une fois de plus, pour réussir à contrôler le message, les compagnies de semences ont bénéficié de la complicité de nos institutions chargées de la défense de l’intérêt public. En automne 2011, j’ai été invité à participer au comité qui devait proposer une mise à jour de la position de l’OAQ au sujet des OGM. À la première réunion du comité, je me suis rendu compte que l’OAQ avait choisi d’inviter, parmi les huit personnes que nous étions, trois agronomes à l’emploi de compagnies qui vendaient des OGM ! Je me suis alors retiré du comité.