Article publié en décembre 2017 et mis à jour le 29 septembre 2022
Une juge californienne vient de contraindre le ministère californien de la Santé publique à publier des conseils secrets sur la sécurité des téléphones cellulaires qu'il tardait à divulguer. Rédigées par ses employés depuis 2010, elles confirment les risques potentiels pour la santé présentés par les champs électromagnétiques (CEM) émis par les cellulaires, et suggèrent des moyens de s'en protéger.
Ces conseils de sécurité « auraient peut-être pu sauver des vies si elles avaient été publiées il y a sept ans », déplore Joel Moskowitz, un chercheur en santé publique à l'Université de la Californie (UC Berkeley) qui a poursuivi le California Public Health Department (CPHD) en mai dernier parce que celui-ci refusait de les publier depuis 2014. Datée d'avril 2014, la dernière version de « Cell Phones and Health » fait deux pages et fut envoyée par le Ministère à une journaliste du San Francisco Chronicle qui préparait un article sur l'intention de la juge Shelleyanne Chang de la Cour supérieure d'en ordonner la publication.
Ce document affirme que « plusieurs études ont trouvé que les gens atteints de certaines formes de cancer du cerveau étaient plus susceptibles d'avoir utilisé un téléphone portable pendant 10 ans ou davantage. La plupart des cancers étaient du même côté de la tête que celui utilisé pour téléphoner. Bien que les probabilités de développer un cancer du cerveau soit très faible, ces études suggèrent que l'utilisation régulière de téléphone cellulaire augmente le risque de développer certains types de cancer du cerveau. Certaines études ont également lié l'exposition aux CEM des téléphones cellulaires aux problèmes de fertilité. »
Il ajoute que les CEM de type micro-ondes émis par les cellulaires sont les mêmes que ceux utilisés par un four à micro-ondes et qu'ils peuvent affecter les cellules et tissus corporels parce que les gens portent leur cellulaire sur eux et l'utilisent souvent. « Les CEM peuvent pénétrer plus profondément dans le cerveau d'un enfant que dans celui d'un adulte, ajoute le document. Leur cerveau se développe jusque pendant l'adolescence, ce qui peut rendre les enfants et les ados plus sensibles à l'exposition aux CEM. » Il ajoute que les femmes enceintes sont également plus vulnérables à la surexposition aux micro-ondes.
La fiche d'information californienne contient des lignes directrices similaires à celles émises par le Département de santé publique du Connecticut en mai 2015. Elle recommande notamment de limiter l'usage du cellulaire par les enfants et les adolescents « aux textos, aux appels importants et aux urgences. » Elle suggère aussi de limiter la durée des appels, d'utiliser le haut-parleur, un casque d'écoute ou un téléphone filé pour les plus longues conversations, d'écourter les appels ou d'éloigner l'appareil de son corps quand la réception est mauvaise parce qu'il émet alors des ondes plus puissantes, de ne pas se fier à des dispositifs censés blinder les CEM ou neutraliser leurs effets ainsi que d'éviter de dormir à proximité de son cellulaire ou de le porter sur soi à moins qu'il ne soit éteint (il émet des ondes tant qu'il n'est pas mis en mode Avion). Il ajoute que certains appareils émettent davantage que d'autres et que les émissions sont plus importantes au début des appels (quand l'appareil tente de se connecter à une antenne relais) ainsi que lorsqu'on se déplace dans un véhicule (il se connecte alors d'une antenne à une autre). D'ailleurs, aujourd'hui, les conseils de sécurité contenus dans les téléphones cellulaires recommandent de toujours tenir l'appareil à au moins 1 cm du corps (détails sur showthefineprint.org).
Les avocats du CDPH ont plaidé en Cour supérieure de la Californie que cette fiche d'information ne représentait pas l'avis officiel du ministère, que sa publication pourrait causer « une panique inutile » et que le CDPH n'était pas tenu d'avertir le public des risques pour la santé non prouvés (hors de tout doute raisonnable). La juge Shelleyanne Chang a rejeté ces arguments en disant que le ministère avait l'obligation de divulguer les informations d'intérêt public obtenues par ses chercheurs, malgré l'absence de consensus scientifique en la matière.
Jugées désuètes par trois organismes fédéraux américains depuis 1993, les limites d'exposition internationales aux micro-ondes ne visent qu'à éviter l'échauffement des tissus et non les effets non thermiques (symptômes neurologiques, cardiaques, etc.) connus des militaires depuis plus de 50 ans.
En 2011, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé les CEM de radiofréquences émis par les antennes et autres appareils sans fil comme « peut-être cancérogènes », mais elle ajoute que « jusqu'à présent, aucun effet nocif sur la santé n'a été établi en raison de l'utilisation de téléphones mobiles ». En revanche, plusieurs récentes études ont changé la donne. En 2018, une étude du prestigieux US National Toxicology Program a « clairement » conclu que l'exposition au téléphone cellulaire avait causé chez des rats les mêmes types de cancers auxquels sont plus à risque les usagers du cellulaire à long terme. L'OMS doit bientôt mettre à jour son avis sur les RF, cependant les experts indépendants ne lui font plus confiance parce qu'elle est noyautée par les chercheurs associés à l'ICNIRP (International Commission for Non-Ionizing Radiation Protection). Fondée par Michael Repacholi, un consultant pour les industries de l'électricité et du sans-fil, ancien chercheur de Santé Canada et fondateur du Projet International CEM de l'OMS, cet organisme privé est à l'origine des limites d'exposition basées sur l'effet thermique (c'est-à-dire la cuisson de la peau). Enfin, plusieurs de ces chercheurs ont récemment signé l'Appel de Reykjavik demandant que les connexions internet soient filées dans les écoles parce que les effets néfastes des RF sont cumulatifs et qu'aujourd'hui les enfants sont exposés jour et nuit à des micro-ondes d'une foule d'antennes et d'appareils sans fil.
Joel Moskowitz est un psychologue qui dirige le Centre pour la santé familiale et communautaire de l'École de santé publique de l'UC Berkeley depuis 1993. Expert en évaluation des méthodologies de recherches, spécialisé notamment en politiques sur le tabagisme et dans celles relatives aux maladies transmises sexuellement, il s'est spécialisé en politiques portant sur l'électrosmog en 2009. Il signait alors une méta-analyse sur les études concernant l'usage du cellulaire et le risque de cancer. Il souligne que certaines études ont trouvé des liens entre les dommages aux spermatozoïdes chez les hommes plaçant leur cellulaire dans les poches avants de leur pantalon, près de leurs testicules, de même que des effets sur la santé reproductive chez les femmes.
Selon lui, le CPHD aurait violé la loi en étampant le document des mots « Draft and Not for Public Release » (Ébauche ne devant pas être divulguée publiquement) : « la décision provisoire du juge indiquait exactement le contraire - que le document n'était pas un projet et qu'il devait être rendu public (…). Le CDPH a essentiellement créé un nouveau document plutôt que de rendre public le document tel quel, en violation de la Loi sur les dossiers publics (…). Dans la mesure où la CDPH voulait simplement indiquer que le document ne représente pas sa position officielle au début de 2017, le fait que le document soit daté « avril 2014 » devrait être clair. »
Sources :
saferemr.com, le samedi 4 mars 2017