Mes deux premiers articles abordaient les différents moyens permettant aux citoyens d’atteindre une certaine forme d’autonomie alimentaire et une abondance des récoltes, ceci au grand plaisir de toutes et de tous.
Au-delà des initiatives citoyennes, plusieurs acteurs de différents horizons peuvent favoriser la création de projets nourriciers respectueux de l’environnement et des ressources disponibles. Pensons notamment aux municipalités ainsi qu’aux promoteurs immobiliers qui peuvent collaborer afin de favoriser l’approvisionnement alimentaire local dans des villes nourricières. Pour ce faire, tous les acteurs impliqués doivent comprendre les enjeux entourant le développement de jardins productifs et de serres efficaces. L’accès au soleil, et le design solaire passif qui tire profit de la trajectoire du soleil en fonction des saisons, constituent deux de ces enjeux critiques. Une planification et un aménagement urbain judicieux permettront d’optimiser les récoltes dans les villes et les banlieues.
Urbanisme durable et villes nourricières
On ne cesse de nous parler de villes et de communautés nourricières et c’est tant mieux. Ces concepts visent à mettre en place les conditions gagnantes pour offrir au plus grand nombre l’accès à des aliments locaux. Bien que l’accent soit mis sur l’offre de produits frais et diversifiés, on ne saurait négliger les produits transformés et mis en marché localement, idéalement à moindre coût. Cette approche permet aux municipalités de devenir plus souveraines au point de vue alimentaire, sans pour autant éliminer les arrivages de produits importés. C’est une approche qui offre de nombreux avantages autant aux points de vue économique et environnemental qu’humain. Le coût du panier d’épicerie qui monte en flèche et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre occasionnée par le transport des aliments ne font qu’accentuer l’intérêt pour les villes nourricières.
Des réflexions et actions sont déjà amorcées en ce sens dans les municipalités du Québec depuis plusieurs années. Certaines d’entre elles n’hésitent pas à emboîter le pas en se dotant de politiques d’agriculture urbaine, c’est le cas de Chambly, ma banlieue natale, et de villes comme Longueuil et Montréal. Cette approche est nécessaire dans un contexte où l’offre alimentaire est plutôt limitée dans certains secteurs considérés comme des déserts alimentaires.
Le maillage de l’agriculture avec la complexité du paysage urbain représente son lot de défis. Les municipalités doivent développer une meilleure compréhension des enjeux et s’entourer d’experts qui sauront proposer des solutions concrètes permettant l’émergence d’initiatives fructueuses et pérennes. À ce titre, les municipalités détiennent plusieurs leviers d’actions.
L’étude récente du projet de loi 69 sur la gouvernance responsable des ressources énergétiques a incité l’Union des municipalités du Québec (UMQ) à partager sa vision du rôle des villes, notamment dans la nécessaire transition énergétique au-delà des énergies fossiles. À ce titre, l’alimentation est un secteur impliquant de nombreuses composantes consommatrices de carburants pétrochimiques. « Une ville nourricière est une ville qui agit sur les cinq axes du système alimentaire, soit la production, la transformation, la distribution, la consommation et la gestion des matières résiduelles, afin d’assurer ladurabilité de ce système essentiel à toute collectivité », tel qu’expliqué dans la Politique Ville nourricière de Saint-Bruno-de-Montarville, adoptée en 2024. La production d’aliments dans des fermes verticales intérieures, mais aussi dans des serres et des tunnels, requiert une demande énergétique pour le chauffage, la ventilation, l’éclairage ainsi que pour d’autres usages. Certaines cultures sont dites high-tech et plus énergivores, tandis que d’autres dites low-tech ont une demande énergétique moindre. Elles se feront sous serres ou tunnels non chauffées ou à peine.
Le chauffage est le segment le plus énergivore de la culture en serre. Pas étonnant quand on apprend que la culture de plusieurs légumes exige une température élevée. Plusieurs végétaux exigent aussi un niveau d’ensoleillement important. C’est le cas des poivrons et des piments, mais aussi des tomates, des aubergines sans oublier les fraises, les melons et le basilic... On parle ici de six à huit heures quotidiennement, voire parfois davantage. À cet égard, le gain solaire passif, source naturelle et gratuite de chaleur et de lumière, permet non seulement d’optimiser la croissance des végétaux, mais aussi d’étirer la saison de croissance sous abris.
Or, les serres ne sont d’ordinaire pas vraiment conçues de manière à prévenir les pertes thermiques, du moins pas autant qu’une serre solaire passive adossée à un bâtiment par exemple. De plus, les serres ne sont pas toujours bien entretenues. Il existe donc un fort potentiel d’application en ce qui concerne les mesures d’efficacité énergétique dans ce secteur, d’autant plus que la superficie des serres ne fait qu’augmenter, et tout particulièrement pour des légumes à la culture énergivore comme la tomate.
Efficacité énergétique et urbanisme solaire
Une planification territoriale éclairée, c’est le cas de le dire, favoriserait le droit et l’accès à l’énergie solaire passive, laquelle traverse des vitrages faisant ainsi profiter les bâtiments des gains thermiques, en plus d’apporter de la luminosité profitable aux cultures en plein sol. Il faut faire la distinction entre l’énergie solaire passive et l’énergie solaire active, qui fait appel à des panneaux photovoltaïques (PV) pour générer de l’électricité, et l’énergie solaire thermique captée dans le but de chauffer l’air ou l’eau. Certaines porcheries envisagent de se tourner désormais vers ces technologies actives, lesquelles nécessitent des murs solaires, en métal microperforé, très performants pour préchauffer l’air lorsque l’on dispose de grandes surfaces. Une autre approche très en vogue dans les pâturages d’Europe, soit l’agrivoltaïsme, utilise l’ombrage intermittent fourni par des parcs de panneaux PV pour optimiser la croissance des plantes qui ont moins besoin de chaleur et qui bénéficient davantage de l’ombre.
Un programme particulier d'urbanisme (PPU) permet à un conseil municipal de détailler la planification d’un secteur précis, par exemple résidentiel, industriel ou mixte. Il fait partie du plan d'urbanisme qui encadre le développement d’une municipalité complète, conformément au schéma d’aménagement régional. Dans le cadre de la révision prévue de son plan d'urbanisme, une municipalité pourrait par exemple adopter un PPU lié à l’implantation d’un lotissement domiciliaire misant sur l’énergie solaire passive et active.
L’urbanisme peut ainsi contribuer à l’émergence de pratiques durables comme l’agriculture urbaine, le verdissement et le développement de nouveaux quartiers de bâtiments à très haut rendement énergétique. Une législation plus souple au niveau du zonage permettrait ainsi d’améliorer l’autonomie alimentaire et énergétique d’une ville tout en sensibilisant les différents acteurs impliqués dans cette démarche. L’UMQ souligne d’ailleurs que les villes emboîtant le pas à la transition énergétique contribuent à sensibiliser la population en posant des gestes écologiques qui donnent le bon exemple. C’est le cas notamment du programme de subventions Victoriaville Habitation Durable et des nombreuses initiatives et aides mises en place depuis deux décennies dans l’arrondissement montréalais de Saint-Laurent, l’endroit au Québec où l’on construit le plus d’habitations écologiques.
Toute planification de nouveaux quartiers devrait prévoir des trames de rues orientées dans un axe est-ouest (un décalage de plus ou moins 15 degrés est tout à fait acceptable). Cette façon de faire permet de construire des bâtiments dont la toiture, les principaux vitrages et la cour peuvent profiter pleinement de la « fenêtre » solaire, la cour étant exposée à un ensoleillement favorisant le développement de jardins. La fenêtre solaire est la trajectoire parcourue par le soleil dans le ciel, ladite trajectoire étant plus ou moins longue et haute selon les journées et saisons. Par exemple, en hiver, le soleil se lève au sud-est et se couche au sud-ouest.
Un aménagement paysager adapté, notamment grâce à l’ajout de conifères et de haies brise-vent du côté nord, permet de réduire le refroidissement d’une serre ou d’une maison exposée aux vents dominants. L’ajout d’arbres à feuilles caduques du côté sud viendra compléter l’aménagement afin d’éviter la surchauffe en été sans créer d’ombrage important en hiver, quoiqu’avec les années, on pourrait vouloir couper les plus grosses branches. Bref, tous les éléments devenant des obstacles aux gains solaires dans notre environnement devront être revus.
L’accès au soleil fut l’un des critères recherchés en 2018 par Damien et Déborah Chaveron qui ont rénové une maison d’Ahuntsic-Cartierville dont la cour arrière est orientée franc sud. Complètement dégarnie et reconstruite, puis baptisée Maison Ozalée, elle deviendrait le premier bâtiment québécois à obtenir la prestigieuse certification allemande Passivhaus. Le respect des exigences extrêmement élevées de ce programme, notamment en matière d’isolation, d’étanchéité et de fenestration, permet de réduire jusqu’à 90 % des besoins de chauffage d’une maison passive, comparativement à ceux d’une maison construite selon les exigences minimales du CCQ. Généralement, la maison du couple est chauffée seulement par l’énergie solaire passive et la chaleur dégagée par les occupants et leurs appareils (les « gains internes »). Ses radiateurs électriques ne servent que de chauffage d’appoint, et ce, par temps très froid. L’exposition idéale de leur cour arrière a su inspirer Damien et Déborah qui y ont créé un aménagement nourricier selon les principes de la permaculture.
Dans la même optique d’accès au soleil, il devient essentiel de concevoir ou modifier les règlements de zonage pour limiter la construction de tours de plusieurs étages qui porteraient ombrage aux voisins. Le diagramme solaire illustre l'emplacement du soleil dans le ciel, à n'importe quel moment de la journée et tout au long de l'année, à un point de référence unique. Il permet donc de déterminer la trajectoire du soleil et d’observer les ombres projetées dans l’environnement. Il est d’autant plus important d’en tenir compte dans un environnement bâti où l’on souhaite voir se développer des immeubles solaires passifs et/ou produisant de l’électricité solaire.
L’urbanisme solaire est aussi intéressant pour le développement de parcs immobiliers écoénergétiques que pour le rendement de nos productions alimentaires. Dans le cas d’un projet nourricier dont la culture se fait en partie en serre, il faudra songer à maximiser à la fois l’efficacité énergétique et les gains solaires des bâtiments, tout en assurant une distribution efficace de l’air chaud.
L’idéal est de récupérer et partager les surplus de chaleur émis par diverses sources (eaux usées, commerces et industries, etc.) afin de contribuer au chauffage des habitations et serres comme le font les réseaux de chaleur urbains de quatrième génération. C’est ce qui est fait à l’écoquartier Technopôle Angus de Montréal, premier quartier certifié LEED ND Platine au Québec. L’ensemble des bâtiments est raccordé à une boucle énergétique innovante qui répartit les rejets thermiques en fonction des besoins de chacun, c’est ainsi que l’on a réduit leur consommation énergétique de 26 % par rapport à des bâtiments standards. Pour sa part, la ville de Québec veut capter la chaleur émise par le Centre de glaces Intact Assurance pour chauffer 128 logements et un centre de la petite enfance.
Bien caractériser notre environnement énergétique permet d’en tirer profit. Dès 2010, dans Ahuntsic-Cartierville, l’entreprise montréalaise Fermes LUFA a trouvé l’emplacement parfait pour construire la toute première serre commerciale sur toit au monde : un vieil édifice industriel au toit plat à bonne capacité portante. Ses serres sur les toits consomment environ 50 % moins d’énergie que les serres au sol. « LUFA récupère les pertes passives de chaleur des bâtiments situés sous les serres, afin de chauffer leur propre infrastructure. De plus, les serres agissent comme une zone tampon contre les variations thermiques extérieures, ce qui permet de réduire la consommation énergétique du bâtiment principal », explique l’entreprise sur le site de l’École de gestion de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Bien que la construction de serres sur les toits soit beaucoup plus coûteuse qu’au sol, la fenêtre solaire y est optimale autant pour les vitrages que pour des panneaux solaires.
En somme, on a donc tout intérêt à caractériser l’environnement urbain. Cela permet d’identifier les secteurs favorisant une bonne fenêtre solaire pour les serres et, en contrepartie, les secteurs plus densifiés où l’on pourrait implanter davantage de fermes verticales et, notamment, d’intérieur.
Surtout, les services municipaux d’urbanisme peuvent réviser l’aménagement du territoire, ceci afin de soutenir les promoteurs désireux de créer des lotissements tirant profit de l’énergie gratuite, abondante et peu polluante (à part l’éblouissement) du soleil. Bref, revoir la manière de concevoir et d’adapter nos quartiers permet de créer des lieux où il fait bon vivre et qui tendent vers l’autosuffisance énergétique et alimentaire.
Conclusion
À l’heure des changements climatiques, on constate une explosion des besoins et, conséquemment, des coûts de production des énergies propres. Plus que jamais, il est grand temps que les villes adoptent à grande échelle la planification urbaine solaire promue depuis 1969 avec la publication du livre Design with Nature, de Ian McHarg, qui a révolutionné l’architecture du paysage et l’urbanisme. Cette approche judicieuse encourage la mise en place d'outils urbanistiques favorisant le droit à l'accès solaire afin que citoyens et bâtiments puissent profiter pleinement du rayonnement solaire direct. La préservation de cet accès au soleil, en limitant les constructions en hauteur, sera critique si l’on veut créer des milieux de vie écologiques, alors que l’on doit densifier les villes afin de réduire les nombreux impacts de l’étalement urbain, dont la destruction des milieux naturels.
L’urbanisme solaire aidera à diminuer les coûts de chauffage et d’éclairage des bâtiments ainsi que les émissions de gaz à effet serre associées. De plus, dans un effort commun de décarboner nos villes, il serait intéressant de voir se développer des quartiers solaires passifs à vocations multiples, à l’instar de l’approche TOD (Transit-Oriented Development) axée sur la construction de quartiers à échelle humaine autour des transports en commun. Une planification territoriale tenant compte du solaire faciliterait aussi l’implantation de jardins et de serres. En réduisant le coût d’exploitation des productions et en favorisant un approvisionnement alimentaire de proximité, cette planification permettrait d’améliorer le rendement des produits alimentaires tout en diminuant notre dépendance aux énergies fossiles et aux aliments importés. Avec une bonne mise en marché, l’écoulement des aliments pourrait s’effectuer là où ils sont produits dans une logique de circuits courts. Enfin, d’autres initiatives écologiques pourraient venir s’y greffer. Les excédents d’eau pluviale stockés lors de crues importantes pourraient servir à arroser les végétaux et à alimenter les circuits de chauffage urbains.
Bref, il y a lieu de faire une évaluation à 360 degrés du développement de nouveaux quartiers, mais aussi de secteurs à revaloriser en tenant compte des besoins de sécurité alimentaire et énergétique dans une perspective de développement durable. Tous les acteurs impliqués devront collaborer pour réduire la consommation d’énergie de ces futurs écoquartiers. Une approche holistique permettra de créer un bouquet de possibilités énergétiques en fonction des besoins propres aux différentes cultures que nous souhaitons voir se développer sur un territoire donné. Le défi est lancé!
RÉFÉRENCES
http://acqconstruire.com/wp-content/uploads/2014/03/potentiel-energies-solaires-quebec.pdf
https://stbruno.ca/ville/politiques-et-plans-daction/ville-nourriciere/
https://www.quebec.ca/habitation-territoire/amenagement-developpement-territoires/amenagement-territoire/guide-prise-decision-urbanisme/planification/programme-particulier-urbanisme
http://www.ozalee-passive.com/?page_id=23
https://lufa.com/fr/blog/serie-serres-ahuntsic-20230125082109
https://www.quebec.ca/agriculture-environnement-et-ressources-naturelles/agriculture/industrie-agricole-au-quebec/productions-agricoles/culture-fruits-legumes-serre-serriculture