À l'ère de la transparence quant aux impacts des matériaux sur la santé et l'environnement, les dinosaures devront bientôt s'adapter ou disparaître.
« Pour le consommateur comme pour l'utilisateur professionnel, je nous donne un an, maximum deux ans, et ce sera une tout autre partie de balle, dit l'architecte montréalais Joël Courchesne. On commence à avoir accès à des informations vraiment intéressantes sur le marché. Bientôt, M. et Mme Tout-le-Monde voudront voir les fiches de déclaration environnementale et sanitaire des produits qu'ils achètent. On est encore comme à l'époque où on demandait le contenu recyclé d'un matériau et qu'on "s'arrachait les dents" pour l'obtenir. Il y a encore des fabricants de produits toxiques qui font semblant que ça n'existe pas, mais heureusement, d'ici quelques années cela pourrait être chose du passé. »
Le Canada se trouve encore loin de la France, où depuis 2012, pour indiquer les émissions chimiques des produits de construction et de décoration, ceux-ci sont étiquetés avec des pictogrammes colorés et notés du vert au rouge (cote A+ à C). Or, dans le texte Quand la peinture empoisonne publié sur maisonsaine.ca en septembre 2012, nous racontions l'histoire d'une Québécoise qui a failli mourir après avoir appliqué dans une pièce mal ventilée une peinture contenant de l'éthylène glycol. Depuis 1994, ce solvant est reconnu toxique et interdit dans l'Union européenne dans les produits grand public à une concentration de plus de 0,5 %. « Il est aberrant, en 2016, qu'on n'ait pas de lois qui existent pour éviter que ce genre de situation ne se produise », déplore Joël Courchesne, architecte depuis un quart de siècle et ancien président de la section québécoise du Conseil du Bâtiment Durable du Canada (CBDCa).
Actuellement, UL Environment (autrefois Underwriters Laboratories), propriétaire des programmes Green Seal et Ecologo, ne divulgue pas au grand public les critères à respecter pour obtenir ces certifications, telle l'absence d'éthers de glycol. Mais tout devrait changer à partir de novembre prochain, avec l'entrée en vigueur de la version 4 (v4) du système de certification LEED (Leadership in Energy and Environmental Design). Souvent critiqué comme trop timide, ce système évolutif a pourtant converti le marché nord-américain à la construction durable. Et selon Joël Courchesne, sa version 4 fera de même pour la transparence sur le plan de la performance environnementale des matériaux en exigeant que celle-ci soit accrue et en récompensant les fabricants de produits aux impacts sanitaires moindres.
Colloque sur les nouvelles exigences en construction
Le 13 juin dernier, à Montréal, l'architecte en chef chez Courchesne et associés animait une table ronde regroupant des spécialistes renommés des processus de conformité des matériaux et des exigences LEEDv4, dans le cadre de la deuxième édition du colloque annuel Matériaux et produits, organisé par le chapitre québécois du Conseil du bâtiment durable du Canada. « J'ai beaucoup d'espoir, avec la journée qu'on a eue, dit-il. Parmi l'auditoire de pas moins de 160 professionnels, plusieurs ont posé des questions très pointues à nos experts. On est passé en haute vitesse par rapport au colloque de 2015, où on semblait parfois parler à des murs. À la fin, Doug Weber, un ancien collègue que j'ai connu quand je travaillais à Toronto et qui a travaillé sur un bâtiment de Google dont l'intérieur sera certifié LEEDv4, m'a confié : "Joël, vous prenez ça méchamment plus au sérieux ici qu'à Toronto. Je n'y ai pas entendu ce genre de questions pointues sur les fiches de déclaration environnementales et de santé." L'intérêt se manifeste et les professionnels du Québec qui ont assisté au colloque sont prêts et veulent en savoir plus. »
Des fiches de plus en plus en demande
Mais que sont au juste ces fameuses Déclarations environnementales de produits (DEP ou EPD pour Environmental Product Declaration) et Déclarations sanitaires de produits (DSP ou HPD pour Health Product Declaration)? Elles vont beaucoup plus loin que les fiches signalétiques (Material Safety Data Sheet ou MSDS) sur la toxicité des produits qui s'avèrent aujourd'hui monnaie courante sur les sites des fabricants. Comme l'explique le site Voirvert.ca, la DEP est basée sur une analyse d'impacts sur le cycle de vie effectuée par une tierce partie : « Sous forme de fiche, la déclaration permet d'en connaître beaucoup plus sur le produit, notamment par la réalisation de bilans écologiques sur l'utilisation des ressources, les conséquences sur l'environnement, telles que les émissions de gaz à effet de serre, et la production de déchets. Toutes les étapes du cycle de vie d'un produit sont étudiées, conformément à une analyse systématisée selon les données des normes ISO de la série 14040. » Le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB) français ajoute : « La déclaration environnementale peut être complétée par des informations sanitaires (émissions de substances dans l'air, l'eau et le sol, durant l'étape de vie en œuvre du bâtiment). »
D'ailleurs, l'information se trouve déjà abondante. « On s'est aperçu durant la table ronde que des fiches environnementales de produits, il y en a un maudit paquet, des milliers. Shyam Ramrekha, gestionnaire de produits chez UL Environment, a marqué des points en l'affirmant. Seulement, la plupart des fabricants n'ont pas encore le réflexe de les mettre en valeur, comme les MSDS. Mais grâce à LEEDv4, on les voit déjà plus facilement. » Par exemple, sur le site de Forbo, on peut lire les déclarations concernant son Marmoleum, couvre-plancher de linoléum naturel et sain. Cet extrait révèle qu'il ne contient aucun ingrédient dangereux ni toxique.
« Somme toute, au moins dans le marché des matériaux, ça semble vouloir bouger, observe Joël Courchesne. Dans l'année, des fabricants vont essayer de se démarquer pour chercher de gros clients privés en démontrant qu'ils sont plus respectueux des individus et de l'environnement. » Et tout comme pour les COVT (composés organiques volatils totaux), l'architecte ajoute que les fabricants de produits électroniques comprendront un jour aussi « qu'ils devront émettre moins de champs électromagnétiques, sinon ils perdront des clients. »
Les déclarations de produits, des rapports qui pouvant faire 3 000 pages, sont résumés dans des fiches de 15-20 pages selon les normes internationales ISO. Bien que encore difficiles à comparer, on peut se fier sur des experts indépendants pour nous aider à mieux les comprendre, souligne Joël Courchesne. L'un d'eux, Nadav Malin, président de BuildingGreen, était le conférencier vedette du colloque du 13 juin dernier. L'éditeur vermontois d'Environmental Building News n'accepte aucune publicité dans ses diverses publications ni sur son site Internet. « Je travaille avec le US Green Building Council [derrière le système LEED) aux États-Unis, et Nadav est toujours là, il jouit d'un respect énorme. Il a même été nommé LEED Fellow [membre agréé]. Du côté des matériaux, c'est une référence. Tu sais qui est le personnage derrière BuildingGreen et tu peux te fier sur leurs analyses pour te faire une bonne idée d'un produit, tout comme pour les gens d'UL, de la CSA [Association canadienne de normalisation] et du CRIQ [Centre de recherche industrielle du Québec]. »
La transparence bientôt obligatoire?
Enfin, nous avons demandé à Joël Courchesne quel rôle le gouvernement peut jouer pour accélérer la tendance vers une plus grande transparence quant à l'impact environnemental et sanitaire des matériaux de construction. « L'idéal serait que Québec légifère pour imposer une certaine qualité dans l'information divulguée, même seulement que pour l'utilisation au jour le jour, par exemple, ne pas permettre de vendre une maison sans qu'elle ait fait l'objet d'une évaluation énergétique Rénoclimat. En Ontario, c'est obligatoire, alors qu'ici on achète une bicoque qui chauffe le Québec parce que le vendeur demande le même prix que celui d'une maison plus performante. »
L'architecte déplore d'ailleurs que nos gouvernements successifs n'aient pas fait preuve de plus d'audace en matière de bâtiments verts. Néanmoins, il a bon espoir, car Québec a déjà donné un coup de pouce énorme à la certification LEED en l'exigeant pour ses nouveaux immeubles et ses rénovations majeures. « Lors d'une conférence organisée par la Corporation des entrepreneurs généraux du Québec (CEGQ) à Laval le 29 juin, Guy Paquin, ingénieur et directeur général de l'évolution des pratiques d'affaires à la Société québécoise des infrastructures (SQI), nous a permis de croire qu'il en sera de même pour la modélisation des données des bâtiments (MDB ou BIM en anglais pour Building Information Modeling), un concept sur toutes les lèvres des professionnels du bâtiment vert. Il a dit qu'en septembre le BIM commencera à être imposé à leurs projets. Il s'agit d'un progrès majeur. On peut espérer que l'on verra bientôt des modèles 3D d'immeubles avec toutes les caractéristiques des matériaux intégrées dans le système. Il sera facile d'y ajouter le lien de la fiche environnementale et de santé si la certification LEED l'exige. Un jour, on pourra aller chez Rona et scanner un produit avec son téléphone intelligent pour avoir accès à toutes ses informations environnementales. C'est quand même drôle qu'on puisse déjà le faire à la Société des alcools, mais pas encore pour connaître les composantes d'un bâtiment qui pourrait durer 300 ans! »