Dans dix ans, ce devrait être leur maison de retraite. Marie Le Cornec et Philippe Pibarot ont d’abord songé à agrandir leur chalet trois saisons, situé à Sutton, mais comme il n’était pas bien isolé, ils ont décidé de le démolir et d’y bâtir une maison saine et durable.
« On s’est dit que si on construisait une nouvelle maison, il fallait que ce soit de la façon la plus responsable. Comme tous les parents, on s’inquiète de l’avenir de tous les enfants », explique Marie en entrevue.
Le coup de foudre
Après en avoir discuté avec un autre entrepreneur, c’est en naviguant sur le Web que le couple de vétérinaires a finalement découvert UrbanÉco Construction, entreprise établie à Waterville, à 18 km au sud de Sherbrooke. Marie et Philippe ont eu un coup de foudre instantané devant son approche conviviale. « C’est une petite compagnie de jeunes pleins de bonnes idées et avec une vision privilégiant les produits locaux des Cantons-de-l’Est. Ça a cliqué vraiment fort avec eux », confie Marie. C’est surtout le bien-être ressenti dans leur maison modèle qui les a chavirés, ajoute-t-elle.
Les atomes étaient particulièrement crochus entre ces lecteurs de La Maison du 21e siècle et Étienne Ricard, le directeur de la conception chez UrbanÉco. Il s'est fait connaître par sa maison qui a fait l’objet d’un des épisodes de la série Casa Nova et même sur la chaîne française TF1 (voir les vidéos).
Le couple longueuillois a été enchanté par les qualités intellectuelles, créatives et très réfléchies d’Étienne. « Il a énormément d’écoute et beaucoup de connaissances, dit Marie. Il a beaucoup de facilité à comprendre ce que l’on recherche. »
Marie avait dessiné à la main le plan de leur maison de rêve, « pas grande mais fonctionnelle » et Étienne a fait « mille ajouts pour un résultat dix fois meilleur », reconnaît-t-elle. Comme la terrasse couverte qui « permet de prolonger la maison dehors, on d’y manger même en automne. C’est une idée fantastique. »
Question de respecter leur budget de 265 000 $, ils ont conçu ensemble un cottage solaire passif de 1 700 pieds carrés. « Le résultat est d’une qualité vraiment remarquable, dit Marie. Nous avons fait une réflexion sur nos véritables besoins d’espace et on a conclu qu’on n’avait pas besoin d’un sous-sol. Cet espace ne sert qu’à accumuler beaucoup de choses inutiles ou qui peuvent être entreposées dans un cabanon. Nous avons trois chambres, un mini walk-in [pièce-penderie] et une salle de bain toute petite, car ce n’est pas important pour nous. Nous avons misé là où ça comptait, au rez-de-chaussée avec une cuisine, une salle à manger et un salon à aires ouvertes avec une vue sur notre boisé, pour sentir la nature dehors. »
Bref c’est une maison dont ils comptent longtemps profiter avec leurs proches, dont leurs deux ados qui en hériteront un jour pour mieux s’y reconnecter avec l’environnement.
Une trentaine de maisons écologiques depuis 2011
En entrevue, Étienne raconte qu’il est toujours à la recherche de bons charpentiers menuisiers, « ceux qui vont rester avec nous parce qu’ils ont le souci de bien faire les choses ». L'entreprise compte trois associés : Étienne, directeur du département Architecture et Design, Jean-François Carrier qui l'a fondée en 2011 et est le directeur de la Production, et le directeur général François Gourdeau. Urbanéco Construction a déjà construit une trentaine de maisons saines et écologiques. Elles sont presque toutes homologuées par le programme Novoclimat du gouvernement du Québec et douze d’entre elles sont certifiées et six en voie de l'être par le système d’évaluation LEED (Leadership in Energy and Environmental Design) pour les Habitations livré par l’organisme Écohabitation. Cela signifie d’abord que ses chantiers respectent les exigences techniques Novoclimat et font l’objet d’inspections indépendantes (isolation, étanchéité et ventilateur récupérateur de chaleur). L’acheteur d’une maison homologuée Novoclimat bénéficie d’une subvention de 2 000 $ ou de 4 000 $ s’il s’agit de sa première maison et il n’y a aucuns frais d’inspection. « S’il ne voulait pas l’homologation Novoclimat et l’aide financière, je voudrais faire le test d’infiltrométrie [mesurant l’étanchéité] de toute façon, insiste Étienne. Il serait absurde de s’en passer : ça profite à tout le monde, le client, le constructeur et toute la société. Comme Novoclimat va devenir la norme un jour, on applique les options environnementales inspirées de LEED qui ont été retirées de Novoclimat, parce que les entrepreneurs n’étaient pas prêts à les adopter. C’est ce qui nous distingue. Si la maison n’est pas certifiée LEED, par exemple, on ne peut pas forcer l’acheteur à choisir un robinet qui consomme moins d’eau mais on leur en parle. »
LEED est un système d’évaluation environnementale offert dans plus de 160 pays. Il permet d’obtenir quatre niveaux de certification (Certifié, Argent, Or ou Platine) selon le nombre de points accumulés en appliquant des pratiques et techniques écologiques réparties dans neuf catégories (de l’efficacité énergétique à la priorité régionale en passant par la qualité des environnements intérieurs ainsi que l’emplacement et l’accès au transport en commun).
Et combien ça coûte? Dans le cas d’une maison homologuée Novoclimat, le surcoût d’environ 4 075 $ ajouté à une maison de 275 000 $ est immédiatement annulé par la subvention et l’économie de 20 % sur la facture de chauffage.
Pour une maison LEED, on peut parler de 10 000 $ à 15 000 $ sur une maison de 300 000 $, estime Étienne. Or, que la maison soit certifiée LEED ou non, UrbanÉco se distingue des autres constructeurs en optant systématiquement pour des matériaux (bois de grange récupéré, laine de roche, cellulose, carton fibre, etc.) et des pratiques écologiques (double ossature, triple vitrage, valorisation de rebuts en objets de design ou en jouets d’enfants, etc.).
Odeur de bois ou de formaldéhyde?
Alors que la plupart des maisons neuves ont une odeur pétrochimique — notamment de formaldéhyde émis par les colles et peintures —, les maisons UrbanÉco se distinguent par leur odeur de bois. « Dans une maison ordinaire, l’odeur de char neuf est imposante », déplore Étienne. L’entreprise recommande notamment l’achat d’armoires et panneaux de particules NuGreen, fabriqués au Québec par Uniboard sans résine urée formol pour lier les particules entre elles. « Ça rajoute quelque centaines de dollars au coût des armoires, précise-t-il. Les gens les prennent la moitié du temps. C’est important, même pour les armoires de garde-robe. Ça ne coûte pas cher sur une maison de 300 000 $. »
Les constructeurs Novoclimat et LEED se démarquent également en appliquant des mesures permettant d’atténuer le radon dans les maisons. Malheureusement, la Régie du bâtiment a choisi de ne pas imposer dans le Code de construction du Québec cette mesure importante de santé publique recommandée par le Code national du bâtiment. (Lire notre dossier : Le radon tuerait trois fois plus que les accidents routiers.) Pourtant, il suffit de poser une canalisation sous et à travers la dalle de béton, ce qui coûte moins de 100 $. Une fois la maison complétée, il suffit d’effectuer une mesure de ce gaz radioactif cancérogène en saison de chauffage alors que l’échange d’air est réduit. Si le test révélait que ce gaz issu du sol s’infiltrait et s’accumulait au-delà de la concentration limite canadienne de 200 becquerels par mètre cube d’air, comme c’est le cas d’environ 10 % des maisons québécoises, il suffirait de raccorder le tuyau qui traverse la dalle à un ventilateur d’extraction qui dépressuriserait l’air sous la dalle. « Nous envoyons nous-mêmes le matériel de test à nos clients pour valider la qualité des installations, c’est important pour nous, dit Étienne. Dans une maison en rez-de-jardin, nous avons été surpris de découvrir qu’il y avait trop de radon parce que nous prenons énormément de précautions pour sceller le pare-vapeur sous la dalle. » La concentration de radon dans une maison dépend à la fois de la nature du sol et de l’étanchéité de l’enveloppe du sous-sol. Le radon est le fruit de la désintégration du radium, matière radioactive présente dans le minerai d’uranium présent un peu partout dans nos sols.
Lotissement durables
Mais au-delà des choix de matériaux et des techniques de construction, UrbanÉco s’est surtout donné pour mission de changer nos façons d’habiter le territoire en construisant trois lotissements écologiques sous forme d’écoquartiers à plus haute densité d’occupation du sol, afin de préserver davantage d’espaces naturels au bénéfice de la communauté : Le Champ des Possibles, à Waterville, qui comprend une formule coop-condo LEED abordable; Le Ciel de St-Étienne, à Saint-Étienne-de-Bolton; et plus récemment Les Boisés UrbanÉco, à Sherbrooke. Selon lui, l’avenir est de plus en plus à la maison de ville jumelée, aux plex et aux condos, explique ce grand défenseur des boisés. « En région, la densification est jugée comme bizarre, mais il faut savoir que ça augmente l’offre de services plus rentables pour les villes. Lorsque nous l’avons proposé à Waterville, en 2013, nous étions de jeunes entrepreneurs peu connus. La Ville se demandait c’était quoi cette affaire-là, si ça allait marcher, mais elle s’est montrée ouverte à notre proposition. La Loi sur la caractérisation des milieux humides a changé la donne. En 2017, nous avons redessiné pas mal notre projet et conservé encore plus d’espaces vierges. »
Toute l’équipe d’UrbanÉco est particulièrement fière de La COOP des Prés, concept habituellement associé à l’habitation locative. « C’est Guillaume Brien, directeur général de la Fédération des coopératives d’habitation de l’Estrie et parent d’un enfant de l’École des enfants de la Terre appliquant la pédagogie Waldorf, qui a poussé pour la possibilité de devenir propriétaire tout en étant dans une coopérative. Le jour où les gens quitteront la coop, ils vont vendre leur propriété à la coop plutôt que sur le marché. Pourquoi? C’est beaucoup axé sur l’entraide, avec un vote par membre, alors qu’en condo c’est selon la valeur de votre propriété. »
Étienne résume ainsi la philosophie holiste d’UrbanÉco : « C’est une réflexion globale sur l’humain dans son environnement à tous les niveaux du tissu social. Se construire, ce n’est pas juste se bâtir une maison et passer à autre chose. Ce sont des choses très peu discutées en ville. En région, on veut voir comment densifier davantage en évitant de créer juste une autre banlieue ou du multilogement avec un environnement affreux et juste des stationnements. Nous, on regarde le contexte naturel, on veut créer un lien d’appartenance, etc. »
Son écoquartier Le Champ des Possibles est un véritable laboratoire, poursuit le directeur de la conception d’UrbanÉco : « Nous avons regroupé des organismes et nos bureaux d’affaires à côté des habitations et bonifié le projet avec deux acres de boisés en commun pour tous les habitants. La prémisse de base, c’est de construire plus dense au cœur du village tout en conservant le tiers du terrain en espace nature. Et en étant copropriétaires de celui-ci, ça crée un lien d’appartenance fort. »
Et la formule UrbanÉco se poursuit et se renouvelle sans cesse. « On pousse constamment la réflexion à un échelon supérieur. On s’approche du cohousing en proposant un hangar et un atelier de bricolage partagés. Pour ça, il faut une masse critique de propriétaires. À Sherbrooke, aux Boisés UrbanÉco, dans le secteur Deauville, c’est plus difficile de convaincre la ville d’adopter cette approche, parce qu’il y a plus de rues et de maisons. Mais la forêt est encore là, on tente de préserver les arbres et le dénivelé du terrain permet d’ouvrir le plus possible l’architecture vers le soleil. »
Les défis énergétiques du Québec
Mais le rêve très répandu de construire des maisons autosuffisantes en énergie n’est pas encore à portée de main. UrbanÉco s’efforce donc de s’adapter à notre contexte climatique et à nos bas prix de l’électricité en appliquant des compromis qui font de ces limites aux énergies vertes des alliées plus que des contraintes. L’entreprise préfère investir davantage dans l’enveloppe du bâtiment que dans des systèmes mécaniques très coûteux.
« Le plancher radiant est un système de chauffage très simple de distribution de chaleur vraiment agréable, dit Étienne. Le paradoxe, c’est qu’on a besoin d’une dalle fraîche pour stocker la chaleur solaire. Mais on la chauffe avec de l’eau, parce que durant la période la plus froide le temps est souvent nuageux. Par contre, à partir de février le soleil surchauffe la maison, car la dalle a une stabilité thermique : on ne peut pas l’éteindre comme une plinthe quand elle est chaude et en été elle garde sa fraîcheur. On voit que le solaire passif n’est pas une panacée. Il faut des pare-soleil pour les journées chaudes et du vitrage triple et moins de fenêtres pour ne pas perdre trop de chaleur en hiver. C’est une dynamique, on suit le rythme du soleil dans les espaces de vie, c’est plus un contrat avec la lumière naturelle qu’avec des ingénieurs. Mais on a été échaudés par les étés qu’on a connus. Maintenant, on propose une thermopompe murale pour traverser les canicules et leur taux d’humidité relative élevés. »