Le Canada vient d’interdire temporairement la vente du téléphone cellulaire Alcatel U50, offert par Bell, Telus et Freedom Mobile, pour dépassement de ses seuils d’émissions de micro-ondes. Cet appareil respectait néanmoins la « marge de sécurité », selon ce qu’a affirmé au site Internet MobileSyrup un porte-parole du ministère Innovation, sciences et développement économique (ISDE) qui n'a pas ordonné le rappel des appareils déjà vendus. Alcatel travaille sur une mise à jour logicielle pour corriger le problème, « et s'attend à ce qu'elle soit bientôt disponible », selon le même site canadien sur les technologies mobiles.
Or les limites d'exposition internationales aux radiations de radiofréquences (RF) ne protègent que les appareils et mettent plutôt la santé publique en danger, accusent les critiques. La règlementation permet même de « prouver » la conformité des appareils en utilisant un test en laboratoire qui sous-estime l'exposition réelle des utilisateurs, permettant de facto d'échauffer leurs tissus alors que cet « effet thermique » est justement celui que les normes visent à éviter.
Le 29 juin dernier, l'association française Alerte PhoneGate réclamait le rappel de 250 modèles de cellulaires testés par l'Agence nationale française des fréquences (ANFR) parce qu'ils dépassaient les limites européennes d'exposition aux RF dans la bande des micro-ondes. Le Dr Marc Arazi, fondateur de l'association et qui a lancé en 2016 l'alerte baptisée Phonegate par un journaliste français, avait réussi à mettre la main sur le rapport de l'ANFR après avoir poursuivi la gouvernement français.
Selon ce médecin, des centaines de millions de téléphones portables devraient être retirés du marché parce qu'ils surexposent leurs utilisateurs à des doses dangereuses de RF. Ces ondes furent classées « peut-être cancérogènes » en 2011 par une division de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en raison d'un risque accru de cancer à long terme. Cette année, l'ancien conseiller de l'OMS en la matière, Dr Anthony B. Miller, a même recommandé que le statut des RF soit rehaussé, comme « cancérogènes pour l'humain ». C'est que deux récentes études ont clairement démontré que certains rats exposés à ces radiations, à des doses prolongées des milliers de fois inférieurs aux seuils thermiques, développent les mêmes types de tumeurs que certains usagers intensifs du cellulaire.
Le retrait canadien est le premier au niveau international après le retrait, en France ce printemps, de près de 100 000 téléphones mobiles Hapi 30, de Mobiwire, et Neffos X1 TP902, de TP-Link. « Nous nous réjouissons de voir que l’action que nous menons au niveau international avec nos partenaires de l'Environmental Health Trust [aux États-Unis] porte ses fruits outre-atlantique et que la sécurité et la santé des utilisateurs devient petit à petit une priorité pour les autorités gouvernementales », a affirmé Dr Arazi par voie de communiqué.
Limites d'exposition jugées désuètes
Les normes techniques adoptées en vertu de la Loi sur les radiocommunications visent à « éviter le brouillage des radiocommunications, ainsi que tout préjudice aux réseaux publics de télécommunications au Canada, et assurer la sécurité des utilisateurs », explique le ministère. Un porte-parole du ministère ISDE a déclaré à Mobilesyrup : « Lors d'un récent audit, l'Alcatel U50 n'a pas respecté les limites établies par le gouvernement du Canada, mais il reste bien dans les marges de sécurité. Les limites d'exposition à l'énergie de radiofréquence sans fil comprennent une marge de sécurité de 50 fois inférieure au seuil pour les effets néfastes sur la santé. »
Une affirmation fortement contestée par des centaines d'experts indépendants des effets des champs électromagnétiques sur la santé, dont les 242 chercheurs qui ont signé l'appel international EMF Scientist, en 2015. Plusieurs organismes, telles l'Académie américaine de pédiatrie et l'Association médicale canadienne, affirment que les limites actuelles sont désuètes. Elles réclament des limites d'exposition plus sévères, avant tout pour protéger les jeunes et les femmes enceintes des effets non thermiques des micro-ondes (leucémie, cancer du cerveau, infertilité mâle, tumeurs des glandes salivaires). Ceux-ci ont été documentés depuis les années 1960 notamment dans plusieurs études militaires soviétiques. En 1971, le chercheur de la Marine américaine Zorach Glaser signait une bibliographie citant plus de 2 000 publications scientifiques sur ces effets.
La conformité aux normes d'exposition sur les cellulaires peut être vérifiée par simulation informatique ou un test en laboratoire du débit d'absorption spécifique (DAS ou SAR en anglais) simulant la quantité d'énergie reçue par un cerveau. Le DAS est mesuré en laboratoire sur un mannequin de plastique baptisé SAM (Standard Anthropomorphic Man). De la taille d'un homme de six pieds, 2 pouces et pesant 220 livres, celui-ci contient un liquide dont la température ne doit pas augmenter de plus d'un degré Fahrenheit (l'équivalent d'une légère fièvre) après 6 minutes d'exposition à puissance maximale. Sauf que SAM n'est représentatif que de 90 % des militaires américains et sous-estime donc l'exposition de 97 % de la population : en effet, la dose de micro-ondes reçue à travers le crâne d'un enfant, plus mince que celui d'un adulte, peut être jusqu'à trois fois plus élevée que ne le laisse entendre le DAS affiché, et elle est dix fois plus élevée dans la moëlle osseuse d'un enfant que chez l'adulte, selon diverses études.
De plus, le test de DAS n'est par représentatif de la réalité car il est effectué à une distance de séparation de 15 mm ou moins du crâne fantôme et porté à la puissance maximale, alors que la plupart des utilisateurs collent l'appareil contre leur oreille et le portent souvent dans une poche, voire un soutien-gorge. C'est d'ailleurs pourquoi les avis légaux des fabricants précisent que si l'appareil n'est tenu à cette distance, la dose de micro-ondes reçue peut dépasser les limites nationales. « Cette histoire de « marge de sécurité » [50 fois inférieure au seuil de danger] est une tromperie pure et simple, accuse Dr Arazi. Elle n'est basée que sur les DAS reçus par le corps en entier, jamais mesurés lors des tests de DAS qui permettent des exclusions pour les membres et les oreilles. » Et c'est pourquoi des pays comme la France et Israël recommandent de texte et d'utiliser la fonction haut-parleur ou un casque d'écoute le plus possible, d'écourter les conversations, de ne pas porter l'appareil allumé sur soi et de ne pas utiliser le cellulaire quand la réception est mauvaise parce que l'appareil augmente alors ses émissions.
Selon Dr Arazi, la distance de séparation permise dans le cadre du test de DAS « a permis de mettre des téléphones portables à risques pour la santé et particulièrement des enfants. En Europe, la réglementation oblige les industriels depuis juin 2016 à tester à 0 mm pour le DAS membre et à 5 mm pour le DAS tronc. Chaque mm supplémentaire entraîne une augmentation significative du DAS. »
Les normes canadiennes sont calquées sur celles de la Federal Communications Commission (FCC) américaine. Celles-ci sont légèrement plus protectrices que les normes européennes issues des recommandations de la Commission internationale de protection contre les rayonnements ionisants (ICNIRP). « En effet, les seuils de DAS « tête » et « tronc » sont de 1.6 W/kg aux USA pour 2 W/kg en Europe, explique Dr Arazi. De plus, le fait de tester sur 1 gr de tissu au lieu de 10 gr diminue de deux à trois fois le niveau d’exposition pour l’utilisateur. » Au début des années 1990, pas moins de trois agences gouvernementales américaines déclaraient aussi que les normes thermiques du FCC étaient dépassées parce qu'elles ne tenaient pas compte des effets des RF à long terme.
La règlementation prévoit même des exceptions qui ont permis de commercialiser les cellulaires en permettant une exposition plus élevée, par exemple au niveau de l'oreille et des membres qu'au niveau du reste du corps. Selon le Cahier des charges 102 sur les normes radioélectriques canadiennes : « Pour les dispositifs à utilisation restreinte, auxquels la limite de 8 W/kg pour 1 g de tissu s’applique, la limite d’exemption de l’évaluation courante du tableau 1 est multipliée par un facteur de 5. Pour les dispositifs portés sur les membres, auxquels la limite est appliquée pour 10 g, ces limites sont multipliées par un facteur de 2,5. »