Après le Dieselgate associé aux moteurs diésel qui trompaient les tests de pollution, voici le Phonegate, terme inventé par un journaliste français pour désigner le scandale des tests qui faussent les quantités de radiations de micro-ondes reçues par les utilisateurs de cellulaires. Selon des mesures effectuées entre 2012 et 2016 par l’Agence nationale française de fréquences (ANFR), ces tests ont permis aux fabricants de vendre des appareils dépassant les limites légales de valeurs de DAS (débit d’absorption spécifique). Ces limites ont pour but d’éviter que les millions d’utilisateurs de cellulaires — et de tablettes — ne reçoivent des doses thermiques de micro-ondes qui échaufferaient leurs tissus à court terme. Elles font fi des effets non thermiques chroniques (neurologiques, cardiaques, immunitaires, reproducteurs, oculaires, etc.) causés par des doses des milliers de fois inférieures. Ces effets, dont les symptômes d'électrohypersensibilité, ont été documentés dans des milliers d’études scientifiques, dont plusieurs par des chercheurs militaires depuis les années 1960. L’étude de l’ANFR (lire tous les résultats ici) a déjà incité quelques fabricants à retirer ou modifier leurs appareils.
La France avoue et agira
Le 30 octobre 2017, le gouvernement français demandait à son Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) de développer, d’ici la fin 2018, « un indicateur représentatif de l’exposition réelle des utilisateurs de téléphonie mobile ». Indicateur que l’ANSES recommandait d’ailleurs déjà, en juillet 2016, en réponse à l’étude de l’ANFR.
« C’est ni plus ni moins la première reconnaissance officielle d’une totale faillite de la réglementation qui a permis aux industriels du secteur de mettre sur le marché des centaines de millions de téléphones portables à risques pour notre santé et particulièrement celle de nos enfants », déplore le médecin français Marc Arazi, président de l’association Alerte Phonegate, fondée en mars 2018. Il réagissait ainsi après avoir pris connaissance du mandat confié à l’ANSES dans une lettre de mission signée conjointement par la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction de la prévention des risques (DPR). Le Dr Arazi en a obtenu copie le 26 juin, après avoir rencontré Olivier Merckel, chef de l’unité d’évaluation des risques aux agents physiques à l’ANSES.
« Depuis six mois nous réclamions en vain ce document essentiel aux ministres Nicolas Hulot [Environnement] et Agnès Buzyn [Santé], précise le Dr Arazi. C’est une nouvelle victoire dans notre action pour faire toute la lumière sur ce scandale sanitaire et industriel du Phonegate. À sa lecture, nous comprenons aisément pourquoi ces derniers n’étaient pas pressés de le rendre public. » La DGS et la DPR ont aussi demandé à l’ANSES « d’indiquer si ces dépassements de valeurs de DAS tels que relevés par l’ANFR sont susceptibles de provoquer des effets sanitaires » et d’étudier particulièrement les conséquences pour les enfants : il apparaît que « les enfants peuvent être plus exposés que les adultes », reconnaît la lettre de mission. Ces travaux devaient être rendus le 31 décembre 2017. Ce qui mène Marc Arazi à demander: « Pourquoi ces demandes et les résultats n’ont fait l’objet d’aucune communication officielle? Quand seront-ils enfin rendus publics? » Les ministres Hulot et Buzyn ainsi que M. Merckel n'ont pas répondu à notre demande de commentaire. En 2015, la France adoptait la loi relative à la sobriété, à la transparence, à l’information et à la concertation en matière d’exposition aux ondes électromagnétiques. Elle a mené notamment à l'interdiction du Wi-Fi dans les crèches et maternelles et en restreint l'usage aux seuls besoins pédagogiques au première cycle d'enseignement primaire.
Les micro-ondes sont des champs électromagnétiques (CEM) de hautes fréquences (300 mégahertz à 300 gigahertz) qui font partie du spectre des radiofréquences (RF, de 3 hertz à 300 gigahertz). En 2011, l’ensemble des RF ont été classées « peut-être cancérogènes » par le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC), affilié à l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Le scandale Phonegate concerne la façon dont la commercialisation des cellulaires a été autorisée. « Les ministres concernés ne devraient pas se retrancher derrière une « pseudo conformité » pour des téléphones mobiles à risques qui ont été vendus aux utilisateurs dans le cadre d’une réglementation totalement défaillante au seul profit des industriels et au détriment de notre santé », a dénoncé le Dr Arazi lors d’une conférence de presse tenue à Paris le 28 juin. Il réclamait alors le retrait de 250 des 443 modèles de cellulaires testés par l’ANFR.
Ce médecin a obtenu la publication de ces résultats en juin 2017, après des mois d’action en justice. « La liste extraite (https://bit.ly/2tKgMbk) des données du site Open Data (https://data.anfr.fr) de l’ANFR récapitule les marques et modèles des téléphones portables testés entre 2012 et 2017 qui présentent, selon nous, un risque potentiel pour la santé des utilisateurs », a-t-il déclaré. Ces 250 modèles, parmi les plus vendus dans le monde, « doivent soit être retirés du parc en activité par une procédure d’échange gratuit, soit faire l’objet d’une mise à jour logicielle ou matérielle gratuite par le fabricant », a insisté Dr Arazi. (L'ont peut signer ici la pétition d'Alerte Phonegate demandant le retrait de ces 250 modèles ou en envoyant un courriel à contact@phonegatealert.org, en précisant votre nom, prénom, courriel et lieu de résidence. « La pétition concerne la France mais le mouvement et l'association Phonegate Alert ont des liens à l'internationale. Allez sur le site pour vous rendre compte de l'avancée et relayer l'action au Canada », conseille le géobiologue breton Emmanuel Illouze, de Conseil en Habitat Sain - Géobiologie : "Santé des Lieux" Bretagne.)
Tous les fabricants concernés
Toutes les marques populaires comme Alcatel, Apple, Motorola, Samsung et Nokia faisaient partie des appareils dont les DAS furent mesurés par l’ANFR. Le DAS ne représente pas les radiations émises par les appareils, mais la quantité d’énergie maximale de micro-ondes absorbée par un mannequin exposé en laboratoire dans diverses positions simulant l’utilisation par un humain. « Le hic, c’est que la seule façon dont les fabricants peuvent respecter les limites de DAS nationales, c’est en faisant accepter des tests irréels », dénonce le Dr Arazi : le cellulaire est placé à entre 5 et 25 mm d’un crâne et d’un tronc de plastique rempli d’un liquide dont la température ne doit pas monter d’un degré après 30 minutes d’exposition aux micro-ondes. « Dans la vraie vie, la plupart des gens collent le cellulaire contre leur crâne, 20 % des adolescents le portent allumé dans leur poche plus de 10 heures consécutives par jour et 12,4 % le placent même sous leur oreiller », rappelle le Dr Arazi en citant une étude australienne.
Testés par l’ANFR sans distance de séparation, certains appareils affichaient des DAS jusqu’à trois fois plus élevés que les niveaux alors rapportés par le fabricant. Parmi les appareils testés en 2015, pas moins de 90 % affichaient des DAS supérieurs à la limite de 2 watts par kilogramme (W/kg) des pays où le test considère une masse de 10 grammes de tissus. Le quart affichait même plus de 4 W/kg et certains appareils dépassaient de 15 fois la limite américaine (de la Federal Communications Commission - FCC) qui est plus stricte, soit de 1,6 W/kg en moyenne pour un gramme de tissu. (Toutefois, on ne peut pas comparer directement les tests européens et américains, à cause de la différence dans la masse des tissus testés.) Comme cette limite était impossible à respecter dans le cas des oreilles, en 2013 les États-Unis les ont reclassifiées parmi les extrémités corporelles (mains, pieds, poignets et chevilles) qui peuvent recevoir 4 W/kg, explique l’organisme américain Environmental Health Trust (EHT).
Le DAS en bref
Le test de DAS fut introduit aux États-Unis en 1993 alors que moins de 10 % de la population utilisait un cellulaire (qui coûtait alors environ 900 $). À l’époque, c’étaient surtout les militaires et les entreprises qui s’en servaient durant quelques minutes par mois, alors qu’aujourd’hui certains jeunes l’utilisent pendant des milliers de minutes par mois, rapporte l’EHT. Le crâne de plastique utilisé a des proportions équivalant à celles d’une recrue militaire de 220 livres et ne représente donc pas celles de 97 % de la population, selon l’EHT. Les dernières études menées notamment par Claudio Fernandez, scientifique associé à l’EHT, confirment que le rayonnement du téléphone mobile pénètre deux fois plus profondément dans le cerveau d’un enfant que dans celui d’un adulte, et dix fois plus dans la moelle osseuse. Bien que le cellulaire soit testé au maximum de sa puissance et dans toutes les bandes de fréquences qu’il utilise, soit une situation inhabituelle, le DAS n’assure pas la sécurité des utilisateurs, ajoute l’EHT, parce qu’il ne tient pas compte des points chauds qui se créent dans certains tissus, ni de la plus grande sensibilité de certains, comme les yeux et les testicules.
De plus, un cellulaire au DAS maximal plus élevé qu’un autre modèle ne signifie pas qu’il est plus sécuritaire. En effet, en temps normal il peut être plus efficace que le modèle dont le pic est plus faible. Chaque modèle est différent et tous varient constamment leur puissance pour opérer au minimum requis pour accomplir une tâche.
Comme l’explique d’ailleurs la FCC américaine dans une brochure destinée au consommateur : « Beaucoup de gens supposent à tort que l’utilisation d’un téléphone cellulaire dont la valeur DAS est plus faible diminue nécessairement l’exposition d’un utilisateur aux émissions RF, ou est plus «sûre» que l’utilisation d’un téléphone cellulaire ayant une valeur DAS élevée. Alors que les valeurs DAS sont un outil important pour juger de l’exposition maximale possible à l’énergie RF d’un modèle particulier de téléphone cellulaire, une seule valeur DAS ne fournit pas suffisamment d’informations sur la quantité d’exposition RF dans des conditions d’utilisation typiques pour comparer de manière fiable des modèles de téléphones portables individuels... L’approbation de la FCC signifie que l’appareil ne dépassera jamais les niveaux maximum d’exposition aux radiofréquences du consommateur autorisés par les directives fédérales, mais n’indique pas la quantité d’exposition aux radiofréquences que les consommateurs ressentent pendant l’utilisation normale de l’appareil. »
En juillet 2016, l’Agence nationale française de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES) traitait de ces questions dans son rapport Exposition des enfants aux radiofréquences : pour un usage modéré et encadré des technologies sans-fil. Elle recommandait alors « de réévaluer la pertinence du DAS... de développer un indicateur représentatif de l’exposition réelle des utilisateurs » et de reconsidérer les niveaux de référence visant à limiter l’exposition environnementale aux champs électromagnétiques, afin d’assurer des marges de sécurité suffisamment grandes pour protéger la santé et la sécurité de la population générale, et particulièrement celle des enfants. » Selon l’ANSES, ces marges devraient tenir compte de la plus petite taille de ces derniers, des caractéristiques de certains de leurs tissus et du fait qu’ils utilisent les nouvelles technologies dès leur plus jeune âge.
Études sur le cancer
Le classement 2B par le CIRC, en 2011, était basé notamment sur l’étude Interphone qui avait établi une corrélation entre une utilisation du cellulaire pendant plus de 1 640 minutes et une hausse de 40 % du risque normal de développer certaines tumeurs. Cette étude comportait par contre des failles importantes, dont le fait d’exclure les sujets les plus exposés aux radiations des cellulaires, soit les jeunes et les personnes vivant en milieu rural (où la rareté des antennes fait augmenter les émissions des téléphones cellulaires).
Dans le cadre de la conférence de presse du 26 juin, le Dr Arazi était accompagné de deux conseillères scientifiques d’Alerte Phonegate, expertes du cancer et des effets des CEM sur la santé : Devra Davis PhD, fondatrice de l’EHT et ancienne conseillère de Bill Clinton en matière de pollution chimique, et la Dre Annie Sasco, un médecin qui a travaillé pendant 22 ans au CIRC, dont 9 comme chef de groupe puis de l’unité de l’épidémiologie de la prévention du cancer, et 2 ans comme chef du Programme de contrôle du cancer de l’OMS.
Selon la Dre Sasco, depuis 2011, de nouvelles études épidémiologiques (Céphalo, CERENAT) ont confirmé que les personnes les plus exposées courent un risque accru de tumeurs du cerveau : « utilisation intense du téléphone, longue durée en termes d’années d’utilisation, avec un sur-risque pour les personnes ayant commencé l’usage du téléphone à un âge précoce, et aussi un sur-risque pour les zones du cerveau les plus exposées, notamment du côté habituel d’utilisation du téléphone. De plus, deux études expérimentales menées sur des rats et des souris ont considérablement renforcé l’évidence de cancérogénicité chez l’animal de laboratoire (étude NTP du NIEHS aux États-Unis d’Amérique et étude Ramazzini en Italie). Ceci permettra après la publication d’une étude cruciale sur téléphones mobiles et tumeurs du cerveau chez les enfants, adolescents et adultes jeunes, l’étude Mobi-Kids, de demander au CIRC de reconsidérer la classification des RF-CEM. »
Pour sa part, Devra Davis s’est dite très inquiète des risques présentés par les cellulaires pour les jeunes et les générations futures. « Mes recherches et les travaux de dizaines d’autres scientifiques montrent que le sperme est endommagé par le rayonnement des téléphones mobiles. La clinique de Cleveland conseille aux hommes qui veulent devenir pères de sortir le téléphone de leur poche. L’État de Californie dit aussi que les gens devraient garder les téléphones hors du corps. »
Dr Davis a ajouté que des études qui simulent la réalité virtuelle avec des téléphones intelligents tenus devant le lobe frontal et les yeux montrent également que les expositions dans les yeux et l’hippocampe d’un enfant dépassent largement celles d’un adulte. Aucune de ces expositions n’a jamais fait l’objet d’une évaluation de ses effets sur la santé. « Une nouvelle publication de Claudio Fernandez et ses collègues de l’EHT, dans la revue Environmental Research, confirme également que la réalité virtuelle utilisant un smartphone libère 20 fois plus de rayonnement micro-ondes dans l’hippocampe de l’enfant que dans l’hippocampe de l’adulte; c’est la partie du cerveau essentielle à la mémoire, au contrôle des impulsions et à la fonction exécutive. Nous exposons nos enfants à un risque en les exposant à un rayonnement micro-ondes qui n’a jamais été testé pour des impacts à long terme. De plus, il s’agit d’une expérience sans contrôles. L’American Academy of Pediatrics a publié des déclarations informant les parents qu’aucun enfant de moins de deux ans ne devrait passer du temps devant un écran. »
Lire les mentions légales
On peut lire sur showthefineprint.org les conseils de sécurité inscrits dans les mentions légales publiées par les fabricants de téléphones portables et de tablettes. Pour l’iPhone 6, Apple a écrit : « Pour réduire l’exposition à l’énergie de radiofréquence, utilisez une option mains libres, telle que le haut-parleur intégré, les écouteurs inclus ou d’autres accessoires similaires. Il se peut que les étuis comportant des pièces métalliques modifient les effets des radiofréquences de l’appareil, y compris son respect des normes d’exposition aux radiofréquences, d’une manière n’ayant été ni testée, ni certifiée. »
Sur la même page, Apple explique : « L’iPhone a été testé et respecte les limites applicables d’exposition aux radiofréquences (RF). L’expression « Débit d’absorption spécifique », ou DAS, fait référence au taux d’absorption d’énergie de radiofréquence par le corps humain. La valeur limite du DAS est de 1,6 watt par kilogramme dans les pays ayant fixé une limite selon une masse d’un gramme de tissu dans la tête et de 2,0 W/kg dans les pays suivant une limite pour 10 grammes de tissu en moyenne. Durant les tests de DAS, les radios de l’iPhone sont réglées sur le niveau de transmission maximal et sont placées dans des positions simulant des utilisations contre la tête, sans séparation, et un port près du tronc ou du corps, avec une séparation de 5 mm. » Le fabricant affirme que ses quatre appareils iPhone 6 ont des DAS de 0,38 à 1,18 au niveau de la tête et selon les diverses méthodes de test, et de 0,97 à 1,18 au niveau du corps.
Pourtant, le site de l’EHT affirme que l’iPhone 6 affichera un DAS supérieur à la limite américaine (pour 1 gramme de tissus) de 1,59 W/kg s’il est tenu dans la main ou collé contre la tête. De même, selon l’étude d’ANFR, les modèles iPhone 5 et 6 affichaient un DAS de 2,05 à 3,17 W/kg, donc au-delà de la limite européenne (pour 10 grammes de tissus) de 2 W/kg.
Le magazine américain Consumer Reports a aussi réclamé une intervention gouvernementale rapide pour protéger les utilisateurs de cellulaires contre les risques possibles de cancer. Il recommande de tenir l’appareil à bout de bras, d’utiliser les modes Texte et Vidéo le plus possible, de même que le haut-parleur et un casque d’écoute (l’Air Tube est le plus sécuritaire), et de ne jamais porter son cellulaire allumé dans une poche contre le corps, mais plutôt dans un sac ou un étui. Il est aussi conseillé d’éviter ou d’écourter les appels quand la réception est mauvaise, car le téléphone émet alors plus fort. Des mesures bien plus sûrs que d'acheter un appareil à faible DAS.