Pionnier de la domotique depuis 1983 et fondateur de l'entreprise CyberLYNX Gateway Corp, Timothy D. Schoechle travaille dans les communications et l'ingénierie informatique depuis le milieu des années 1970. Il s'est aussi impliqué dans la normalisation depuis le début des années 80 au travers d'une diversité de rôles d'expert et de chef de file. Schoechle a inventé diverses technologies de microprocesseurs de réseaux informatiques personnels, de codes à barres, d'identification par radio-fréquences (RFID), de communication vocale IP (Internet Protocol), ainsi que de systèmes énergétiques. Sa principale activité est de conseiller des gouvernements, des organisations et des cabinets de conseils légaux à propos des politiques de normalisation et des questions de brevet.
Ce docteur en Politique de communication est actif dans diverses initiatives de normalisation internationale, en enseignement et en recherche. Depuis 1990, il est Secrétaire du comité des Systèmes électroniques personnels et domotiques ISO/IEC (International Standards Organization/ International Electrotechnical Commission). Il s'est aussi acquitté de la tâche de Secrétaire du comité de Gestion et d'échange de données pendant dix ans à l'ISO jusqu'en 2016. Il a notamment développé les cours de premier, deuxième et troisième cycle relatifs à la cybersécurité et à la protection de la vie privée dans la technologie de l'information à l'université d'Etat du Colorado, Campus global. Il a aussi enseigné à la faculté du Collège d'ingénierie à l'université d'Etat du Colorado sise à Boulder, dans l'un des rares cours portant sur les normes existant sur Terre. Il y a tenu un rôle clef dans la fondation de son centre de recherches sur les normes.
Nous l'avons joint chez lui à Boulder.
AF
Beaucoup de gens croient que les compteurs « intelligents » favorisent l'efficience énergétique et l'énergie renouvelable. Êtes-vous d'accord et pourquoi ?
TS
Non, je ne sais pas comment ils le feraient. C'est un grand mythe. Les compteurs « intelligents » ne sont pas utiles à grand-chose mais ils sont utiles aux entreprises d'énergie pour couper les coûts d'exploitation. Les entreprises d'énergie détenues par des investisseurs font de l'argent en dépensant de l'argent parce que les commissions de régulation des entreprises d'énergie leur permettent un retour sur capital de 10 à 12 %, grâce aux augmentations de tarif. Environ 60 % des entreprises d'énergie en Amérique du nord sont détenues par des investisseurs et reçoivent des bénéfices régulés par la constitution d'équipement demandeur de capital. De nos jours, le besoin de capacité de génération d'énergie et de lignes de transmission décline, alors ils essayent d'investir dans des projets demandeurs de capitaux tels que la distribution et le mesurage.
AF
Un scientifique m'a affirmé que puisque les réseaux électriques « intelligents » ne seront utilisés qu'à 5 % de leur capacité pour relayer l'information de la consommation électrique, les entreprises d'énergie pourraient utiliser les 95 % de capacité restante pour fournir des services de téléphone et de vidéo. Est-ce vrai ?
TS
Tout dépend de ce que appelez « réseau intelligent. » Si vous parlez des réseaux de mesurage sans fil avec antennes, la réponse est « non. » Je ne vois pas cela arriver. Quelques entreprises d'énergie détenues par les municipalités installent des réseaux de fibre optique, donc la réponse pourrait être « oui » pour l'accès à Internet. Les systèmes de transport par fils électriques pour distribuer des services câblés n'ont jamais fonctionné, ce n'est pas une technologie qui connaissait beaucoup le succès.
AF
La fibre optique représente-elle selon vous le futur ?
TS
Oui. J'écris présentement un article appelé « Réinventer les câbles : le futur des lignes terrestres et des réseaux » à propos des bénéfices économiques et sociaux des réseaux de fibre optique publics, détenus par les municipalités. Nous n'avons pas besoin de tous ces réseaux à antennes/sans fil de cinquième génération parce qu'ils sont beaucoup plus coûteux que la fibre. C'est pour leur coût que les entreprises d'énergie et l'industrie des télécoms veulent les construire : pour faire un profit en haussant les tarifs de leurs clients. Ils doivent faire cela tout les dix à vingt ans, — réinventer de nouvelles générations de technologies — pour connaître la réussite, autrement ils sont en faillite. C'est ce qu'on appelle l'obsolescence programmée : votre vieux téléphone ne fonctionne pas avec la nouvelle technologie parce qu'ils veulent vous vendre de nouveaux téléphones.
Je recommande d'installer partout des réseaux locaux de fibre optique. Toutes les municipalités en Amérique du nord devraient déployer leur propre réseau de fibre optique. Elles épargneraient beaucoup d'argent pour accéder à Internet. Le réseau intelligent a toujours été confondu avec les compteurs intelligents mais ils n'ont aucune relation. L'idée d'origine du réseau intelligent était d'utiliser l'information pour mieux contrôler la génération, la transmission et la distribution de l'énergie. C'est encore une bonne idée et la fibre optique est la meilleure technologie pour transmettre des informations.
AF
Comment l'Internet des objets se situe-t-il dans tout cela ?
TS
L'Internet des objets est centré sur la vente des puces et des logiciels pour rendre tout dépendant des services en réseau mais nous n'avons pas besoin de faire cela. Nous pouvons bénéficier de la domotique si elle est utilisée pour gérer l'énergie d'une maison, d'un édifice ou d'un réseau local d'énergie (appelé micro-réseau). Toutefois, la grande tendance de nos jours semble être de nous vendre toujours plus d'objets se connectant directement à Internet sans fil. C'est une invitation au désastre en termes de sécurité contre le piratage. Les entreprises d'énergie ne connaissent rien à propos de comment s'en protéger.
Je travaille sur la normalisation des technologies de communications pour les portails résidentiels dédiés à la sécurité des bâtiments et de la sûreté des gens (feu, bris physique, santé) et ces normalisations bénéficieront aussi à la protection de la vie privée. La domotique n'est pas nécessairement câblée ou sans fil mais Il existe de nouvelles opportunités de réduire l'utilisation du sans fil qui souffre de sérieux défauts de sécurité, de sûreté/santé et de protection de la vie privée
AF
Où et quand votre article sera-t-il publié ?
TS
L'article est destiné à l'Institut national pour la science, la loi et la politique publique, dont Camilla Rees dirige la publication. Nous espérons qu'il sera publié ce printemps. Ils ont publié mon article précédent intitulé Getting Smarter About the Smart Grid (Devenir plus intelligent à propos du réseau intelligent).
AF
Les compteurs et les réseaux intelligents de mesurage sans fil n'auraient donc pas les visées écologiques promises?
TS
Non, c'est une escroquerie, ce n'est pas vrai. Ils n'aideront pas à gérer les problèmes énergétiques. Le flux d'informations va dans la mauvaise direction : il devrait se diriger de l'extérieur vers l'intérieur de la maison mais les compteurs le dirigent dans l'autre sens. La maison a besoin de connaître la condition de l'offre et de la demande sur le réseau pour utiliser l'électricité de façon optimale. L'énergie a besoin d'être contrôlée là où elle est produite et stockée, mais encore plus où elle est utilisée, soit dans la maison ou l'édifice. L'énergie a besoin d'être contrôlée dans les locaux ou juste à côté, plutôt que dans une grande installation de de génération et de transmission lointaine.
AF
Qui est d'accord avec votre version du futur ? Amory Lovins, de l'Institut Rocky Mountain dit depuis longtemps que le futur est dans les micro-réseaux et la production énergétique locale.
TS
Amory Lovins est certainement d'accord avec moi, tout autant que l'entièreté de l'industrie solaire. Elon Musk (célèbre dirigeant fondateur de Solar City et de Tesla Motors) est d'accord avec moi. L'idée de fond sous-tendant les affaires de Musk est de produire de l'énergie sur place avec des panneaux solaires et de la conserver dans des batteries murales ou dans des voitures électriques. Faire correspondre la réserve d'énergie avec la production solaire résout le plus gros problème que les entreprises d'énergie expérimentent. Chaque banque d'investissement majeure dans le monde est aussi d'accord avec cette vision. [NDLR : Mais en même temps, Musk veut lancer 4 000 satellites dans l'espace pour fournir des services d'Internet sans fil plus rapides et plus fiables.]
J'ai écrit un article à propos du projet de transmission de la vallée de l'Hudson1 portant sur des projections relatives au solaire et au solaire avec stockage d'énergie. L'Agence internationale de l'énergie et les études des banques montrent que dans dix à vingt ans, chaque nouvelle installation de génération d'énergie sera solaire. Les grosses centrales de production d'énergie n'ont plus aucun sens économiquement. Au début, l'énergie demandait beaucoup de capital — vous aviez besoin de grandes économies d'échelle. Cependant, si vous utilisez le solaire avec la distribution locale inhérente, il n'y a plus d'économie d'échelle parce que vous pouvez installer des micro-réseaux partout à toute échelle.
AF
Que savez-vous des effets des radiofréquences sur la santé générés par les réseaux sans fil?
TS
Je constate de nouvelles preuves, tel que celles trouvées par les scientifiques à l'université du Colorado à Boulder, dirigés par l'éminent professeur d'ingénierie électrique et informatique, Frank Barnes [lire ici son article publié en mars 2016 dans le magazine IEEE Power Electronics, de l'Institut américain des ingénieurs en électricité]. Ils ont trouvé des mécanismes pour expliquer les effets biologiques des champs électromagnétiques. Il existe des raisons plus que suffisantes pour croire qu'il y a des effets négatifs sur la santé dont il faut investiguer avant que des investissements majeurs ne soient effectués dans les réseaux sans fil. L'étude du National Toxicology Program américain relative aux effets cancérogènes du téléphone cellulaire fournit encore plus de preuve que ceci mérite notre attention et que nous avons besoin de montrer plus de prudence dans le déploiement des ondes millimétriques. L'industrie du sans fil de cinquième génération dispose de beaucoup de puissance économique derrière elle, avec Verizon, Comcast et AT&T. Il sont prêts à faire beaucoup d'argent avec cette technologie.
L'important groupe de soutien des industries du cuivre et des fibres optiques signifie que les technologies câblées ont fait un bond en avant avec de nouvelles normes pour la transmission du réseau Ethernet avec des vitesse de réseau local à 40 gigaoctets par secondes dans un édifice. C'est une nouvelle version du réseau local Ethernet incluant la distribution de l'énergie du CC (courant continu) et une nouvelle génération de USB (Bus Universel de Série). Cela s'appelle Power-over-Ethernet (POE) et était originellement prévu pour électrifier les points d'accès sans fil. Cependant, cette technologie peut électrifier n'importe quoi. À ISO/IEC, nous aimons l'idée d'un portail résidentiel pour permettre l'utilisation de ces réseaux à haute vitesse déjà sur le marché, ainsi que pour assurer la sécurité de l'Internet des objets, la protection de la vie privée et la santé/sécurité des personnes.
Il est plus économique d'installer des fibres optiques dans les bâtiments que le sans fil — ou d'avoir la dernière partie connectée avec du cuivre. Ethernet est un meilleur système avec de meilleures performances et de beaucoup plus grandes vitesses que le sans fil.
La ville de Longmont, au Colorado, dispose d'un nouveau système de fibre optique municipal installé par sa propre compagnie d'électricité. Ce système dessert 100 000 personnes à une vitesse de 1 Go par seconde pour un coût très bas. Cela peut être fait n'importe où, c'est le futur. Chattanooga, au Tennessee, distribue aussi la fibre optique à chaque maison et commerce (150 000 clients). Son réseau fut aussi installé par sa propre entreprise de service public municipal.
J'ai un collègue canadien, Dave Katz, un consultant dans les intérêts énergétiques, ainsi que des membres ontariens de notre comité, qui en savent beaucoup sur ce qui se fait au Canada. La CABA (Continental Automated Building Association), sise à Ottawa, publie des articles écrits par mon collègue et président du comité ISO/EIC s'occupant des systèmes électroniques résidentiels, docteur Ken Wacks qui est à Boston.