Je suis abonnée à la liste d'envoi du site web Passeport Santé. Ce site a été créé au début des années 2000 par un journaliste québécois, Christian Lamontagne, ancien éditeur du magazine Guide Ressources. Soucieux de rigueur, celui-ci a voulu que, sur divers sujets touchant la santé, on ait accès à la fois à des données médicales et aux approches alternatives traditionnelles (ex : la médecine chinoise, ou ayurvédique) ou ayant fait leurs preuves sur le plan scientifique. En octobre 2012, la revue Protégez-vous le classait d'ailleurs deuxième meilleur site web francophone sur la santé, parmi une douzaine de sites. À peu près au même moment, ce site était vendu à un organisme français (outre-mer), et j'ai continué de le consulter à l'occasion. Aujourd'hui, toutefois, j'ai été déçue par le dossier intitulé Wifi, téléphones portables, antennes… Faut-il s'en méfier? Leur réponse à cette question est très normande : p't-être ben que oui, p't-être ben que non... mais, surtout, ne vous inquiétez pas!
L'opinion de Passeport Santé? D'abord que les normes maximales d'exposition en vigueur ici nous protègent tout à fait, que les niveaux d'émissions des équipements sans fil sont bien inférieurs à ces normes. Et que si on observe certains effets, on est loin d'être sûr qu'il y a un lien de causalité entre les champs électromagnétiques et ces effets, insistant sur le fait qu'il ne s'agit « que » de corrélations. Voyons ce qu'il en est.
D'abord, une corrélation est un « rapport de dépendance dû à un lien de cause à effet (entre deux variables) ou un lien créé par une cause commune, déterminée ou non ». Donc il y a possibilité de lien de cause à effet, contrairement à ce qui est avancé dans l'article. Par exemple, à 17 ans, j'ai à tort identifié le concombre comme la cause du seul et unique urticaire que j'ai fait dans ma vie. Un lien qui n'était qu'une coïncidence. Car ce dont je me suis aperçue, par la suite, en en mangeant à nouveau, c'est qu'il ne provoquait pas d'urticaire. Le coupable – la cause – était plutôt le stress d'avoir gardé pendant 15 jours mes quatre frères et sœurs pour la première fois seule, alors que mes parents se baladaient en Europe. Le stress était à la source de mon épisode d'urticaire. Vous savez que les compagnies de tabac ont longtemps nié le lien de causalité entre le fait de fumer et le risque de développer un cancer du poumon, en expliquant qu'il ne s'agissait « que » de corrélations… On sait ce que cela a donné!
Mise en garde d'experts indépendants
Ensuite, les lignes directrices d'exposition maximale aux radiofréquences en vigueur ici et dans trop de pays du monde ne sont basées que sur les effets thermiques (de chaleur) des radiofréquences ou micro-ondes. C'est le cas de la recommandation de l'OMS, à laquelle renvoie le dossier. Et non seulement ces lignes directrices ne tiennent pas compte des effets biologiques non thermiques des micro-ondes (qui peuvent se manifester à des doses qui sont des milliers de fois inférieures, et plus), mais il faut une très forte exposition pour provoquer des effets thermiques, par exemple quand vous portez votre cellulaire longtemps contre votre oreille ou dans une poche ou un soutien-gorge. En fait, la ligne directrice de Santé Canada sur l'exposition aux radiofréquences (Code de sécurité 6) met la santé du public en danger, selon des médecins canadiens et des experts indépendants. De plus, le dossier de Passeport Santé fait des comparaisons boiteuses entre divers équipements de technologie sans fil, affirmant que les antennes-relais, installées sur des tours de téléphonie cellulaire ou directement sur des bâtiments, émettent immensément moins que les téléphones cellulaires, sans préciser qu'elles émettent cependant… tout le temps! Tout comme le Wi-Fi pour l'Internet, décrit comme émettant 10 fois moins que le téléphone cellulaire. Sauf qu'il peut aussi émettre constamment, car très peu de gens le débranchent la nuit par exemple et qu'en ville, on « bénéficie » des émissions Wi-Fi des voisins... et ce, jour et nuit.
Un des effets que Passeport Santé admet du bout des lèvres est le risque de cancer du cerveau associé à l'utilisation du cellulaire, démontré par l'étude Interphone, mais seulement pour les « grands utilisateurs » (une demi-heure par jour en moyenne). Voulez-vous me dire qui, de nos jours — à part les électrohypersensibles qui l'utilisent très peu — n'utilise son cellulaire « qu'une » demi-heure par jour? Alors que de plus en plus de gens n'ont même plus de téléphone de maison… ou que celui qu'ils possèdent est sans fil, et émet au même titre que le cellulaire, même s'il n'est pas en fonction.
Parfois on évoque des effets, et dans cet article, on avance qu'« aucun lien concluant entre l'utilisation d'un téléphone portable et le développement d'un cancer n'a été établi » tout en soulignant, au paragraphe précédent, « l'éventuelle association entre les téléphones sans fil et certains cancers » au cerveau, comme le gliome. Comprenne qui pourra! Passeport Santé reconnaît toutefois qu'on a relié à ces appareils des effets sur le plan cognitif ou neurovégétatif, une diminution de la motilité des spermatozoïdes ou encore un risque accru de troubles comportementaux chez les bébés exposés in utero ou après leur naissance. Mais par ailleurs on minimise les risques, on souligne qu'il manque des données, qu'on ne comprend pas certains résultats observés. Bref, « p't-être que oui, mais »…
Études biaisées
Mais revenons à l'électrohypersensibilité, au cœur de ce blogue. Dans le dossier auquel je réagis aujourd'hui, ceux qui écopent le plus, ce sont… les électrohypersensibles « autodiagnostiqués », ceux qui « déclarent souffrir de symptômes qui [selon ces personnes] sont causés par des CEM ». Ceux qui « affirment réagir » à… Ces électrohypersensibles qui, lors d'études menées par des gens qui ne connaissent rien à l'EHS, se sont avérés « incapables de faire la différence entre une véritable exposition aux CEM et une exposition factice ». En fait, des études comme celles-là, citées par les autorités de santé publique, étaient réalisées par des chercheurs financés par l'industrie, comme le psychologue britannique James Rubin. Vous en connaissez beaucoup, vous, des EHS qui se rendent compte tout de suite qu'il y a un équipement émetteur de radiofréquences à proximité? Et qui réagissent durant des expositions aussi brèves que 10-15 minutes ou même 45 minutes (durée d'exposition dans certaines études)? Pour ma part, cela m'a pris un an et demi, après m'être rendu compte de mon EHS, pour m'apercevoir, par la sensation de malaise que j'avais appris à reconnaître, que des cellulaires étaient allumés dans la pièce où je me trouvais. Selon la chercheure canadienne Magda Havas, ces études ne tenaient pas compte du fait que très peu de gens peuvent détecter des CEM, que chacun de nous réagit à des fréquences différentes et que les symptômes éprouvés par les hypersensibles se manifestent souvent à retardement.
Et, ce que je ne comprends pas non plus (décidément, ça doit être l'effet du cellulaire que mon conjoint a oublié d'éteindre pendant 12 heures hier…), c'est que deux liens dans le dossier nous envoient à des articles antérieurs de Passeport Santé, plus affirmatifs relativement à la réalité de l'EHS (article de 2010) ou à des risques accrus de tumeurs liées à l'utilisation du cellulaire. Lequel ou lesquels des articles de Passeport Santé doit-on croire? Celui publié en 2016 ou les articles antérieurs auxquels on nous renvoie?
Et s'il n'y a « aucune preuve » d'effets biologiques et si l'exposition de tout un chacun aux CEM est si insignifiante, pourquoi nous donne-t-on dans la section « Conseils » une liste des précautions à prendre quand on utilise un cellulaire? Et quelqu'un aurait-il trouvé où se cachent la plupart des études mentionnées dans le dossier?
En tout cas, ce dossier de Passeport Santé illustre bien l'attitude, sinon de déni, à tout le moins d'ambiguité qui prévaut dans notre société relativement aux effets biologiques possibles des radiofréquences de type micro-ondes émises par les appareils de télécommunication sans fil. J'espérais y trouver autre chose, de la part d'un site que j'ai si souvent consulté et recommandé à mon entourage.