De 2001 à 2009, José Lévesque fut installateur de centrales de téléphonie sans fil commerciales. Ce résidant de Saint-Colomban (Laurentides) dit avoir soudainement développé, à partir de la fin 2005, une intolérance aux radiofréquences (RF) de type micro-ondes émises par ces appareils. « Au début, ça pinçait dans mon oreille lorsque je téléphonais. Ensuite, j'avais beau utiliser une oreillette, j'étais étourdi et mon oreille bourdonnait. Puis, en me levant un matin, je marchais comme un gars saoul et j'entendais un timbre comme un détecteur de fumée dans mon oreille. »
M. Lévesque a finalement quitté son emploi quand cette électrohypersensibilité (EHS) a empiré. « Aujourd'hui, mon visage devient engourdi, j'ai mal à la tête, et si je persiste à m'exposer aux ondes, je peux même saigner du nez ou des vaisseaux sanguins peuvent éclater dans mes yeux. Ça m'est déjà arrivé dans un hôpital du centre-ville doté d'émetteurs de téléphonie et Wi-Fi! Autrefois, on en riait, car je pouvais dire à mes collègues quand leur cellulaire allait sonner, tellement ça me donnait mal à la tête quand le signal de l'appel entrait. Et depuis que les compteurs intelligents ont été installés dans mon quartier en janvier 2013, j'ai constamment mal à la tête. »
C'est dans la tête
Selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'électrohypersensibilité (ou hypersensibilité électromagnétique) n'est pas une maladie reconnue et il n'a pas été démontré hors de tout doute que les micro-ondes et autres champs électromagnétiques (CEM) peuvent causer ces symptômes. Certains prétendent même qu'ils seraient déclenchés par l'effet nocebo, soit la peur d'un produit nocif. José Lévesque répond qu'il a informé des représentantes de Santé Canada et de la santé publique qu'il serait volontaire pour se faire tester afin qu'on mesure ses réponses biologiques aux ondes. Elles ont refusé, dit-il : « C'est facile de dire que c'est l'effet nocebo quand tu ne veux pas faire de tests parce que tu as peur de devoir rendre des comptes et d'avoir à agir en conséquence. Pour ma part, je sais que les tests seraient pleins de conséquences pour moi : mes symptômes apparaissent de 5 à 10 minutes après qu'un routeur Wi-Fi a été allumé près de moi, et ensuite je peux être malade pendant trois ou quatre jours. Mais si ça peut aider en aidant les gens à prendre conscience... »
Ce genre de témoignage, l'ancien professeur de chirurgie texan William J. Rea l'a entendu des milliers de fois depuis 1974. C'est l'année où ce pionnier de la médecine de l'environnement a fondé l'Environmental Health Center, de Dallas (Texas), où il a traité plus de 30 000 personnes hypersensibles aux produits chimiques et aux CEM, dont plusieurs collègues médecins qu'il a ensuite formés. En 1991, le Dr Rea a publié une étude historique sur sa méthode de diagnostic de l'électrohypersensibilité qui requiert que le patient passe de trois à quatre jours dans un environnement contrôlé pour calmer son système nerveux surexcité et épuisé par des polluants. Plus de 700 de ses patients ont notamment passé une tomographie cérébrale qui montrait qu'ils avaient des trous ou des défauts à la surface de leur cerveau, signe d'une réduction du débit sanguin ou de l'activité neuronale. « C'est dans la tête que ça se passe en effet et j'en ai la preuve! », disait-il ironiquement le 18 mai dernier à l'Académie royale de médecine belge, à Bruxelles, lors du 5e colloque de l'Appel de Paris qui pour la première fois portait sur les hypersensibilités environnementales.
Colloque historique
Quelque 160 médecins, scientifiques, juristes et autres participants étaient venus y écouter une quinzaine de sommités internationales en électrohypersensibilité (EHS) et en hypersensibilité chimique multiple (MCS) (visionner ici nos entrevues vidéo tournées avec certains d'entre eux). « Nous avons créé un groupe de travail international indépendant destiné à faire reconnaître par l'OMS les hypersensibilités chimique et électromagnétique dans la classification internationale des maladies sur la base des nouvelles données scientifiques », explique l'organisateur du colloque, l'oncologue parisien Dominique Belpomme, qui a constaté tout comme le Dr Rea que ces patients souffrent d'une hypovascularisation cérébrale. « Depuis quatre ans, j'ai personnellement examiné 1 213 patients et 90 % d'entre eux sont vraiment électrohypersensibles, car ils répondent à nos trois critères cliniques objectifs : leurs symptômes ne sont pas expliqués par une pathologie connue, ils apparaissent et sont reproductibles sous l'effet des champs électromagnétiques et ils régressent ou disparaissent en cas d'évitement de ces ondes. Des analyses biologiques objectives, soit des tests de sang et d'urine ainsi que des échographies cérébrales Doppler, démontrent que ces patients sont tous atteints d'altérations du cerveau, en particulier dans les zones très importantes du système limbique et du thalamus. Nos résultats restent à confirmer dans le cadre d'études internationales, mais on a des connaissances scientifiques suffisantes pour que les gouvernements reconnaissent cette maladie. »
À la suite de ce colloque, dans une déclaration publiée le 4 septembre 2015, 25 scientifiques et experts ayant participé à ce colloque ont appelé « les organismes nationaux et internationaux concernés, particulièrement l’OMS (l’Organisation Mondiale de la santé), à prendre de toute urgence leur responsabilité, en reconnaissant l’EHS et le MCS comme de vraies pathologies, et donc à les inclure dans la Classification Internationale des Maladies. Cette déclaration internationale appelle également à développer l'information en direction des populations et à adopter des mesures de précaution et de prévention simples, et exige la nomination de groupes d'experts réellement indépendants pour évaluer ces risques en toute objectivité scientifique, ce qui n’est pas le cas actuellement... Une réponse à cette déclaration est attendue pour le 30 septembre 2015. »
Un syndrome connu depuis plusieurs décennies
Durant la Seconde Guerre mondiale, les opérateurs de radar étaient souvent atteints de cette condition alors baptisée maladie des micro-ondes, a expliqué lors du colloque le Dr David Carpenter, ancien doyen fondateur de l'École de santé publique de l'Université d'Albany (New York). Il a également souligné que les experts disent qu'il ne faut pas juste se préoccuper de la fréquence et de la puissance des ondes en présence. « C'est le même phénomène qui se produit avec des appareils sans fil comme les compteurs intelligents qui émettent de très courtes pulsations de haute intensité. Les pointes soudaines de fréquences transitoires et les harmoniques pourraient bien être ce dont il faut se préoccuper davantage. »
Le Dr Carpenter estime aussi que « les preuves sont assez solides pour déclarer que l'hypersensibilité électromagnétique est réelle; elle peut même être déclenchée par une électrocution légère, mais chaque individu réagit différemment. Plusieurs personnes ignorent qu'elle est la cause de leurs divers symptômes non spécifiques qu'on a longtemps qualifiés de neurasthénie. Il est important de concevoir des tests objectifs pour déterminer quels patients sont véritablement hypersensibles tout en reconnaissant que certains symptômes peuvent être d'origine psychologique. J'ajouterais la fatigue chronique, la fibromyalgie et le Syndrome de la Guerre du Golfe à la liste des intolérances environnementales idiopathiques » (de cause inconnue). Selon le Dr Rea, 80 % de ses patients électrohypersensibles ont été empoisonnés par les mycotoxines de moisissures.
Dans le cadre du 5e Colloque de l'Appel de Paris, de nombreux experts ont présenté d'excellentes conférences dont nous vous ferons part au cours des prochaines semaines, par écrit et dans des capsules vidéo. Ils ont traité notamment :
• des hausses inquiétantes de cancers chez les enfants de moins de deux ans;
• des hausses significatives de l'incidence des tumeurs cérébrales de type inconnu et des décès qu'elles ont provoqué depuis 2008 en Suède;
• du besoin de former les médecins dans le traitement de l'EHS;
• des méthodes de traitement (réduction des CEM, antihistaminiques, anti-infllammatoires naturels comme le ginko biloba et surtout la papaye fermentée, vitamines, minéraux et toniques du système nerveux, chélation pour évacuer du corps les métaux lourds neurotoxiques et qui agissent comme des antennes captant les micro-ondes);
• des études biaisées et de mauvaise qualité concluant que les électrohypersensibiles ne réagissent pas aux CEM;
• et des nombreux cas de représailles envers les chercheurs indépendants qui étudient les effets des CEM et de conflit d'intérêts chez les chercheurs et agences de réglementation qu'on accuse de collusion avec l'industrie au détriment de la santé publique.
Pour sa part, l'ingénieure en électricité Emilie van Deventer, chef du programme sur les radiations à l'OMS, confirme que son équipe est en train de revoir la littérature scientifique internationale concernant les effets des radiofréquences sur la santé. « Une monographie dans la série des Critères d'hygiène de l'environnement de l'OMS sera publiée l'année prochaine. Cela comprendra l'examen des publications sur l'hypersensibilité électromagnétique. L'OMS publie périodiquement des programmes de recherche axés sur la santé publique liés aux CEM, mais ne finance pas ce type de recherche en soi. »
Malgré l'absence de reconnaissance officielle, au moins 3 % de la population canadienne a reçu un diagnostic médical d'hypersensibilité environnementale (chimique ou électromagnétique, y compris la fatigue chronique, la fibromyalgie et le syndrome de la Guerre du Golfe), selon Statistique Canada et la Commission canadienne des droits de la personne. Cette dernière a même publié des avis juridiques et médicaux ainsi qu'une politique visant à prévenir la discrimination subie par les hypersensibles à l'environnement. En Europe, divers sondages nationaux ont indiqué qu'en 2004 environ 10 % de la population disait être incommodée par les CEM.
Pour en savoir davantage
• Programme et présentations Powerpoint des conférences du 5e Appel de Paris