Ce samedi je m'envolerai pour Bruxelles où l'oncologue parisien Dominique Belpomme m'a invité afin de couvrir, lundi prochain le 18 mai, un événement historique qu'il organise à l'Académie Royale de Bruxelles : le 5e Colloque de l'Appel de Paris, sous le thème Intolérances environnementales idiopathiques: quel rôle pour les champs électromagnétiques et les produits chimiques multiples? (Lire mon compte-rendu ici.) La plupart des sommités en la matière y seront conférenciers, notamment les Drs David Carpenter, Lennart Hardell, Olle Johansson, Michael Kundi et WJ Rea, en passant par l'expert slovaque en radiations Igor Belyaev, l'épidémiologiste américaine Devra Lee Davis et la toxicologue canadienne Magda Havas. (Cliquez ici pour lire le programme et les résumés de conférences.)
Le Dr Belpomme traite plus de 1 200 personnes devenues intolérantes aux champs électromagnétiques (CEM). Selon lui, la moitié d'entre elles le sont devenues en se surexposant aux radiofréquences émises par les téléphones cellulaires ou sans fil.
Comme il l'expliquera dans son allocution d'ouverture, il n'existe pas encore de tests diagnostiques faciles et fiables des hypersensibilités environnementales. De plus, il souligne qu'elles doivent être distinguées des intolérances et susceptibilités d'ordre génétiques ou épigénétiques (influences environnementales sur la génétique).
But du colloque
Le terme idiopathique signifie symptôme ou maladie de cause inconnue. Or selon David Gee, ancien conseiller senior en science, politiques et questions émergentes à l'Agence européenne de l'environnement, l'Organisation mondiale de la santé et la communauté médicale devraient cesser d'utiliser le terme contradictoire « intolérances environnementales idiopathiques » justement parce qu'on sait désormais que les causes et déclencheurs des hypersensibilités environnementales sont... environnementales! C'est justement pour corriger cet antagonisme que le Dr Belpomme a organisé ce colloque en collaboration avec divers chercheurs et organismes dont l'European Cancer and Environment Research Institute qu'il a cofondé.
Comme le Dr Belpomme l'explique sur le site du colloque : « Ce colloque scientifique international, le premier à être organisé en Europe sur ce sujet, a vocation à rassembler les principaux chercheurs et spécialistes afin de faire progresser la connaissance sur les mécanismes de ces deux pathologies et établir leur lien avec les facteurs environnementaux, qu’il s’agisse des champs électromagnétiques ou des produits chimiques. L’objectif sera par là-même de faire reconnaître ces deux syndromes par l’OMS pour qu’ils soient intégrés à la classification internationale des maladies. » Chose que les pays nordiques ont justement faite dès l'an 2000 dans leur adaptation de la classification ICD-10 maladies occupationnelles.
Historique des études
Contrairement à ce que l'OMS affirmait en 2005 au sujet de l'hypersensibilité électromagnétique, depuis des décennies, des études scientifiques bien conçues (depuis WJ Rea et al, 1991) et des expériences cliniques ont permis de démontrer que les symptômes d'hypersensibilité chimique ou électromagnétique peuvent être déclenchés et éliminés de façon reproductible et à double insu (des patients et chercheurs) en fonction de l'exposition ou non à des polluants environnementaux spécifiques. Or, comme le Dr Rea l'a démontré, tout le défi réside dans l'identification du ou des déclencheurs qui varient d'un individu à l'autre, par exemple des fréquences électromagnétiques précises. Pour compliquer les choses, avant de tester les patients il faut calmer leur système nerveux en alerte chronique, en les reposant quelques jours dans un environnement non pollué, et il faut savoir aussi que les symptômes peuvent se manifester plusieurs heures après l'exposition au polluant.
Le Dr Belpomme et ses collègues souhaitent que l'OMS reconnaisse les récentes études qui identifient les biomarqueurs mesurables tant chez les humains que les animaux atteints d'électrohypersensibilité. Son étude en cours a démontré que ses patients sont atteints d'une souffrance cérébrale évidente. Des tests sanguins et urinaires et une échographie Doppler du cerveau ont notamment mis en lumière des anomalies aux niveaux de la vitamine D, de la mélatonine, de l'histamine, des protéines de choc thermique et de vascularisation cérébrale. Fort occupé par son travail de clinicien et de chercheur, le Dr Belpomme dit avoir enfin écrit la moitié du très attendu article scientifique décrivant ces découvertes. En attendant sa publication, il promet que les actes du colloque seront publiées dans une revue scientifique dans environ un mois.
Enfin, il faut savoir que l'électrohypersensibilité, ou Syndrome d'intolérance aux CEM (SICEM), terme privilégié par Dominique Belpomme, n'a rien de nouveau. En voici un bref historique :
• En 1932, le médecin allemand Erwin Schliephake écrit un article publié dans l'hebdomadaire médical allemand qui décrit les symptômes (fatigue, problèmes de sommeil, maux de tête intolérables...) ressentis par ses patients vivant à proximité d'antennes radio. Il nomme cette condition la « maladie des micro-ondes » ou la « maladie des ondes radio ».
• Dans les années 1940 et 1950, des chercheurs d'Europe de l'Est reconnaissent ces symptômes chez les opérateurs de radar et les employés de l'industrie électrique. En 1958, l'URSS reconnaît ces effet biologiques dus à de faibles expositions répétées et adopte des limites pour prévenir ces effets dits non thermiques. (Les lignes directrices de la plupart des pays en matière d'exposition aux micro-ondes ne visent qu'à éviter l'échauffement des tissus chez des adultes en santé exposés pendant six minutes.) • En 1960, le jeune biologiste américain Allan Frey découvre que les micro-ondes peuvent causer l'acouphène (un bourdonnement des oreilles).
• La même année, la chercheure soviétique M.N. Sadchikova confirme que la maladie des ondes radio donne des maux de tête, des faiblesses, des problèmes de sommeil, de l'instabilité émotionnelle, des étourdissements, des problèmes de mémoire et des palpitations cardiaques. (Sadchikova M.N., State of the nervous system under the influence of UHF. In: Letavet AA, Gordon ZV, editors. The Biological Action of Ultrahigh Frequencies. Moscow: Academy of Medical Sciences; 1960. p. 25–9.)
• En 1991, WJ Rea cosigne son étude sur le diagnostic de l'Electromagnetic Field Sensitivity dans le Journal of Bioelectricity, 10(1&2), 241-256.
• En 1994, le dermatologue suédois Olle Johansson et ses collègues publient leur étude historique sur les effets des écrans cathodiques sur la peau : Skin changes in patients claiming to suffer from "screen dermatitis": a two-case open-field provocation study, Exp Dermatol. 1994 Oct;3(5):234-8.
• En 2011, le biophysicien américain Andrew A. Marino cosigne une étude confirmant l'électrohypersensibilité d'une collègue médecin : Electromagnetic hypersensitivity: Evidence for a novel neurological syndrome. D.E. McCarty, S. Carrubba, A.L. Chesson, Jr., C. Frilot II, E. Gonzalez-Toledo & A.A. Marino. Int. J. Neurosci. 121:670–676, 2011. [PDF]. (Introduction, an MP3 audio file). Lettre de réponse à ses critiques : Response to Letter to the Editor Concerning “Electromagnetic Hypersensitivity: Evidence for a Novel Neurological Syndrome.” A.A. Marino, S. Carrubba & D.E. McCarty. Int. J. Neurosci. 122:402–403, 2012.
Pour en savoir davantage Electromagnetic Hypersensitivity History (cellphonetaskforce.org)
Electromagnetic hypersensitivity: Fact or fiction? (Science of the Total Environment)