Discours prononcé par le Dr Dominique Belpomme à l'occasion du 10e anniversaire de l'Appel de Paris (que l'on peut signer ici).
Lire ici notre article Comment rester en bonne santé, résumé du livre Comment naissent les maladies et que faire pour les éviter?
La santé est sans doute le bien le plus précieux que nous possédions. Pourtant, malgré les analyses et recommandations de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), celle-ci se dégrade partout dans le monde et notre pays [la France] n'y échappe pas. Cancers, diabète, obésité, allergies, maladie d'Alzheimer, affections psychiatriques, handicaps sont en effet devenus autant de fléaux de santé publique que nos systèmes de soins peinent à maitriser, malgré les progrès de la médecine. L'enfant n'est pas épargné puisque chez lui, on observe la progression des malformations congénitales et de l'autisme sans compter celle du cancer et de l'obésité. Aujourd'hui dans les pays dits développés, c'est un enfant sur 80 qui naît autiste ! Du jamais vu !
Comment les systèmes de soins et de Sécurité sociale pourront faire face dans le futur à cette situation inédite, puisque selon les données de l'Assurance maladie de notre pays[1], c'est 15 % de la population, soit un français sur six qui en 2011, a été reconnu être porteur d'une affection de longue durée (ALD), autrement dit une affection chronique sévère prise en charge à 100 %, alors que ces affections sont d'incidence croissante et que les prévisions pour 2015 sont qu'un français sur cinq en sera atteint !
Or aux maladies et affections précédentes s'ajoute la persistance dans le monde d'infections, telles que le paludisme et la tuberculose, que nous pensions lors de la création de l'OMS en 1948, pouvoir totalement juguler grâce aux progrès médicaux. Et la survenue d'infections virales nouvelles, telles que le SIDA ou encore l'épidémie d'Ebola, sont là pour nous rappeler que le viol perpétré à l'encontre de la nature se paye humainement, que les progrès de la médecine ont leurs propres limites, et que la prévention demeure l'unique moyen d'éviter de tels fléaux.
L'Appel de Paris célèbrait le 14 novembre dernier à l'UNESCO [Organisation des nations unies pour l'éducation, la science et la culture][2] ses dix ans d'existence sous la forme d'un colloque international organisé par l'ARTAC, l'Association pour la Recherche Thérapeutique Anti-Cancéreuse. Cet Appel signé en 2004 par de très nombreuses personnalités scientifiques, l'ensemble des Conseils de l'Ordre des médecins des 25 États-membres de l'Europe de l'époque, 1500 ONG [organisations non gouvernementales] et 350 000 citoyens européens énonçait :
(1) que la plupart des maladies sont causées par la pollution chimique ;
(2) qu'en raison de cette pollution, l'enfance est en danger ;
(3) et que si nous continuons à polluer l'environnement comme nous le faisons, c'est l'espèce humaine elle-même qui se met en danger.
Dix ans se sont écoulés. L'heure est au bilan concernant cet Appel. En positif, une contribution décisive à la mise sur pied du projet de règlement européen REACH[3], qui a instauré des mesures de régulation pour la mise sur le marché des produits chimiques. Certainement en France, la promulgation en 2004 de la Charte de l'Environnement. Sans doute aussi une réorientation des recherches médicales dans le domaine de l'environnement, avec en France le revirement spectaculaire de l'INSERM [Institut national de la santé et de la recherche médicale] qui maintenant s'attache à prouver les liens entre cancer et environnement. Enfin une contribution décisive à la prise de conscience par la société civile des dangers de la pollution et la nécessité de protéger la nature et nos enfants.
Mais il y a aussi en négatif : l'absence de politiques cohérentes en matière de santé et d'environnement, avec notamment la non prise en considération de la dimension environnementale dans l'émergence des maladies et affections de notre époque[4] ; l'absence de prévention environnementale qui en résulte ; enfin le déni persistant des pouvoirs politiques face aux preuves scientifiques qui s'accumulent, alors que simultanément les « pollueurs non-payeurs » continuent de polluer sans limite et que les victimes de la pollution sont en réalité les « pollués payeurs ».
C'est donc au plan moral et juridique que doit se situer désormais le combat actuel, et il n'est pas anodin que ce quatrième colloque ait lieu dans les locaux de l'UNESCO, dans le pays des droits de l'homme. En vertu de cet Appel, il apparait en effet que les pollutions, et destructions de la nature les plus graves, parce qu'elles ont pour conséquence la survenue d'une atteinte à la santé, à la vie (faune et flore comprises) et à la survie des générations futures, doivent être considérées comme de véritables crimes et donc sanctionnées pénalement. Or les contacts que j'ai pu prendre en particulier auprès de la Cour pénale internationale de justice me laissent penser qu'une solution est possible, faisant de la pollution et de la destruction de la nature un crime contre la santé de l'humanité, notamment lorsque celui-ci concerne la survie d'un peuple.
En fait, dans sa nécessaire évolution, le droit risquerait de se fourvoyer, si tenant compte uniquement des concepts et idéologies d'origine sociétale, il en venait à négliger les résultats objectifs de la science. C'est d'ailleurs ce que soulignait déjà le très grand philosophe que fut Baruch Spinoza, lorsqu'il affirmait dans l'Éthique que toute action humaine en relation avec la Nature doit être comprise avant d'être jugée, et que contrairement à Descartes pour lequel tout jugement ne peut être que de l'ordre de la raison, celui-ci pour Spinoza ne peut être porté qu'en fonction du respect ou de la transgression des lois naturelles. D'où l'impérative nécessité de rapprocher droit et science, juristes et scientifiques et plus particulièrement concernant la santé, juristes, biologistes et médecins.
C'est finalement sous l'égide de la vérité scientifique, de l'indépendance de la recherche et de la morale qu'aura lieu ce colloque, dans le cadre d'un rassemblement citoyen international réunissant chercheurs, juristes, ONG et politiques.