La pellicule d'ETFE qui recouvre ce dôme du Projet Eden, en Angleterre, est minérale et recyclable comme le verre. Elles est transparente à plus de 94 % du spectre solaire et cette qualité se dégrade très peu avec les années. © edenproject.com
La pellicule d'ETFE qui recouvre ce dôme du Projet Eden, en Angleterre, est minérale et recyclable comme le verre. Elles est transparente à plus de 94 % du spectre solaire et cette qualité se dégrade très peu avec les années. © edenproject.com

Bayer MaterialScience vient de fermer ou vendre trois usines de polycarbonate pour demeurer concurrentielle « dans un marché très compétitif où la demande est en baisse », selon Chemistry World. Aujourd'hui, l'un des matériaux les plus populaires utilisés pour recouvrir les jardins botaniques et les serres commerciales est le film copolymère d'éthylène-tétrafluoroéthylène (ETFE). Celui-ci laisse passer au moins 94 % de la lumière solaire et environ 85 % des ultraviolets (UV) qui favorisent la croissance des plantes ainsi que leur résistance aux parasites, en plus de nous permettre de synthétiser la vitamine D. Comme il absorbe une grande partie des rayons infrarouges du soleil, il est très adapté « à la couvertures d’atriums, de piscines, de centres commerciaux, de restaurants et de jardins botaniques », selon le fabricant français High Point Structures.

Méconnu chez nous, l'ETFE est pourtant utilisé dans les serres depuis déjà 27 ans, selon greenhousemag.com. Au Japon, les pionniers du ETFE, il y a plus de 9 000 acres de telles serres en opération. « Malheureusement, nous n'avons aucun stock de disponible présentement car nous recevons une demande énorme pour de l'ETFE. Nous démarrerons une autre production le mois prochain et vous tiendrons au courant », écrivait par courriel le 28 août dernier Luigi Pezzon, gérant de l'exportation chez le fournisseur italien Pati. Reste à voir si le produit résistera à notre climat.


 © High Point Structures
© High Point Structures

Version thermoplastique (moulée à la chaleur) du Téflon (polytétrafluoroéthylène ou PTFE), l'ETFE fut inventée par DuPont pour l'industrie aérospatiale, en tant qu'isolant électrique extrêmement stable et résistant aux radiations cosmiques. Cette pellicule ne se détériore pas sous l'effet des UV ni de la pollution atmosphérique. Elle a été adoptée en construction en 1981 grâce au groupe allemand Vector Foiltech, concepteur du système en ETFE Texlon qui recouvre des centaines d'immeubles, dont le fameux Centre national de natation (ou cube d'eau) de Beijing. Il est offert en oreillers pneumatiques ultraminces qui sont isolants (U = 1,97 W/m²K pour trois épaisseurs d'ETFE selon High Point) et résistants aux charges du vent. Gonflés à l'air en circuit ouvert, à faible pression, les coussins Texlon sont sertis dans des cadres d'aluminium soutenus par une structure d'acier légère.

Rédacteur en chef du magazine français Les 4 saisons du jardinage bio, Antoine Bosse-Platière est sceptique. « Je ne suis pas chimiste, mais le nom ETFE et la référence à la fluorite m’ont fait penser à un article que nous avons publié dans le n° 179 (en 2009) page 72 sur les dangers des composés perfluorés. Selon l’auteur de cet article, Anne-Corinne Zimmer, journaliste d’investigation spécialisée en environnement, cette famille de produits qui comprend le Téflon, le Gore-Tex, des imperméabilisants, anti-poussières et autres produits ménagers sont des polluants extrêmement persistants qui se dégradent tous in fine en perfluorooctane sulfonate (PFOS), classé parmi les polluants organiques persistants (POP). Ils ne sont pas éliminés par l’organisme, se fixent sur de nombreux organes et auraient des effets très graves sur la reproduction. Je sais que le polycarbonate n'est pas non plus sans reproche puisqu'il contient du bisphénol A, perturbateur endocrinien reconnu. Mais je crains que cette famille de produits ne soit encore plus toxique. »

Mais selon Vector Foiltech, l'ETFE diffère du Téflon dont l'acide perfluorooctanoïque, soupçonné cancérogène, sera retiré du marché en 2015. « Chimiquement parlant, l'ETFE est le résultat de la substitution d'un atome de fluor du PTFE par un monomère d'éthylène. Il garde certaines des propriétés du PTFE, comme ses caractéristiques antiadhésives et autonettoyantes, mises à contribution pour les poêles antiadhésives, tout en renforçant sa solidité, en particulier sa résistance aux déchirures. »

 L'ETFE est transparent à 94 % du spectre solaire, dont la plupart des ultraviolets essentiels à la croissance des plantes. Image fournie par hortimax.biz
L'ETFE est transparent à 94 % du spectre solaire, dont la plupart des ultraviolets essentiels à la croissance des plantes. Image fournie par hortimax.biz

Le revêtement Texlon fut utilisé pour fabriquer les dômes de 50 mètres de hauteur qui recouvrent la plus grande forêt tropicale intérieure au monde (photo ci-contre), celle de l'entreprise sociale Eden Project, située à Cornwall, en Angleterre. « Nos experts en horticulture confirment que l'ETFE laisse passer jusqu'à 35 % plus d'UVA et d'UVB que le verre et a une transmission plus uniforme de l'intensité lumineuse, ce qui permet aux plantes de pousser de façon plus égale. De plus, l'ETFE est un matériau incroyablement inerte et stable; il est très peu probable qu'il lessive quoi que ce soit dans le sol », affirme Varshana Trudgian, porte-parole d'Eden Project.

« Il est fabriqué à partir d'une pierre, la fluorite. C'est donc un polymère de source minérale et non pétrolière », souligne Luc Lachapelle, propriétaire du distributeur québécois HortiMax.  M. Lachapelle ne vend pas le film d'ETFE seul et préfère ne pas discuter du prix de ses oreillers pneumatiques en ETFE sur mesure. « Ils sont idéaux pour fermer une véranda, s'offrir un solarium ou se doter d'une serre, tous quatre saisons, explique Luc Lachapelle. Ainsi le jour vous bénéficiez de la chaleur et de la lumière solaire qui combat la dépression saisonnière, comme si vous étiez dans le sud, et la nuit vous profitez d'un espace tampon qui isole le bâtiment. »

L'ETFE présente plusieurs avantages sur le verre, selon une étude de faisabilité réalisée pendant trois ans par le cabinet d'architectes américain Populous Holdings qui l'a choisi pour recouvrir le stade néo-zélandais Forsyth Barr, le seul stade fermé au monde où pousse du gazon naturel. Selon cette étude, l'ETFE coûte jusqu'à 70 % moins cher à installer, est plus isolant, 99 % plus léger, peu réfléchissant. Il transmet jusqu'à 30 % plus de lumière et de chaleur et est plus résistant. Il peut soutenir 400 fois son propre poids, est réparable et est plus étanche que les vitrages, car il s'étire jusqu'à trois fois sa longueur sans fissurer ni perdre son élasticité. L'ETFE remplace d'ailleurs de plus en plus le verre dans les panneaux solaires photovoltaïques car son espérance de vie utile est de 50 ans. Sa fabrication consomme 90 % moins d'énergie que celle du verre, selon High Point.

Il requiert aussi moins d'entretien que le verre, car il retient moins les saletés, la neige et la glace. Cette pellicule minérale ne s'enflamme pas, ne dégoute pas si elle fond et se rétracte dans une flamme intense. Sa face intérieure peut être traitée pour prévenir la condensation ou diffuser la lumière pour éliminer l'ombrage.

Les désavantages de l'ETFE, selon un article rédigé en 2007 par la journaliste en architecture Jackie Craven du site about.com : il transmet le bruit extérieur davantage que le verre (mais le réverbère beaucoup moins à l'intérieur), il doit être gonflé et requiert une pression d'air stable, ce qui en fait un matériau plus complexe que le verre pour les petits projets résidentiels.

Pour sa part, le spécialiste québécois des bâtiments écologiques Yves Perrier demeure sceptique. « Pour l'instant, le produit ne me convainc pas en tant que produit durable pour les serres résidentielles. Il me semble fragile et sujet à toutes sortes de possibilités : perte d'étanchéité à l'air par le tuyau, dommages externes (oiseaux, écureuils, insectes, moisissures, glace coupante accumulée sur les structures d'acier) », relate le bachelier en architecture et ancien chroniqueur à La Presse. Mais l'ETFE a déjà démontré sa durabilité en climat très froid, selon le livre ETFE Technology Design : « Des coussins en ETFE pour toitures ont été construits pour résister à des charges de neige de 3 000 kilos par mètre carré, équivalent à trois mètres de neige. »

Pour en savoir davantage

Building with foil cushions (Vector Foiltec)
Fiche technique sur l'ETFE publiée par le Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (France)
Pati Films (fabricant italien)
Acton Tech (distributeur américain de Pati)

Les limites du polycarbonate

 Le polycarbonate jaunit rapidement avec les années. Image fournie parhortimax.biz
Le polycarbonate jaunit rapidement avec les années. Image fournie parhortimax.biz

Comme la fine couche anti-UV qui le protège est fragile, s'égratigne et s'écaille facilement, le polycarbonate jaunit rapidement en quelques années. Bayer recommande d'ailleurs d'ajouter une couche intérieure afin qu'il puisse durer 15 à 20 ans (lire ici une comparaison des propriétés du verre, du polyéthylène et du polycarbonate). De plus, les aliments cultivés en serre sans spectre UVA et UVB contiennent moins de nutriments bénéfiques comme la chlorophylle et les caroténoïdes, selon une étude publiée en 2009 par l'US Department of Agriculture.

Au centre Terre Vivante, pionnier français du jardinage biologique et de la construction écologique, la jardinière Geneviève Nicolas et l'expert en bricolage écologique Luc Valentin soulignent que le polycarbonate a comme avantages sa grande résistance thermique, sa résistance aux chocs, sa grande transparence et sa capacité à absorber la chaleur. Voici leurs propos transmis par la porte-parole Agathe Béon : « Si le polycarbonate n’est pas indiqué pour contenir des aliments, il n’a a priori pas de conséquence sur les plantes. Il peut durer une quinzaine d’années, même s’il a effectivement tendance à jaunir (en particulier s’il est épais). Souvent, il est biface : au moment de la pose, il faut bien mettre la face traitée contre les UV à l’extérieur (on la reconnaît car elle est recouverte d’un film protecteur qu’il faut retirer). En comparaison, il est moins cher, plus léger (et donc plus facile à mettre en œuvre) et moins fragile que le verre. »