Grande écologiste, Sabine Karsenti a pourtant vendu, avec son mari, les deux voitures « vertes » que le couple possédait, des Prius hybrides fabriquées par Toyota. C'est que la comédienne a découvert qu'elles émettaient des niveaux de champs magnétiques de 60 Hz inquiétants sur la banquette arrière où elle installait ses deux jeunes garçons. Les mesures atteignaient jusqu'à 40 milligauss (mG) − équivalant à 4 microteslas (μT) ou 4 000 nanoteslas (nT) −, soit dix fois le seuil de 4 mG associé à un dédoublement du risque de leucémie infantile dans de nombreuses études épidémiologiques. En 2001, ces études ont incité le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui relève de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), à classer ces champs magnétiques de « peut-être cancérogènes ». Dans une maison, il est rare de mesurer des champs de plus de 10 mG, sauf à l'entrée électrique et sous les planchers radiants d'ancienne génération, à simple conducteur.
« C'est inacceptable et honteux que les fabricants se ferment les yeux à ce sujet, dénonce Sabine Karsenti, porte-parole de la foire Projet Écosphère depuis plusieurs années. Est-ce qu'ils attendent qu'il y ait des cas de leucémie infantile directement liés à une exposition régulière aux champs émis par leurs voitures et que des actions en recours collectif soient intentées? En tout cas, il n'est pas question que mes enfants servent de cobayes! »
À l'OMS, sur la base de quelque 25 000 articles scientifiques parus sur les effets des rayonnements dits non ionisants depuis 30 ans, on se fait à la fois rassurant et flou. « S'appuyant sur un examen approfondi de la littérature scientifique, l'OMS a conclu que les données actuelles ne confirment en aucun cas l'existence d'effets sanitaires résultant d'une exposition à des champs électromagnétiques [CEM] de faible intensité. Toutefois, notre connaissance des effets biologiques de ces champs comporte encore certaines lacunes et la recherche doit se poursuivre pour les combler. »
Chez Toyota Canada, on est plus catégorique. En réponse à un propriétaire d'hybride inquiet qui réside à Le Gardeur, Denis Deschenes, le fabricant lui écrivait en 2010 que « ces champs ne posent aucun risque pour la santé humaine ». S. Sandifor, consultante au centre d'interaction à la clientèle de Toyota Canada, soulignait dans cette lettre que l'on mesure des champs magnétiques dans tous les types de véhicules et qu'ils n'excèdent jamais les limites de 1 000 mG recommandées par les directives de l'International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection (ICNIRP).
Or, ces directives sont dépassées depuis longtemps et l'ICNIRP est un organisme biaisé dont sont membres des chercheurs financés ou embauchés par l'industrie de l'électricité et des télécommunications, affirme la journaliste suédoise Mona Nilsson. Une étude récente signée par Ying Li et le professeur Paul Héroux, directeur du programme de médecine du travail à la Faculté de médecine de l'Université McGill, opine dans le même sens. « Un champ magnétique de 20 nanoteslas suffit pour provoquer des pertes de chromosomes, c'est un niveau 5 000 fois inférieur à la directive de l'ICNIRP, selon le physicien. Nos données démontrent que les pertes de chromosomes rendent les cancers plus malins et expliquent des hausses des taux de cancer. »
Cette semaine, un autre expert en effets sanitaires de l'électrosmog réclamait que les autos hybrides et électriques soient redessinées pour réduire leurs niveaux de radiations électromagnétiques et les risques possibles de cancer qui y sont associés. Considérant le classement du CIRC de 2001, « le principe de précaution dicte que nous devons concevoir des produits de consommation qui minimisent l'exposition des consommateurs aux CEM. Ceci s'applique particulièrement aux voitures hybrides et électriques, puisque les conducteurs et passagers passent un temps considérable dans ces véhicules et les risques pour la santé augmentent avec la durée d'exposition », écrivait Joel Moskowitz, directeur du Centre de santé familiale et communautaire, à l'École de santé publique de l'Université de la Californie, à Berkeley.
Les chercheurs indépendants disent qu'il ne faut pas paniquer ni se mettre la tête dans le sable. « Ce serait une erreur de sauter aux conclusions concernant les dangers des CEM dans les hybrides, mais aussi de rejeter purement et simplement cette préoccupation, déclarait dans le New York Times en 2008 Jim Kliesch, un ingénieur principal pour le programme de véhicules propres à l'Union of Concerned Scientists. Des recherches additionnelles permettraient d'améliorer notre compréhension de la question. »
Pour l'Ontarien Daryl McMahon, qui est hypersensible aux CEM, cette situation est malheureuse. « L'industrie du pétrole se fait un plaisir de critiquer les véhicules hybrides électriques parce qu'ils sont trop silencieux, ce qui peut provoquer des accidents. En mettant l'accent sur leurs émissions électromagnétiques, elle ignore complètement la pollution de l'air, du sol et de l'eau ainsi que le bruit et les émissions de gaz à effet de serre associés à la consommation d'essence. »
La bonne nouvelle, c'est que certains fabricants ont découvert comment réduire les champs magnétiques dans leurs voitures à des niveaux aussi bas, voire plus bas que ceux mesurés dans certains véhicules à essence.
C'est ce qu'a révélé l'enquête que nous avons commandée à un expert en pollution électromagnétique, Andrew Michrowski, directeur de la Société planétaire pour l'assainissement de l'énergie.
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Mesures d’électrosmog dans les véhicules : surprises et déceptions