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Les sous-produits de la désinfection (SPD) par chloration, souvent retrouvés en concentrations élevées dans l'eau municipale du Québec, devraient plutôt être appelés « déchets dangereux », selon le rapport de l'Environmental Working Group (EWG), Water Treatment Contaminants: Toxic Trash in Drinking Water, publié en février 2013. C'est qu'ils sont jusqu'à 1 000 fois plus toxiques que le chlore.

Des substances classées « cancérogènes probables », comme le chloroforme, ont été détectées dans chacun des 201 échantillons d'eau potable fournis par de grandes villes au service de plus de 100 millions de personnes dans 43 États américains, selon des tests indépendants effectués par l'EWG, principal groupe de recherche et de pression états-unien en matière de santé environnementale.

À la suite de l'ouragan Sandy, qui a déversé des millions de litres d'eaux usées dans les cours d'eau de la côte est, ce chien de garde a demandé au gouvernement Obama de nettoyer les sources d'eau potable afin de rendre possible la réduction de la quantité de traitements chimiques de désinfection. À l'heure des changements climatiques, qui augmentent la fréquence et l'intensité des fortes pluies, lesquelles font aussi déborder les égouts au Canada, cette étude souligne l'importance de filtrer l'eau potable à la maison ou du moins de l'aérer pendant quelques heures afin de laisser s'évaporer les SPD.

C'est que le chlore ajouté à l'eau, lorsque combiné à la matière organique comme les feuilles d'arbres, les animaux morts ainsi que le fumier et autres excréments, génère du chloroforme et d’autres dérivés de la classe des trihalométhanes (THM). Les SPD comprennent les THM (les plus étudiés, donc la pointe de l'iceberg) ainsi que les composés organiques volatils (COV) et les acides haloacétiques (AHA).

Or, en 2006-2007, 58 réseaux d'eau potable québécois dépassaient la concentration moyenne de THM permise, qui est de 80 microgrammes par litre (µg/l) d'eau, selon un relevé que nous a transmis en 2008 le ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP). La Côte-Nord (8), l'Outaouais (7) et les Laurentides (7) comptaient alors le plus de réseaux d'aqueduc hors norme. Le risque de cancer de la vessie est particulièrement élevé quand on boit de l'eau contenant plus de 50 µg de THM par litre pendant 35 ans, rapporte l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Certains réseaux excédaient même les 150 µg/l, en moyenne (excluant les pics après les fortes pluies). Il s'agissait des réseaux Deschênes et Saint-Hubert dans le Bas-Saint-Laurent, Saint-Bruno, Jeanne-d'Arc, Sainte-Monique, Sainte-Rose-du-Nord, Saint-Félix-d'Otis et Saint-Henri-de-Taillon au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Bryson, Campbell's Bay, L’Isle-aux-Alumettes, Mansfield et Pontiac (Quyon) en Outaouais, Belleterre en Abitibi-Témiscamingue, Baie Comeau (rue McCormick et Marquette–Saint-Georges), Baie-Trinité, Franquelin, Les Bergeronnes et Ragueneau sur la Côte-Nord, Sainte-Émilie-de-l'Énergie dans Lanaudière, et Mont-Laurier dans les Laurentides. L'année dernière, le MDDEP a refusé de nous fournir des données plus récentes, mais les municipalités ont été sommées de suivre le dossier de plus près afin de régler le problème.

Contrairement à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), la Californie considère le chloroforme comme un « cancérogène reconnu ». Les experts soupçonnent cette substance et d’autres THM de causer des milliers de cancers de la vessie chaque année. Ils ont aussi été liés à des risques accrus de cancer colorectal, de fausse couche, de malformation congénitale et de faible poids à la naissance.

Selon Santé Canada, la chloration de l'eau apporte plus de bénéfices que de torts en tuant les microbes à l'origine de gastroentérites et d’autres maladies hydriques potentiellement mortelles. « Les risques que représentent pour la santé les sous-produits de désinfection (SPD), y compris les AHA, sont beaucoup moins importants que ceux qu'entraîne la consommation d'eau non désinfectée adéquatement », affirme le Ministère.

Impact sous-estimé

Or, l'EWG voit les choses autrement. « Notre analyse suggère que plusieurs personnes sont probablement exposées à des concentrations de THM beaucoup plus élevées qu'on ne le sait. »

Selon l'EWG, l'eau d'une seule municipalité (Davenport, en Iowa) dépassait les limites de THM permises par l'Agence de protection de l'environnement (US EPA). Cette limite, de 80 parties par milliard (ou ppb, de part per billion, équivalent à nos µg/l) par litre d'eau, fut fixée en 1998 pour limiter le risque de cancer de la vessie. Il faudra donc voir si la situation est toujours plus grave au Québec.

Les études les plus récentes militent en faveur de l'abaissement de la limite d'exposition, fait valoir l'EWG. Au total, 168 ou 84 % des réseaux testés par l'organisme excédaient 21 ppb de THM, niveau auquel des chercheurs taïwanais ont détecté un excès de risque de cancer de la vessie. En 2005, l'EPA a songé à réduire la limite américaine à 40 ppb, estimant que cela empêcherait que surviennent 1 300 nouveaux cas de cancer de la vessie par année aux États-Unis. Selon les tests de l'EWG, 53 % des grands réseaux américains dépassaient 35 ppb de THM.

L'EPA a abandonné son projet de réglementation et a plutôt ordonné aux villes d'améliorer leur suivi et leurs efforts de réduction des THM.

L'EWG cite trois études publiées depuis un an qui indiquent que la consommation d'eau contenant 20 à 100 ppb de THM par les femmes enceintes durant le dernier trimestre de la grossesse (période critique du développement d'un enfant) augmente les risques de complications chez l'enfant à naître. L'une de ces études fut dirigée par le Dr Patrick Levallois, professeur de médecine sociale et préventive à l'Université Laval et chercheur à l'INSPQ ainsi qu'au Centre de recherche du Centre hospitalier universitaire de Québec.

Selon cette étude portant sur l'eau de 16 réseaux d'aqueduc de Québec et de Lévis, la surexposition des femmes enceintes aux SPD augmente leur risque de donner naissance à un enfant de faible poids. Un problème peu banal : « Des preuves croissantes suggèrent que les enfants aux retards de croissance à la naissance pourraient être plus sujets au développement de maladies importantes à l'âge adulte, comme le diabète de type 2, l'hypertension, le syndrome métabolique et la maladie coronarienne », explique cette étude publiée en anglais (notre traduction libre).

En vertu de la nouvelle stratégie québécoise de protection et de conservation des sources d'eau potable, les municipalités seront responsables d'analyser la vulnérabilité de leur source d'alimentation et de rendre cette analyse publique. La coalition Eau Secours doute qu'elles puissent remplir ce mandat. « Plusieurs n'arrivent pas à assurer les inspections sur leur territoire et n'ont pas de ressources humaines adéquatement formées pour le faire », affirmait l'organisme dans un mémoire déposé en 2012 dans le cadre de consultations sur cette stratégie. Eau Secours recommande donc notamment que les instances municipales et le MDDEP soient dotés de moyens techniques et financiers pour étudier et protéger la qualité de l'eau potable, « qu'aucune loi ne puisse avoir préséance sur la loi de l'eau et que tous les ministères harmonisent leurs pratiques face à la préservation de l'eau ».

Les filtres au charbon activé peuvent éliminer le chloroforme et d’autres SPD. Des études en laboratoire ont démontré que 83 % des THM contenus dans un réservoir de 200 gallons US (760 litres) disparaissent après six heures d'aération, selon la thèse de maîtrise en environnement de Stephanie Ruth Sherant de l'Université de la Pennsylvanie.