Ce mercredi, les parlementaires québécois acceptaient à l’unanimité de débattre la motion suivante, déposée par le médecin et député de Québec Solidaire Amir Khadir : « Que l’Assemblée nationale demande à Hydro-Québec d’évaluer d’autres options afin de ne pas pénaliser financièrement ses clients qui ne veulent pas de compteurs ‘‘intelligents’’ et de leur offrir le choix d’un autre type de compteur sans leur imposer des frais punitifs qui sont actuellement de 137 $ à l’installation et de 206 $ annuellement. »
La Régie de l’énergie a autorisé Hydro-Québec à remplacer 1,7 million de compteurs électromécaniques dans le grand Montréal par des compteurs « nouvelle génération » communicant les données de consommation par ondes radio. Dans sa décision rendue le 5 octobre 2012, elle l’autorisait aussi à acquérir et à installer des routeurs et collecteurs requis, d’ici 2014, dans le cadre de la phase 1 de son projet de Lecture à distance (LAD) de la consommation d’électricité. D’ici 2018, Hydro-Québec prévoit remplacer 3,8 millions de compteurs électriques au total et mettre en place une infrastructure de mesurage avancée sans fil à travers la province.
Par ailleurs, la Régie autorisait aussi l’imposition des frais mentionnés ci-haut pour l’installation d’un compteur « non communicant », non émetteur d’ondes radio, et pour la relève mensuelle de la consommation électrique. Québec solidaire (QS) et l'Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique (AQLPA) jugent ces frais abusifs.
Cancer et électrosensibilité
C’est qu’après la rage des téléphones portables, l’arrivée ce mois-ci de la télévision sans fil, la popularité croissante des tablettes Wi-Fi et maintenant l’imposition des compteurs émetteurs promettent de multiplier davantage l’exposition des Québécois aux radiofréquences (RF). En 2011, le Centre international de recherche sur le cancer classait ces ondes de « peut-être cancérogènes » en raison d'un risque anormalement élevé de cancer du cerveau chez certaines personnes utilisant couramment un téléphone sans fil pendant au moins dix ans.
L’AQLPA demande d’ailleurs un moratoire sur l’installation des compteurs émetteurs jusqu’à ce qu’on connaisse leur impact sur la santé, qui n’a jamais été étudié.
« Depuis l’installation de compteurs ‘‘intelligents’’ par Hydro-Québec, plusieurs personnes se plaignent de ressentir divers symptômes d’électrosensibilité pour la première fois », affirmait Amir Khadir le 25 mai dernier dans le cadre de la foire environnementale Projet Écosphère Montréal.
Ces personnes se plaignent de problèmes de sommeil, de maux de tête, de problèmes oculaires, de fatigue, de vertiges, d’acouphènes, de pertes de mémoire et autres habiletés cognitives, d’irritabilité et d’autres symptômes. Ces malaises les empêchent d’utiliser les pièces de leur maison à proximité du compteur et de s’exposer davantage aux radiofréquences émises par les antennes et les appareils sans fil, affirmait dans le cadre de cette foire la professeure Magda Havas. Cette biologiste enseigne et étudie les effets sanitaires des champs électromagnétiques (CEM) depuis 13 ans à l’Université Trent, en Ontario.
De 1997 à 2004, la proportion d’Européens disant souffrir de symptômes d’électrosensibilité est passée de moins de 1 % à plus de 10 %, selon divers sondages nationaux. La rage du sans fil a multiplié l’intensité de l’électrosmog ambiant des milliers de fois au 21e siècle. Les ondes radio comme les micro-ondes ou « hyperfréquences » (400 MHz à 30 GHz) émises par les antennes et les appareils sans fil s’ajoutent aux champs électriques et magnétiques de 60 hertz (Hz) émis par les appareils et fils électriques.
Les hyperfréquences sont les plus nocives, selon Magda Havas. « Les enfants sont particulièrement vulnérables à ces ondes, tout comme les femmes enceintes et les gens au système immunitaire affaibli », écrivait-elle en 2010 dans un avis sur les compteurs intelligents soumis au gouvernement de la Californie. La présence d’implants métalliques dans le corps, comme des tiges dans les os, des appareils orthodontiques ou des amalgames au mercure, pourrait concentrer l’absorption des radiations, selon cette auteure d’une douzaine d’études scientifiques publiées depuis 2000 sur les méfaits sanitaires de la surexposition aux CEM.
Demandes de Québec Solidaire
Québec Solidaire a formulé deux autres recommandations au gouvernement :
« 1. Une surveillance constante et une enquête — indépendante d'Hydro-Québec et de l'industrie — par le ministère de la Santé et des Services sociaux ou de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), sur les effets de la pullulation des ondes électromagnétiques sur la santé humaine.
2. De mettre sur pied une ou des équipes à travers le réseau de la santé pour la prise en charge et le soutien des citoyens qui manifestent des symptômes attribués à tort ou à raison à des causes environnementales (pollution chimique, radiation électromagnétique), en attendant d'établir la validité des relations de cause à effets entre les manifestations cliniques et les facteurs environnementaux. »
À l’occasion de la foire Projet Écosphère, la Maison du 21e siècle avait invité Magda Havas ainsi que le Dr Roy Fox, ancien directeur médical de l’Integrated Chronic Care Service de la Nouvelle-Écosse, à venir traiter du principe de précaution et d’électrosensibilité en rapport avec les compteurs nouvelle génération. L’événement fut organisé par le Groupe Écosphère et l'AQLPA, en collaboration avec l'Association pour la santé environnementale du Québec (ASEQ).
Agression neurologique chronique
« Alors qu'il n'y a toujours pas de consensus sur la manière de diagnostiquer et de traiter les hypersensibilités environnementales, les évidences se multiplient et démontrent que l'électrosensibilité n'est pas psychosomatique, a alors déclaré le Dr Fox. Lorsque le système nerveux est constamment interpellé par des changements environnementaux, il les interprète comme étant une menace, puis cherche à se défendre ».
Depuis 1991, quelques chercheurs médicaux, comme le chirurgien cardiovasculaire William J. Rea et le biophysicien Andrew A. Marino, ont démontré qu’il était possible de déclencher des symptômes d’électrosensibilité chez des personnes hypersensibles dans des conditions contrôlées. Par ailleurs, l’équipe de l’oncologue français Dominique Belpomme a récemment mis au point une méthode diagnostique basée sur des tests sanguins et une scanographie du cerveau. Ces examens ont révélé que les personnes électrosensibles ont des troubles de vascularisation cérébrale, que plusieurs d’entre elles ont des taux élevés d’histamine et de protéines de stress, un manque de mélatonine (puissante hormone anti-cancer) ainsi que des niveaux élevés de protéines et d’anticorps sanguins indicateurs de choc thermique et de souffrance cérébrale.
L’année dernière, la Maison du 21e siècle coordonnait la rédaction d’une réplique à la désinformation au sujet des compteurs intelligents, endossée par 50 médecins et experts internationaux en électrosmog. Parmi ceux-là, le professeur agrégé de neurochirurgie australien Vini G. Khurana : il soulignait que « des effets neurologiques indésirables ont été signalés chez des personnes qui se retrouvent souvent à proximité – en particulier à moins de trois mètres [10 pi] — des compteurs sans fil ».
« Il est insensé de continuer à multiplier les sources d'émissions d'ondes électromagnétiques artificielles alors que des milliers d'études scientifiques en appellent au principe de précaution et à la diminution de notre exposition, déclarait le président de l’AQLPA, André Bélisle, lors de la foire du 25 mai. Rappelons qu'aucune étude n'a porté sur les effets sanitaires des compteurs à travers le monde. Écoutons ce que les chercheurs du domaine de la santé ont à dire et ce que les citoyens ont à témoigner avant de prendre des décisions qui pourraient potentiellement avoir des conséquences graves. »
Demandes de l'AQLPA
Voici les demandes formulées par l’AQLPA dans ce dossier :
« • Un moratoire sur le déploiement des compteurs à radiofréquences d'Hydro-Québec;
• L'option de retrait gratuite;
• Une audience publique sur l'électrosmog en général;
• La révision du Code de sécurité 6 de Santé Canada [qui suggère des limites d’exposition qui ne tiennent compte que des effets thermiques des radiofréquences et non des effets comme le cancer et les symptômes d’électrosensibilité];
• La reconnaissance de l'électrosensibilité comme un état de santé d'origine physique. » André Bélisle explique : « L’AQLPA, qui a défendu la gratuité de l’option de retrait aux audiences de la Régie de l’énergie en 2012, constate, telle qu’elle l’avait prévue, l’incohérence de cette option, par exemple pour les abonnés qui ont les compteurs de leurs voisins dans ou trop près de leur logement, ou pour les personnes dont la santé physique et financière justifie la gratuité de l’option. »
Pour M. Bélisle, un moratoire doit être imposé « jusqu’à ce que le Code de sécurité 6 soit actualisé, qu’on fasse le point sur les impacts de ces compteurs sur la santé et qu’on étudie les besoins auxquels ils répondent ainsi que les technologies alternatives ». Selon Magda Havas, Toronto Hydro permet de transmettre les données de consommation électrique sur des lignes téléphoniques, une option plus onéreuse que la méthode sans fil.
La décision de la Régie
Hydro-Québec a convaincu la Régie que son projet serait plus rentable, d’ici 20 ans, que de remplacer les vieux compteurs électromécaniques par des compteurs électroniques non émetteurs. Extrait de la décision de la Régie : « La Régie reconnaît au projet LAD les avantages immédiats suivants pour les clients du Distributeur: (i) l’obtention rapide d’informations précises sur les pannes, (ii) le fait que les releveurs de compteurs n’auront plus à accéder à leur propriété, (iii) une facturation basée sur des données de consommation réelles et non estimées. […] Le Projet offre la possibilité que de nouvelles fonctionnalités permettent aux clients de mieux gérer leur facture d’électricité. Il s’agit donc d’un projet structurant susceptible d’être bonifié à terme par l’ajout de nouvelles fonctionnalités au bénéfice des clients du Distributeur. »
Par ailleurs, la Régie fut satisfaite des mesures de sécurité prises par Hydro-Québec « afin que les données enregistrées et transmises par les compteurs de nouvelle génération ne soient pas interceptées par des tiers et que, même si cela devait se produire, ces tiers ne puissent établir aucun lien entre un client et ses données personnelles. »
Les preuves présentées à la Régie l’ont portée à conclure que les nouveaux compteurs sont sans danger pour la santé. « La preuve est que les RF émises par les compteurs de nouvelle génération ont une densité de puissance de 50 µW/m² à 1 m de distance, écrivait-elle dans sa décision du 5 octobre 2012. Selon différents cas, l’intensité de ces RF est de 20 000 à 300 000 fois inférieure aux normes de Santé Canada actuellement en vigueur. Les RF émises par un compteur de nouvelle génération sont, entre autres, beaucoup moins intenses que celles émises par un téléphone cellulaire. »
Micro-ondes de haute intensité
Faux, selon la réplique de notre cinquantaine de médecins et d’experts, car la densité de puissance de 50 µW/m² n’est qu’une moyenne calculée sur 24 heures. Or les gens réagissent plutôt aux milliers de pulsations de micro-ondes de très haute intensité émises chaque jour par les compteurs intelligents tout comme l'interférence de hautes fréquences transitoires (électricité sale) qu’ils génèrent sur le câblage domestique. Dans le monde, des milliers de personnes se plaignent de symptômes d’électrosensibilité après avoir été exposées à des niveaux de RF des milliers de fois inférieurs aux recommandations canadiennes et internationales.
Selon l’auteur de cette réplique, le Dr David Carpenter, directeur de l’Institute for Health and the Environment de l’Université d’Albany (New York) : « Ces compteurs sont dotés de deux antennes émettant des micro-ondes dans une gamme de fréquences (900 MHz et 2,4 GHz) similaire à celle d’une tour de téléphonie cellulaire. Toutefois, dépendant de la proximité des parties habitées d’une maison, un compteur intelligent peut causer des expositions beaucoup plus élevées que ne le font habituellement les tours de cellulaires. Si le compteur est, par exemple, situé sur un mur attenant à une chambre ou une cuisine plutôt qu’un garage, l’exposition peut équivaloir à celle reçue à entre 200 et 600 pi [61 à 183 m] de distance d’une tour dotée de multiples antennes. Avec un compteur intelligent tout comme avec une tour de cellulaires, l’ensemble du corps est immergé de micro-ondes émises dans toutes les directions, augmentant le risque de surexposition de nombreux organes très sensibles aux micro-ondes, comme les yeux et les testicules. Avec un téléphone cellulaire, la tête et le cou sont généralement les principales parties du corps exposées aux ondes (à moins d’utiliser le haut-parleur), et uniquement lorsque l’on utilise l’appareil. »
Réponse du gouvernement
Daniel Breton, député péquiste responsable de l’électrification des transports, a assisté à la conférence de presse tenue par l’AQLPA à la foire Projet Écosphère. Il reconnut alors qu’il faudrait en savoir davantage sur les effets des champs électromagnétiques avant d’adopter des nouvelles technologies comme la recharge sans fil des véhicules électriques, par induction électrique. Il a déclaré qu’il conseillerait la ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, à ce sujet.
Hier, cette dernière a admis au Canal Argent du réseau TVA que plusieurs citoyens sont préoccupés par les compteurs intelligents : « Nous avons reçu plusieurs pétitions. J'ai déjà fait des demandes à Hydro-Québec afin qu'on évalue s'il y a de nouvelles technologies disponibles et de voir, si c'est possible, à ce qu'il y ait des solutions alternatives. Mais il est évident que ce dossier doit être approuvé par la Régie de l'énergie. »
Par contre, la ministre a le pouvoir d’annuler les frais associés à l’option de retrait, a déclaré l’analyste en énergie Jean-François Blain au journaliste de TVA. « Tout ce que ça prend pour appliquer la volonté unanime de l'Assemblée, c'est que la ministre prépare une directive en ce sens, qu'elle soit soumise au conseil des ministres et qu'elle soit adoptée en décret ministériel. »
Selon Brigitte Blais, responsable du dossier pour l'AQLPA, « La Régie de l'énergie avait les mains liées par le Code de sécurité 6 de Santé Canada lorsqu'elle a pris sa décision sur les compteurs à radiofréquences. C'est cette norme désuète qui doit changer ainsi que les normes semblables ailleurs dans le monde. Selon les auteurs du rapport BioInitiative 2012 [dont le Dr Carpenter fut le co-auteur principal], les normes actuelles mettent la santé publique en péril, car elles ignorent les effets non thermiques des radiofréquences ».