Une pétition exigeant un moratoire sur l'implantation de 3,8 millions de compteurs ''intelligents'' par Hydro-Québec a été déposée à l'Assemblée nationale le 3 novembre dernier par le médecin Amir Khadir, député de Québec Solidaire. Initiée par la nouvelle Coalition québécoise de lutte contre la pollution électromagnétique, cette pétition exige qu'Hydro-Québec obtienne le consentement de ses abonnés avant d'installer sur leur habitat ces compteurs qui émettent des radiations pulsées (micro-ondes) au même titre que les téléphones cellulaires.
Le 31 mai dernier, ces champs électromagénétiques de radiofréquences (RF) ont été classés comme « peut-être cancérogènes pour l'homme » (Groupe 2B) par le Centre international de recherche sur le cancer, « sur la base d’un risque accru de gliome, un type de cancer malin du cerveau, associé à l’utilisation du téléphone sans fil ».
Au Québec et ailleurs où ces compteurs ont été installé, ils ont contribué à l'apparition ou à l'aggravation de symptômes d'électrosensibilité (maux de tête, insomnie, peau qui brûle, sautes d'humeur, etc.). De plus, ces compteurs auraient déjà causé des erreurs de facturation importantes, selon ce qu'on confié des citoyens au Journal de Montréal. Une cinquantaine de municipalités californiennes ont aussi demandé un moratoire sur l’installation de cette technologie qui s’ajoute aux autres sources de RF, comme la téléphonie et l’internet sans fil (Wi-Fi), dont les émissions augmentent de façon exponentielle depuis l’an 2000.
L'installation de ces compteurs a débuté en juin dans trois régions pilotes, soit à Boucherville, dans le quartier montréalais de Villeray et dans la MRC Memphrémagog, en Estrie. Elle se déroulera jusqu’en 2017 au coût d’environ un milliard de dollars. Hydro-Québec met en place une infrastructure de mesurage avancée permettant la relève de la consommation à distance par le biais d'un réseau sans fil en partenariat avec Rogers. Les compteurs numériques Focus AXR-SD de Landis+Gyr et les antennes relais installées sur les poteaux électriques permettront à la société d’État d’éliminer quelque 800 emplois en relevant à distance la consommation d’électricité de ses clients. « Grâce à cette plateforme technologique, dit la société d'État, les clients bénéficieront d’avantages concrets. En effet, la facturation sera basée sur la consommation réelle et non estimée, comme c’est parfois le cas actuellement. Un atout, notamment pendant la saison des déménagements : les clients n’auront plus à remplir les cartes de relève et Hydro-Québec pourra effectuer les branchements à distance. Qui plus est, Hydro-Québec n’aura plus à accéder aux propriétés de ses clients pour la relève, occasionnant ainsi moins d’inconvénients à ceux-ci, surtout en ce qui concerne les clients dont le compteur est à l’intérieur de la résidence. »
Or, depuis deux ans, des milliers de Nord-Américains se plaignent de symptômes d'électrosensibilité apparus ou aggravés après l’installation de tels compteurs sur ou dans les résidences. Debi Alexander, de Cache Creek en Colombie-Britannique, souffre, entre autres, de nausées et de plaies dans la bouche : « Je n’avais pas eu de tels symptômes depuis le début de ma chimiothérapie, il y a plus d’un an », témoignait le 22 novembre dernier dans le BC Local News, cette femme atteinte du cancer du sein. Pour sa part, Louise Vaillancourt est découragée depuis l’installation d’un autre type de compteur à RF, l’Itron de la compagnie Centron, dans sa maison des Îles-de-la-Madeleine. « Mon mari et moi sommes épuisés et d’humeur irritable, ça se produit subitement et en même temps. J’ai des migraines, nous avons les yeux fatigués et avons perdu toute ambition. Dès que nous sortons de la maison, nous sommes soulagés… Ça vaut la peine d’investir pour blinder et éloigner ces compteurs des maisons. »
Cette infrastructure est appelée à évoluer, par exemple pour permettre la facturation de tarifs différenciés dans le temps : un jour, l'électricité québécoise sera plus chère en période de demande de pointe - à l'heure du déjeuner et du souper - et moins chère le reste de la journée, selon le même principe de tarification que celui appliqué aux clients qui optent pour le chauffage bi-énergie. Les fournisseurs d'électricité aimeraient aussi s'en servir, avec notre consentement, pour éteindre certains de nos appareils à distance en période de pointe et pour les rallumer hors pointe. « Hydro-Québec s’assurera d’avoir les informations et les évaluations nécessaires avant d’implanter d’autres fonctionnalités, et ce, dans un souci de qualité de service au meilleur coût possible », ajoute la société d'État.
La Coalition estime néanmoins que l'imposition de ces compteurs par Hydro-Québec, sans assentiment préalable de ses clients, constitue une grave atteinte à leur liberté de choix. « Hydro-Québec n'a nullement démontré la nécessité de remplacer la méthode actuelle de relève de compteurs six fois par année, ni les avantages que pourrait représenter pour le consommateur la relève de leur consommation électrique à maintes reprises chaque jour », affirme le texte de la pétition qui peut être signée sur le site de l'Assemblée nationale jusqu'au 2 février 2012. Celle-ci affirme aussi que le coût exhorbitant (plus d'un milliard de dollars d'ici 2017) du « remplacement des compteurs électromécaniques actuels d'une durée de vie d'au moins 25 ans par des compteurs d'une durée de vie d'à peine 15 ans, représente une dépense injustifiée que tôt ou tard les abonnés devront absorber. »
Cette coalition de citoyens concernés, dont la cause est soutenue par le magazine la Maison du 21e siècle, a pour but de mobiliser le plus de gens possible afin de lutter contre toutes les formes de pollution électromagnétique - champs électriques et magnétiques de basses fréquences (60 Hertz) et de hautes fréquences (mesurées en kilohertz, mégahertz et gigahertz). « C'est l'effet cumulatif de toutes les sources d'électropollution sur la santé qui nous menace tous, explique Jean Hudon, secrétaire de la Coaliition. Nous entendons donc dénoncer également la multiplication débridée de sources d'émission de type Wi-Fi (dans les écoles, antennes Wimax) et de type micro-ondes (antennes de cellulaire), et réclamer la création de zones refuges exemptes de toute pollution électromagnétique à l'intention des personnes souffrant du syndrome d'intolérance aux champs électromagnétiques. »
Hydro-Québec maintient que ses compteurs sont tout à fait sécuritaires. « Hydro-Québec a toujours respecté les normes de Santé Canada et elle continuera de le faire », affirme Danielle Chabot, la porte-parole de la société d’État.
Or, Santé Canada se fie sur le Code de sécurité 6 d'Industrie Canada qui a juridiction en matière de télécommunications. Cette norme est désuète car elle ne tient compte que des effets thermiques à court terme des micro-ondes et radiofréquences et non des dangers à long terme, souligne Jean Hudon : « Nous réclamons d'Industrie Canada que le Code de sécurité 6 soit révisé le plus rapidement possible afin de refléter les plus récentes conclusions scientifiques sur les effets non-thermiques et potentiellement cancérogènes des micro-ondes. C'est ce qu'ont déjà fait plusieurs pays comme la Suisse et l'Autriche, mettant ainsi en pratique, sans plus tergiverser, le principe de précaution qui doit prévaloir en matière de protection de la santé publique. »
Des centaines d’experts indépendants (icems.eu) demandent d'ailleurs l’application du principe de précaution en matière d’électrosmog. Ils estiment que les normes internationales d’exposition aux RF menacent la santé de millions de personnes. « Nous avons des preuves que l’exposition aux radiofréquences augmente les risques de cancer, endommage le système nerveux, cause l’électrosensibilité, nuit au système reproducteur et provoque divers autres effets dans différents organes », déclare Dr David Carpenter, médecin et ancien doyen fondateur de l’École de santé publique de l’Université d’Albany (New York).
Le site Web de la Coalition cite d'autres experts qui s'inquiètent des effets néfastes de cette nouvelle technologie : « L'installation de compteurs intelligents exposant contre leur gré des millions d'êtres humains à des rayonnements de micro-ondes pulsées doit immédiatement être interdite », affirme le dermatologue suédois Olle Johansson, expert en électrosensibilité au Département des neurosciences de l'Institut Karolinska.
Pour Magda Havas, professeure en études sur l'environnement et les ressources, à l'Université de Trent en Ontario, « nous créons une bombe à retardement potentielle. Si les compteurs intelligents sont placés sur chaque maison, ils contribueront de manière significative à accroître notre exposition, et c'est à la fois imprudent et dangereux. »
Selon le Comité permanent de la santé de la chambre des Communes : « Certaines études ont conclu que l’exposition au rayonnement électromagnétique de RF de faible intensité avait des effets néfastes sur la santé, et que la documentation scientifique comportait des lacunes en ce qui a trait à l’exposition des enfants, aux effets sur la fonction cérébrale et aux effets éventuels sur la capacité reproductrice. »
Le site de la Coalition offre divers conseils aux gens qui se demandent si un tel compteur a déjà été installé chez eux et s'il serait responsable de leurs récents problèmes de santé. On y invite d'ailleurs ces gens à en témoigner.
Selon un rapport de la firme 3E soumis en octobre dernier à la Régie de l'énergie du Québec, les compteurs intelligents Landis+Gyr émettent des ondes d’environ 900 mégahertz entre 1 440 et 2 880 fois par jour, plutôt que six fois par jour comme le prétend Hydro-Québec. La densité de puissance de ces ondes (6 712 μW/m2 mesurée à un mètre du compteur) excède de 671 % la limite recommandée en 2011 par l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe.
Il est possible de signer la pétition via le site cqlpe.ca jusqu’au 2 février 2012.
Pour en savoir davantage, lire
Compteurs intelligents : la goutte d'électrosmog qui fait déborder le vase