Nos villes éclairées la nuit n’ont pas comme seul impact de nous empêcher de voir les étoiles ou de nous faire gaspiller de l’énergie.
La pollution lumineuse est aussi un sérieux problème de santé publique : elle peut dérégler notre horloge biologique en perturbant la production de l’hormone du sommeil, la mélatonine. Produite surtout dans l’obscurité totale, celle-ci est un puissant anti-oxydant qui freine la croissance des tumeurs (lire l’encadré). À long terme, une carence chronique de mélatonine peut avoir des conséquences graves, et peut causer de l’insomnie chronique en plus d’accroître le risque de développer un cancer hormono-dépendant (sein, prostate, endomètre, colon, et certains lymphomes).
Depuis des milliers d’années, les mammifères ont évolué en s’adaptant aux cycles solaires quotidiens de lumière et d’obscurité alternantes qui règlent le rythme circadien, notre horloge biologique. « Il est important que notre journée soit ponctuée de ces phases de lumière et d’obscurité. C’est pourquoi il ne faut pas faire la sieste le jour dans une chambre sombre », expliquait Abraham Haim Ph.D., sommité israélienne en matière de chronobiologie, dans le cadre du congrès annuel de l’International Light Association qui s’est déroulé à Sainte-Adèle en octobre 2011.
Mélatonine 101
La lumière nocturne captée par le nerf visuel (même avec les paupières fermées) affecte le rythme circadien. Celui-ci contrôle des phénomènes biologiques qui se répètent environ aux 24 heures, comme l’appétit et le cycle veille-sommeil.
La mélatonine est libérée dans le sang après avoir été convertie à partir d’une autre hormone, la sérotonine, par notre glande pinéale (l’épiphyse) située au centre de notre cerveau. La production de la mélatonine est faible le jour et connaît un pic au milieu de la nuit (entre 2 et 4 heures) lorsque le corps est dans l’obscurité totale. Plus il fait clair, moins le corps en produit, son manque provoquant l’éveil.
« Des études ont montré une réduction du risque de cancer du sein chez les femmes aveugles, et des chercheurs ont observé un risque de cancer du sein moins élevé chez les employés de Kodak qui travaillaient 6 à 7 heures par jour dans l'obscurité », rapporte le site prevent.be
En plus d’induire le sommeil, la mélatonine stimule l’immunité et inhibe la croissance des cellules cancéreuses. D’autre part, elle module l’activité de l’hypothalamus, reconnue comme la glande endocrine maîtresse. L’hypothalamus contrôle le rythme circadien, la faim, la reproduction, la pression sanguine, la thermorégulation ainsi que la vigilance et d’autres fonctions de notre système nerveux.
La mélatonine est vitale pour les gens malades, en particulier ceux qui ont une fièvre : « Il faut des niveaux élevés de mélatonine pour réduire la température du corps », explique Abraham Haim. Dormir dans l’obscurité totale est encore plus essentiel pour la femme enceinte, selon lui, car « la mère est la seule source de mélatonine pour l’embryon ».
Les champs magnétiques générés par le courant électrique suppriment également la production de mélatonine. D’ailleurs, il y a « peu de doute » que ces champs causent la leucémie infantile, selon le Dr David Carpenter, ancien doyen fondateur de l’École de santé publique de l’Université de New York à Albany et co-auteur du fameux rapport sur les dangers des champs électromagnétiques (www.bioinitiative.org). Il est donc important de réduire notre exposition aux champs magnétiques, et particulièrement dans les chambres où nous passons le tiers de notre vie.
30 % des cancers du sein
Co-auteur de 120 études scientifiques, ce professeur de biologie est doyen de la faculté des Sciences à l’Université de Haifa, où il dirige le Israeli Center for Interdisciplinary Research in Chronobiology. Selon lui, l’exposition nocturne à la lumière est, après les défauts génétiques, le facteur le plus puissant dans la survenue du cancer du sein. Certains des chercheurs qui étudient la question depuis 15 ans estiment maintenant que jusqu'à 30 % des cancers du sein pourraient être attribuables à la perturbation du rythme circadien par la lumière nocturne.
Les études sont si convaincantes qu’en décembre 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), un organisme rattaché à l'Organisation mondiale de la santé, a classé comme « cancérogène probable » (classe 2A) la perturbation du rythme circadien par un « travail posté » (à horaire décalé) durant plus de 20 ans. La classe 2A comprend notamment les composés inorganiques de plomb ainsi que les BPC (biphényles polychlorés), selon la classification du CIRC.
Aujourd’hui, nos villes et nos maisons sont tellement éclairées la nuit que « nous sommes tous en train de devenir des travailleurs de nuit », déplore l’expert israélien. « Les cartes de pollution lumineuse créées grâce aux satellites nous indiquent quelles villes sont les plus illuminées. Or, on constate que ces mêmes villes sont celles où le taux de cancer du sein [en Israël] et de la prostate [au Canada et aux Etats-Unis] sont les plus élevés. »
Abraham Haim recommande donc de tamiser l’éclairage au lever du jour et surtout en soirée pour induire la somnolence. Il recommande aussi de dormir dans une chambre totalement obscure (vous ne devriez pas voir votre main devant votre visage), grâce notamment à des rideaux épais, à des volets ou à des stores opaques, voire au port d’un masque.
« L’exposition à la lumière nocturne recule l’horloge biologique de sept heures, précise-t-il. Cela stoppe la sécrétion de mélatonine, active le système nerveux sympathique et augmente la pression sanguine ainsi que la température corporelle qui atteignent respectivement leur maximum entre 18 h 30 et 19 h, moment de la journée où bien des records olympiques sont d’ailleurs fracassés. » Bref, la lumière nocturne nous réveille !
Afin d’éviter de retarder la sécrétion de la mélatonine qui débute normalement vers 21 h, le professeur Haim recommande de cesser de s’exposer à la lumière blanche intense après 19 h. Les gens qui travaillent régulièrement à l’ordinateur après 17 h auraient aussi tout intérêt à réduire l’intensité de leur écran et à se procurer des lunettes bloquant les ondes bleues (www.blublocker.com).
Toutefois, l’expert en chronobiologie précise qu’il ne faut pas se préoccuper uniquement de l’intensité de l’éclairage. « La longueur d’onde ainsi que le moment et la durée de l’exposition sont aussi critiques. Le pire, c’est au milieu de la nuit, alors que la sécrétion de mélatonine est à son maximum. »
Dans le cadre d’une des études qu’il a cosignées, la croissance de cellules cancéreuses chez des souris fut accélérée, après sept heures d’obscurité, par seulement 30 minutes d’exposition à une lumière blanche intense et froide. Ce type de lumière a une longueur d’onde bleutée dominante de 460 nanomètres, et son intensité (450 lux) équivaut à celle d’un appartement très bien éclairé. « Si on y est exposé seulement une nuit par mois, ce n’est pas un problème, explique Abraham Haim. Mais si ça se produit chaque nuit pendant des années, c’est un problème. »
Pas de fluos ni de DEL blanc bleuté dans la chambre
La plupart des ampoules dites écologiques, car elles économisent l’énergie, produisent de telles onde courtes (460 nm ou moins), ajoute l’expert. C’est le cas des types d’ampoules utilisées notamment dans les écrans plats d’ordinateur et de téléviseur : les fluocompactes et les diodes électroluminescentes (DEL) de couleur blanche ou bleue. « Les compagnies d’électricité et les fabricants d’ampoules se fichent de la chronobiologie, dénonce Abraham Haim. Il ne faut pas encourager les gens à utiliser ces lampes à ondes courtes. » Et pas seulement la nuit : le jour, les fluocompactes et les DEL à l’éclairage blanc-bleu favorisent la croissance des tumeursdéjà présentes, contrairement à la lumière rouge des lampes à incandescence, selon l’ancien président de l’International Light Association, le médecin allemand Alexander Wunsch. Selon lui, les longues ondes rouges et infrarouges des lampes à incandescence ont le potentiel de réparer les dommages cellulaires oxydatifs causés par la lumière bleue et violette du soleil : « Sur le plan physiologique, écrit-il, il est fortement recommandé d'utiliser des sources lumineuses à incandescence plutôt que fluocompactes afin d'éviter des inadaptations et des dysfonctionnements hormonaux indésirables », écrit-il sur le site européen de l'Association.
En 2010, l’industrie de l’éclairage, par le biais de l’Alliance for Solid-State Illumination and Technologies, a publié les résultats d’une étude en laboratoire réalisée par le Rensselaer Polytechnic Institute. Cette étude concluait que l’éclairage de rue alimenté aux DEL blanches et froides est sécuritaire car il ne réduisait la production de mélatonine que de 3 à 10 %, soit en deçà du seuil de 15 % jugé problématique. Le hic, c’est qu’elle portait sur les réactions d’un jeune homme de 20 ans qui avait été exposé à un tel éclairage durant seulement une heure.
Or, Abraham Haim confirme ce qu’affirme le Dr Wunsch : la lumière jaune-orange-rouge émise par les lampes à incandescence — dont les halogènes — et certaines ampoules DEL est la plus saine. Leur longueur d’onde est d’au moins 560 nm et ressemble à la couleur du feu et du soleil. « La lumière bleue augmente davantage le volume des tumeurs que la lumière rouge », affirme le chercheur israélien.
En septembre 2011, le professeur Haim a cosigné la première étude1 visant à démontrer que les les lampes à hydrures métalliques utilisées notamment dans les stades sportifs et les DEL blanches (de 440 à 500 nm) affectent la production de la mélatonine par l’organisme. Selon cette étude, l’urine des gens exposés à ces ampoules contient 5,4 fois moins de mélatonine que celle des gens qui sont exposés à une lampe au sodium haute pression (lumière jaune-orange de certains lampadaires). Comparativement, l’urine des gens exposés à des ampoules à incandescence contient 2,5 fois moins de mélatonine que celle des gens qui sont exposés aux lampes au sodium.
« D’ailleurs, les enfants qui jouent au hockey le soir ont de la difficulté à s’endormir à cause de la lumière bleue intense des arénas », explique le spécialiste albertain de l’entraînement audio-visuel, Dave Siever (texte ci-dessous).
Abraham Haim déplore, par ailleurs, que nos poules soient exposées à un éclairage intense 18 heures par jour afin de stimuler la ponte, et que nos bœufs doivent endurer un éclairage la nuit pour augmenter leur masse corporelle. « Mais à quel prix ? », demande-t-il.
Le chercheur estime donc que les fabricants de produits d’éclairage devraient être obligés de divulguer la longueur d’onde dominante émise par leurs ampoules. Ainsi, les consommateurs pourraient faire des choix… éclairés !
1. Limiting the impact of light pollution on human health, environment and stellar visibility. Reportage sur cette etude : Exposure to “White” Light LEDs Appears to Suppress Body's Production of Melatonin More Than Certain Other Lights.