À la surprise générale, des chercheurs de la Floride viennent de découvrir que le bois traité à l'arséniate de cuivre chromaté (ACC) devient plus toxique en vieillissant.
L'application annuelle ou bisannuelle de scellants à base d'huile a beau réduire en moyenne de 90 % le lessivage de l'ACC, le problème demeure entier : faut-il le classer comme déchet dangereux, comme l'a fait l'Europe, ce qui augmentera les coûts de la mise aux rebuts et encouragera les dépôts sauvages illégaux? Paradis des termites et des moisissures, la Floride est le principal marché occidental pour ce très populaire bois verdâtre. D'ici 2020, dans cet État, on jettera 30 000 tonnes d'arsenic (l'équivalent d'une pile de granules faisant 63 pieds de haut et de la taille d'un terrain de football) utilisé dans du bois en fin de vie utile. La Mecque de l'ACC, la ville de Gainesville, accueille l'Université de la Floride où l'on teste cet insecticide, fongicide et algicide depuis les années 30. L'année dernière, on y découvrait des sols hautement contaminés sous des équipements de terrains de jeux.
Les enfants, dont le corps élimine moins bien l'arsenic que celui des adultes, courent des risques indus de cancer, par exemple en respirant ou en ingérant du sable contaminé, ont conclu les experts. Cet hiver, les États-Unis et le Canada ont convaincu l'industrie de volontairement abandoner, d'ici 2004, l'usage de l'ACC dans le traitement du bois résidentiel au profit de nouveaux produits à base de cuivre, tout de même toxique pour la vie aquatique.
On savait déjà hautement toxiques la sciure et surtout la fumée et la cendre de bois traité brûlé ; le contact répété entre ce bois avec les aliments, l'eau potable et la peau sont aussi déconseillés par Santé Canada depuis 1990, mais les consommateurs n'ont jamais été bien informés de cela en magasin. « Le bois traité n'est pas classé comme déchet dangereux parce que jusqu'ici, l'industrie disait qu'elle n'utilisait que de l'arsenic V (pentavalent ou arséniate, moins toxique mais tout de même cancérigène), et nous avons toujours présumé que le nouveau bois lessivait davantage que le vieux, » nous a expliqué en entrevue téléphonique M. Bill Hinkley, directeur du département de la Protection de l'environnement de la Floride. « Des niveaux élevés d'ACC sont lessivés dans les six premiers mois et ils se stabilisent à un niveau inférieur pendant quatre à cinq ans », a précisé à La Presse Tony Ung, chercheur en produits forestiers à l'Université de Toronto.
Mais le Dr Tim Townsend, professeur de génie environnemental à l'Université de la Floride à Gainseville, vient de tester le bois exposé aux éléments depuis au moins dix ans. Il présentait ses résultats lundi un comité floridien dont fait partie Bill Hinkley, qui explique : « Il a découvert que le vieux bois émet des taux bien plus élevés d'arsenic III (trivalent ou arsénite, hautement toxique) que d'As V, bien au-delà de la limite pour les déchets non dangereux. En vieillissant, la lignine du bois se décompose et relâche les produits chimiques. » Le Dr Townsend n'a retrouvé que de l'As V dans le nouveau bois et il ignore comment il se transforme en As III. Il a aussi découvert que lorsque utilisé dans des conditions alcalines (pH de plus de 8), par exemple en contact avec le béton, le bois traité émet de grandes quantités du très toxique chrome hexavalent, rendu célèbre par le film Erin Brockovich.
Les avocats Simien & Simien, de Baton Rouge, qui ont poursuivi les fabricants de tabac pour l'État du Texas, ont intenté un recours collectif de 4 milliards de dollars contre l'industrie du bois traité l'année dernière. L'État de la Californie poursuit même une trentaine de fabricants de tables de pique-nique et d'équipements de jeu traités à l'ACC. En 1987, un Américain handicapé a reçu 767 000 $ en dommages et intérêts : le fabricant Koppers Inc. savait depuis 1968 que des travailleurs étaient tombés malades après avoir respiré de la sciure de bois traité. Aucune telle poursuite n'a été intentée au Canada, selon Paul McKeogh de l'Institut canadien du bois traité, dont les membres ont promis avant Noël d'informer les consommateurs des précautions à prendre en manipulant leurs produits.
Pas encore au courant de l'étude du Dr Townsend, M. McKeogh a souligné qu'aux États-Unis, « avec le grand nombre de traiteurs, l'application des réglements n'est peut-être pas aussi rigide qu'ici, où Environnement Canada s'assure que nos gens font un bon travail. »
Pour le toxicologue Jacques Normandeau, expert en arsenic à la Direction de la santé publique des Laurentides, l'expostion à l'arsenic III et au chrome hexavalent posent un « gros problème… Le bois traité à l'ACC ne contribue pas à l'amélioration de la santé publique. On le bannierait et je ne braillerait pas là-dessus. »
Pour en savoir davantage
Treated wood poses long-term threat
Environmental impacts of preservative-treated wood
Impact of chromated copper arsenate (CCA) in wood mulch
Leaching and toxicity of CCA products