Nos rivières agricoles contiennent près de 50 pesticides différents, selon une récente enquête du Journal de Montréal, soit quasiment autant que le rapporte l’organisme américain Beyond Pesticides. On en retrouve donc certaines quantités dans les eaux souterraines et de surface que nous buvons, mais les gouvernements ne financent pas d’études sur leurs effets sur la santé publique.
« Il y a une très grande réticence à tout projet pouvant contribuer à documenter les enjeux de santé, déplore la sociologue Louise Vandelac, professeure titulaire à l'Institut des sciences de l'environnement de l'UQAM. Actuellement, le Réseau québécois de recherche pour une agriculture durable qui regroupe plus de 200 chercheurs-es n'a aucun mandat pour étudier les questions de santé. Certes, les études épidémiologiques sont coûteuses, complexes et exigent de très grandes cohortes, mais nous ne disposons pas non plus de bases minimales de cartographie des pesticides, comme c'est le cas notamment, en France (avec les types, les quantités et les effets santé (génotoxique, cancérigène, neurotoxiques, perturbateurs endocriniens etc.) et aux États Unis (évolution sur plusieurs décennies des principaux pesticides en relation avec les types de cultures), ce qui permet à tout le moins, d'amorcer un travail de géographie de la santé. »
L'eau potable est aussi contaminée par les composés perfluorés (PFAS), des contaminants dits éternels présents dans la presque totalité des villes québécoises et affichant des concentrations préoccupantes dans la nappe phréatique qui approvisionne notamment la municipalité de Saint-Donat, dans Lanaudière, selon une étude de Benoit Barbeau, chercheur de Polytechnique Montréal.
Les pesticides dans l’eau proviennent majoritairement des énormes applications agricoles, mais il ne faut pas oublier le lessivage des produits appliqués sur les pelouses et jardins. Quant aux PFAS, ils viennent des produits antiadhésifs, antitaches, imperméabilisants et d’extinction à base de fluor. (L'utilisation des pesticides sur votre terrain et dans votre maison est évidemment plus risquée, cette dernière étant notamment liée aux maladies rénales chroniques, selon Beyond Pesticides.)
Il est normal que les citoyens veuillent mesurer et filtrer ces contaminants potentiellement cancérogènes et autres polluants dans leur eau potable. Ils sont peu rassurées par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) qui affirme au sujet des PFAS, par exemple : « Pour l’instant, il demeure difficile de lier ces expositions à des effets précis sur la santé. » Le problème, c’est que les gouvernements ne financent pas d’études de leurs effets sur la santé publique.
Du reste, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) affirme que l'alimentation est généralement la principale source d'exposition aux pesticides. Alors, devrait-on manger bio? « Non, les pesticides ne rendent pas les fruits et légumes mauvais pour la santé », répondait le titre d’un article de la journaliste Valérie Borde, publié le 14 juin sur le site du magazine L’actualité.
Les bienfaits de manger des fruites et légumes annulés par les résidus de pesticides
Elle répliquait à une étude majeure signée en janvier par des chercheurs de l’Université Harvard qui concluaient que « l'exposition aux résidus de pesticides par le biais de l'alimentation peut compenser l'effet bénéfique de l'apport en fruits et légumes sur la mortalité ». L’étude n’était pas banale puisqu’elle portait sur 146 000 personnes suivies pendant 20 ans. Les chercheurs ont calculé que « les participants ayant consommé au moins quatre portions quotidiennes de fruits et légumes à faible teneur en pesticides présentaient un risque de mortalité inférieur de 36 % par rapport aux participants en ayant consommé moins d’une portion par jour ».
Mais selon Valérie Borde, qui critique leur méthodologie, « leurs conclusions ressemblent bien plus à un plaidoyer contre les pesticides qu’à une analyse rigoureuse et objective ». Elle rappelait que de nombreuses études ont « conclu à un lien direct entre le nombre de fruits et légumes consommés et une diminution du risque de cancers, de maladies cardiovasculaires et de mortalité de toutes causes ». Et que selon des chercheurs français, les études sur les résidus de pesticides absorbés par l’alimentation ne permettent pas de conclure à un risque accru de maladies, comme l’affirment aussi Santé Canada et l’OMS.
Les risques sont toutefois réels, selon la présidente de la Société française de nutrition, citée dans le magazine français Science&Vie de novembre 2021 : « Des effets métaboliques sont observés in vitro et in vivo, même à de très faibles doses, du fait de l’altération progressive et chronique de voies métaboliques au niveau de tissus clés comme le foie, le cerveau, le pancréas ou l’intestin », rapportait la chercheuse Béatrice Morio-Liondore. L’article concluait que « l’effet cocktail » des combinaisons de résidus de divers pesticides est difficile à étudier. En attendant, il recommandait de privilégier les aliments bio tout en évitant ceux qui sont ultratransformés, trop riches en sucre, en sel ou en gras.
Valérie Borde souligne pour sa part que les effets sanitaires sont probablement minimes, en citant un toxicologue de l’Institut national de santé publique du Québec, Mathieu Valcke. Dans une étude parue en 2017, il estimait « que pour 100 cancers prévenus par la consommation de fruits et légumes, un seul pouvait théoriquement être provoqué par les résidus de pesticides sur ces aliments ». Mathieu Valcke lui a expliqué que les autorités de santé publique ne peuvent pas conseiller aux gens d’opter pour des aliments bios parce qu’ils sont hors de prix pour une grande partie de la population. Valérie Borde ajoutait à juste titre qu’un simple rinçage à l’eau élimine la majeure partie des résidus de pesticides.
Une chose est certaine, manger bio, c’est bon pour votre santé et celle des agriculteurs, des animaux et des voisins des fermes certifiées comme n’utilisant pas de pesticides de synthèse.
Si vous avez les moyens de consacrer une partie de votre budget aux aliments bios, aussi bien choisir les fruits et légumes qui, lorsqu’issus de l’agriculture classique, contiennent le plus de résidus de pesticides. Lire cette liste sur le site de l'organisme américain Environmental Working Group qui enquête sur le sujet chaque année : ewg.org/foodnews.
Commentaires de la collègue de Louise Vandelac, la biologiste Lise Parent, responsable du programme de certificat de premier cycle en sciences de l’environnement de la TÉLUQ et chercheuse régulière au Centre de recherche interdisciplinaire sur le bien-être, la santé, la société et l'environnement (CINBIOSE) de l'UQAM: « Attention pour la liste des fruits et légumes d’EWG. Je l’utilise aussi, mais il se peut que ce ne soit pas exactement la même situation au Canada. Cependant, pour ce qui est des petits fruits, en général dû à leur rapport surface/volume, ils contiennent habituellement plus de pesticides… Ça me choque tellement quand on lit des articles comme celui de Mme Borde, que je respecte par ailleurs, qui mettent en opposition la contamination des fruits et légumes et leurs bienfaits pour la santé. Mieux vaut adopter le principe de précaution et favoriser la consommation de fruits et légumes les moins contaminés, ou quand c’est possible, l’achat de ceux qui sont bios. On fait la même chose par rapport à la consommation des poissons », en évitant les plus contaminés comme le thon jaune et le saumon atlantique d'élevage.