Pascal Gélinas

Pascal Gélinas est un ancien réalisteur de l'émission Découverte de Radio-Canada. Il répond ici à la critique du chroniqueur scientifique du quotidien Le Soleil, Jean-François Cliche, à sa lettre ouverte sur la 5G adressée à Valérie Plante.

Bonjour Monsieur Cliche,

Vous avez procédé à une vérification des faits concernant notre lettre ouverte à Valérie Plante : Agir en bonne « maire » de famille, publiée le 26 octobre dernier. Et vous rendez un verdict implacable : ce texte est partiel, partial et très exagéré! Alors, tentons de suivre votre raisonnement.

LES FAITS

Rappelons d’abord quel est le but de cette lettre : concernant cette nouvelle technologie 5G qu’elle veut incruster dans les moindres recoins de la ville sans consultations ni études d’impacts indépendantes, il était demandé à Valérie Plante d’appliquer le principe de précaution et de favoriser la technologie filaire, qui est la plus rapide, la plus économique et la plus sécuritaire. Où est l’angle mort? 

Parlant des radiofréquences, vous écrivez : Malgré des masses et des masses d’études sur la question, on n’a toujours pas trouvé de signe probant qui indiquerait de manière minimalement solide l’existence d’un danger. Vous avez sans doute oublié qu’il y a 10 ans l’OMS a classé ce type de rayonnement dans le Groupe 2B, « peut-être cancérogène pour l’homme, sur la base d’un risque accru de gliome, un type de cancer malin du cerveau, associé à l’utilisation du téléphone sans fil ». Au terme de cette nouvelle décennie de recherches, la classification des radiofréquences devrait prochainement être révisée à la catégorie du Groupe 2A « probablement cancérogène pour l’homme », voire au Groupe 1 « cancérogène avéré pour l’homme », tel que le recommande un conseiller de l’OMS, le Dr Anthony B. Miller, professeur émérite de médecine à l’Université de Toronto, qui a dirigé pendant 15 ans l’unité d’épidémiologie de l’Institut national du cancer, et qui, soit dit en passant, est l’un des cinq cosignataires de notre lettre.

PREUVE D’ASSSURANCE

Évoquant le lien cancer-cellulaire, vous écrivez que notre lettre ouverte à Valérie Plante exagère fortement la solidité de la preuve scientifique. Vous évitez de mentionner à vos lecteurs que depuis 10 ans, les compagnies d’assurance refusent catégoriquement d’assurer tout dommage relié aux tours cellulaires et aux appareils de communication sans fil, leur attribuant la classe de risque la plus élevée! Vous écrivez plutôt à vos lecteurs : En réalité, on n’a présentement aucune raison de croire que ce danger existe. En fait, on croule sous les études qui nous avertissent du danger. Les assureurs l’ont bien compris. Alors comment expliquez-vous, M. Cliche, que ce qui est beaucoup trop dangereux pour être assurable soit inoffensif pour l’Institut national de la santé publique du Québec ou son équivalent de Colombie-Britannique, ou encore Santé Canada? 

LE CREDO DE L’INDUSTRIE

Simplement parce que Santé Canada (qui proposait récemment d’augmenter le taux de glyphosate résiduel dans nos aliments) continue de défendre l’idée désuète que le seul danger de tout rayonnement non ionisant est l’effet thermique, l’échauffement des tissus, un critère établi arbitrairement au début des années 1950 et promu depuis 1992 par la Commission internationale de protection contre les rayonnements non ionisants, l’ICNIRP. Par son adhésion à ce dogme si cher à l’industrie de la téléphonie sans fil, l’ICNIRP est en contradiction avec la très grande majorité des études actuelles. Même la Cour d’appel de Turin a confirmé en janvier 2020 que le neurinome acoustique d’un travailleur avait bien été causé par l’utilisation de son téléphone portable, tout en prenant soin de préciser que les scientifiques financés par l’industrie de la téléphonie, ou les membres de l’ICNIRP, sont moins fiables que les scientifiques indépendants. Vérification faite, la plupart des 14 membres de l’ICNIRP ont des liens avec l’industrie, ce qui les place en conflit d’intérêts, comme le révèle le rapport soumis en juin 2020 au Parlement européen par les députés Klaus Buchner et Michèle Rivasi.

L’ARROSEUR ARROSÉ

C’est précisément pour trancher cette question cruciale de l’effet de l’exposition aux ondes de la téléphonie mobile que le centre de recherche américain en toxicologie, le National Toxicology Program (NTP), a entrepris les études les plus complètes jamais réalisées sur des rats et des souris. Publiés le 1er novembre 2018, ces résultats ont non seulement révélé que le rayonnement des téléphones portables augmentait les tumeurs dans le cœur et le cerveau, mais induisait également des lésions cardiaques (cardiomyopathie du ventricule droit chez les rats mâles et femelles) et des dommages à l’ADN dans les cellules cérébrales des rats et des souris.

Vous discréditez cavalièrement ces résultats en écrivant ceci : Cette étude n’a trouvé qu’un petit surplus d’une forme rare de tumeur au cœur chez les rats mâles, mais pas chez les femelles, et rien chez les souris. Ça n’est pas exactement ce que j’appellerais un « lien clair ». Que vous le vouliez ou non, l’étude du NTP (révisée par des pairs) a prouvé hors de tout doute que les RF sous le seuil thermique (non ionisants) peuvent causer le cancer et des bris d’ADN chez les rongeurs. C’est ce qu’ont toujours nié les 14 membres de l’ICNIRP, tout comme le font nos agences de santé. Et à qui faites-vous appel pour invalider l’étude du NTP? Précisément à l’arroseur arrosé, à ces membres de la Commission de l’ICNIRP, que vous prenez soin de présenter comme un groupe de réviseurs indépendants. Pourquoi tromper ainsi vos lecteurs?

Ajoutons que la différence de réponse entre les rats mâles et femelles se produit fréquemment dans les études expérimentales de toxicité et de cancérogénicité, tout comme elle existe dans les taux de cancer chez les humains. Or en science, vous le savez, ce qui est fondamental, c’est la réplication des résultats. Quelques mois plus tard, le réputé Institut Ramazzini, de Bologne en Italie, a publié une étude à long terme sur les effets des rayonnements RF (simulant l’exposition au rayonnement d’antennes cellulaires) sur près de 500 rats. Tout comme l’étude du NTP, cette étude a clairement démontré que l’exposition chronique aux radiofréquences cause chez les rats les mêmes types de tumeurs que l’on constate chez les humains qui utilisent le cellulaire contre l’oreille 30 minutes par jour pendant au moins dix ans, ou qui habitent à moins de 500 m d’une antenne. En somme, cette étude confirme la corrélation entre l’émission de radiofréquences et l’apparition des tumeurs de l’oreille ainsi que des tumeurs multiformes du cerveau.

ERREUR STATISTIQUE

Encore une fois vous n’êtes pas d’accord et vous brandissez un argument irréfutable : cette étude est une « erreur statistique » (statistical fallacy). Ici, votre lien ne mène ni à la critique de l’étude ni à la réponse des chercheurs italiens. Cherchez l’erreur! L’éditeur André Fauteux, cosignataire de notre lettre, a donc dû faire venir la réponse de l’Institut Ramazzini, pour constater que cette critique soulevait des points de procédures et d’analyse non pertinents, ne remettant pas en cause les conclusions de l’étude. Disons que dans cette épreuve des faits, vous partez avec deux prises contre vous!

VERDICT

Vous citez un avis de l’Union européenne datant de janvier 2015 n’ayant trouvé aucun signe probant d’un danger après avoir examiné l’ensemble de la littérature sur le sujet. C’était il y a six ans, bien avant les études du NTP et de l’Institut Ramazzini. Cet été, le Parlement européen a publié un rapport de recherche intitulé “Health Impact of 5G. Voyons ses conclusions : 1) les fréquences de RFR couramment utilisées (450 à 6000 MHz) sont probablement cancérogènes pour l’homme, notamment en raison de preuves solides d’accroissement de gliomes et de neurinomes acoustiques. Ces fréquences nuisent clairement à la fertilité masculine et possiblement à la fertilité féminine. Elles peuvent possiblement avoir des effets indésirables sur le développement des embryons, des foetus et des nouveau-nés; 2) concernant les futures fréquences millimétriques de la 5G (24 à 100 GHz), aucune étude adéquate n’a été réalisée sur les effets non thermiques de ces fréquences plus élevées.

Trouvez-vous ces conclusions partielles, partiales et très exagérées? Pour compléter votre vérification des faits, je vous suggère aussi de revoir l’enquête rigoureuse présentée le 12 novembre 2020 par la télévision publique de France 2, intitulée 5G l’onde d’un doute

Souhaitons qu’à l’avenir la rubrique « Vérification faite » prenne le temps de fouiller les faits en profondeur, afin de nous donner l’heure juste. Car personne n’aime les fausses nouvelles.

Pascal Gélinas