Un avis publié en juin 2021 par l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) conclut que l'anxiété et non la pollution expliquerait « l’ensemble des symptômes du syndrome » de sensibilité chimique multiple (SCM). À notre demande, Louise Vandelac, Professeure titulaire à l’Institut des sciences de l’environnement et au département de sociologie de l’UQAM, a accepté d’en discuter. AF
Louise Vandelac souligne d’abord que pour analyser à fond de ce dossier, il faudrait prendre connaissance des très nombreuses études sur lesquelles les auteurs disent s'être penchés. « À première vue, cependant, ils semblent reprendre à leur compte les biais si souvent observés dans certains milieux médicaux, faisant des conséquences des SCM, notamment psychologiques, les causes mêmes de ces SCM, culpabilisant alors davantage les victimes. Quand les personnes atteintes de SCM, au Québec, doivent faire en moyenne une trentaine de visites médicales avant d’avoir un diagnostic, et doivent souvent se rendre en Ontario pour en obtenir un, on peut comprendre leur anxiété, voire leur exaspération et leur détresse psychologique...
J'ai donc une certaine méfiance face à ce qui me semble être un gênant biais, alors même que de toutes nouvelles études mettent en évidence, pour la première fois, les mécanismes d'action de 176 polluants chimiques hormonaux répertoriés par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), auxquels a été ajouté le glyphosate (Roundup) pour ses propriétés similaires. Ces mécanismes viennent d'être qualifiés de perturbateurs endocriniens et nerveux ou ENDS en anglais (endocrine and nervous disruptors), annonçant une percée majeure dans le domaine (G-É.Séralini et G. Jungers, Toxicology Reports, (2021) 1-26).
Autrement dit, les recherches sur les facteurs environnementaux des SCM ne méritent pas d'être marginalisées, voire stoppées, par des études qui disqualifient d'emblée l’expérience vécue des hypersensibles, en risquant alors de limiter les recherches sur les mécanismes complexes des contaminants qui y contribuent. Ce sujet complexe exige d’adopter des perspectives interdisciplinaires larges, ouvertes, rigoureuses et critiques prenant en compte les interactions des divers éléments du dossier. »
Louis Vandelac ajoute qu’elle serait curieuse de connaître l’historique de l’intérêt de l’INSPQ pour ce dossier, alors que d’autres, présentant des risques environnementaux fort préoccupants, sont étonnamment négligés par cet institut gouvernemental. « Ainsi, dans le cas du glyphosate et des herbicides à base de glyphosate [dont le Roundup], premiers pesticides en importance dans le monde, mais aussi au Canada et au Québec où ils constituent environ la moitié de tous les pesticides utilisés, l'INSPQ, coresponsable de l'outil d'aide à la décision du Québec SAgE pesticides, continue de prétendre qu'ils ne posent pas de réels problèmes pour la santé. Doit-on alors croire que ces chercheurs ignorent que les herbicides à base de glyphosate sont considérés comme génotoxiques et cancérigènes probables par le Centre international de recherches sur le Cancer de l'OMS, en 2015? Ou qu'ils sont liés, dans la littérature scientifique, aux hémopathies malignes et aux lymphomes non hodgkiniens, considérés en France comme maladies professionnelles? Ignorent-ils que Bayer/Monsanto a signé un règlement hors cour de 10,9 milliards $ US pour tenter de mettre fin à environ 100 000 des 125 000 procès entamés par des victimes de ce type de cancer aux États-Unis et qu’il vient de cesser la vente du Roundup destiné aux particuliers aux États-Unis… mais pas au Canada ?
Il est vrai que l'INSPQ n'a même pas encore daigné mettre à jour les références de SAgE pesticides sur le sujet, si bien qu'elles datent de plus de 15 ans. Ces références sont pour l'essentiel celles de l'Agence règlementaire de la lutte antiparasitaires de Santé Canada, et celles de l'EPA aux Étas-Unis, qui se basent très largement sur celles de l'industrie. Les Monsanto Papers, ces 2,5 millions de pages de documents internes déclassifiés lors des premiers procès, ont dévoilé les manœuvres de la firme pour taire la toxicité de son produit. Pourquoi alors donner cette fausse assurance au public en prétendant que ces herbicides ne posent pas de réels problèmes?
Comme le dit le proverbe, il n'y a rien de plus difficile que de trouver un chat noir dans une pièce noire... surtout si on ne cherche pas. Mais quand il s'agit de tels enjeux de santé, la question de la responsabilité des instances publiques mérite d'être sérieusement posée. »
Pour saisir l’ampleur de ces questions, lire l'article du professeur Vandelac, « Quand des pesticides empoisonnent la recherche, la réglementation et la démocratie: l’Affaire Roundup à la lumière des Monsanto Papers », publié dans VertigO, la revue en sciences de l’environnement (Vol 21, no1. Débats et perspectives), ou encore Vandelac, L., Sarrazin M,. Bacon M-H. et L. Parent, « Herbicides à base de glyphosate et enjeux de droits pour la santé, le travail et les dispositifs d’évaluation publique. Éclairages croisés France, États-Unis et Québec », prévu en novembre 2021 dans la revue de droit Communitas.