À Montréal, la moyenne d’ensoleillement pour une surface horizontale est 29 % de plus qu’à Berlin, pourtant capitale du pays numéro un en énergie solaire photovoltaïque. C'est ce que nous apprend Le potentiel des énergies solaires au Québec, rapport signé par Diane Bastien et Andreas Athienitis, experts en énergie solaire à l'Université Concordia, et publié par Greenpeace en septembre 2011. Pourtant, le gouvernement du Québec n'a jamais donné suite aux recommandations secrètes que lui a formulées l'équipe-conseil en énergies vertes, présidée par Steven Guilbeault d'Équiterre et constituée par le gouvernement Libéral en août 2009. Guide au Centre canadien d'architecture et membre de l'Ordre des ingénieurs et des architectes du Liban, Lama Sfeir a voulu savoir ce qu'il faudrait faire pour favoriser l'aménagement de quartiers résidentiels solaires au Québec. Voici la synthèse d'une enquête qu'elle a réalisé en 2011. - AF
La société québécoise a une culture unique issue du mariage des valeurs européennes et du sens de l’initiative américain. Ce n’est certainement pas le retrait du Canada du protocole de Kyoto qui empêchera les entrepreneurs québécois de continuer à faire partie des pionniers de la lutte contre les changements climatiques. Par conséquent, aucune hégémonie n’éclipsera le grand soleil du Québec qui est libre d’utiliser cette source d’énergie abondante indépendamment de tout facteur externe.
Alors quels sont les obstacles et les moyens à privilégier pour favoriser l'aménagement de quartiers résidentiels utilisant l’énergie solaire au Québec ? Ce n'est certainement pas le manque de soleil.
La générosité de l’ensoleillement
Depuis mon arrivée au Québec, la Méditerranéenne que je suis est agréablement surprise de l'abondance de l'ensoleillement, même en hiver. Ceci comparativement aux Pays-Bas et à la Belgique où j'ai séjourné et où il y est rare de voir le ciel dégagé! Pourtant, avec « seulement 20 jours d’ensoleillement par an », tel que mes amis néerlandais le clamaient, l’éco-quartier Eva-Lanxmeer aux Pays-Bas a rajouté à ses 240 maisons passives des habitations récentes toutes coiffées de panneaux solaires. Une partie de ces maisons est même littéralement construite dans des serres. Au fur et à mesure de la construction, le solaire en tant que source d'énergie a pris une importance croissante, devenant systématique. Et l’empreinte écologique a été presque réduite de moitié, à 104 kW/h/m², par rapport à la demande domestique néerlandaise moyenne, de 185 kW/h/m².
Selon l'étude Les nouvelles filières d'énergie renouvelable, réalisée en 1997 par le consultant québécois Philippe Dunsky, président du Centre Hélios sur les énergies renouvelables, « le climat froid du Québec augmente la productivité du solaire-photovoltaïque (PV) car la puissance maximale produite par une cellule PV diminue avec l’augmentation de la température. Ainsi contrairement aux perceptions, la chaleur n’est donc pas nécessairement indicative du potentiel solaire d’une région. En effet, alors que la chaleur moyenne (mesurée en degrés-jours) est particulièrement faible au Québec, la lumière, le rayonnement solaire global (RSG), la vraie mesure du potentiel d’énergie solaire- photovoltaïque, y est relativement élevé même en dépit de températures relativement froides ».
La moyenne quotidienne d’ensoleillement au Québec se trouve autour de 12 heures, 10 minutes et le flux solaire maximal y est de 670 watts par mètre carré de surface par jour. Ceci fait que le potentiel d’énergie solaire-PV du Québec est plus élevé que celui d’un nombre important de villes de pays industrialisés, dont la majorité a toutefois des climats beaucoup moins froids que le nôtre. Ainsi, selon Philippe Dunsky, à Saint-Hubert le potentiel d’énergie solaire-PV est de 8 % supérieur à celui de Manaus au Brésil et surtout, près de 50 % supérieur à celui de Hambourg en Allemagne !
Le PV représente probablement l’option la plus intéressante à long terme, pour ce qui est du potentiel économique et technique du solaire au Québec, et ce en raison du rayonnement solaire global. Des progrès techniques sont réalisés, des sommes sont allouées pour la recherche, le développement, la commercialisation et des projets majeurs se multiplient.
Que nous soyons de simples consommateurs, des architectes, des entrepreneurs ou des décideurs politiques, nous sommes tous responsables et capables de gestes politiques concernant l’implantation du solaire dans les quartiers résidentiels. L’utilisation de l'énergie solaire redonne confiance aux citoyens en leur propre indépendance et leur action contre les émissions de gaz à effet de serre (GES). Quant aux entrepreneurs, cela rafraîchirait et rajeunirait leur clientèle, tandis que pour les décideurs politiques cela hausserait leur cote de popularité et leur ferait gagner des voix aux élections.
Alors pour une province aussi de riche de ses valeurs, avons-nous peur de nous aventurer à être les pionniers de la lutte contre le changement climatique ou attendons-nous que le terrain nous soit balisé ? À ce sujet, la réponse que nous avons reçue de l’Union des municipalités du Québec n’est pas proactive : « Nous n’avons pas encore pris position sur l’utilisation du solaire passif, actif et photovoltaïque au Québec », nous a expliqué Marieke Cloutier, conseillère aux politiques en environnement.
Pourtant, le Québec accumule de plus en plus d’expérience entrepreneuriale dans la construction d’habitations solaires ; nous avons consulté trois entrepreneurs proactifs dans les habitations écologiques saines et voici leurs avis sur la question. La Maison Productive House (MPH) constitue l'un des rares immeubles résidentiels Nord-Américains à avoir décroché la prestigieuse certification LEED Platine. Pour son promoteur Rune Kongshaug, « il faut de la volonté politique avant tout. Or pour le moment, les appuis publics sont minimes et trop difficiles à obtenir. La volonté politique est toujours derrière le développement de sources d'énergies non-renouvelables comme les sables bitumineux d'Alberta. » Rune Kongshaug ajoute qu’en l’absence d'élus prêts à prévoir et à protéger notre avenir, c’est la responsabilité des entrepreneurs d'essayer de définir, placer les ressources et développer les marchés futurs, ce qu'il considère comme « un geste politique ».
D’après Robert Deschamps, qui dirige les Constructions Sodero, constructeur du triplex Abondance Montréal - Le Soleil, l'un des douze projets de démonstration retenus dans le cadre de l'initiative fédérale des Maisons EQuilibrium, « la majorité des architectes et urbanistes sont déjà sensibilisés au développement durable et sont techniquement informés du virage à entreprendre. Pour le promoteur de cet immeuble à consommation nette zéro d'énergie, Christopher Sweetnam Holmes, les problèmes d’intégration techniques du solaire dans les habitations ne constitue plus un obstacle car les architectes sont toujours adhérents sachant que la demande est en hausse.
Tsunami vert en vue
Considérant la question socioculturelle comme étant peut-être la plus importante, le studio de design Produktif cherche par exemple à innover dans les systèmes de contrôle permettant de mesurer et comparer la performance d’un immeuble. Rune Kongshaug explique qu’il faut surtout « que l'industrie de la construction réalise que sur le plan législatif, le monde est en train de changer : un tsunami vert de nouveaux standards et technologies s'annonce de l'un et de l'autre côté de l'Atlantique. La nouvelle construction aux États-Unis cible 90 % de réduction des GES d'ici 2030. Ces réalités sont déjà d'actualité. Le réveil sera très douloureux pour ceux qui ne s'investissent pas maintenant ! »
Effectivement, les indices sont très favorables en ce qui a trait à l’accélération des efforts gouvernementaux dans le monde en matière de solaire-PV, comme les politiques de facturation inverse qui permettent aux gens de vendre à un distributeur d'électricité l'énergie qu'ils autoproduisent. Selon Philippe Dunsky, depuis plusieurs années, « des politiques de facturation inverse, dont l’objectif principal est l’accélération de l’utilisation du solaire-PV, se répandent partout dans le monde occidental.
Par ailleurs, alors que les enjeux environnementaux deviennent de plus en plus importants et reconnus, et que des traités internationaux concernant, par exemple, les changements climatiques et la biodiversité, sont signés, les pays seront appelés à adopter des politiques structurelles et économiques favorisant les options telles que le solaire-PV ». Parmi ces traités internationaux, on cite particulièrement ces derniers temps le protocole de Kyoto, précisément parce le Canada a fait savoir, lors de la conférence internationale sur les changements climatiques tenue en 2011 à Durban, en Afrique du Sud, qu'il ne participerait pas à une deuxième phase de ce protocole.
Pourtant, il était évident que l'environnement arrivait en tête des préoccupations des électeurs canadiens quand plusieurs d'entre eux ont réagi vivement aux propos de leur premier ministre conservateur Stephen Harper, qui écrivait dans une lettre qu'il a rédigée en 2002 : «Kyoto est essentiellement un complot socialiste qui vise à soutirer des fonds aux pays les plus riches ». Le protocole de Kyoto est la convention cadrée sur les changements climatiques qui avait fixé des engagements chiffrés (en équivalent CO2) en vue de réduire ou de limiter les émissions de GES pour l'horizon 2012. Selon un sondage Ekos cité dans Le Devoir, 82 % des Canadiens appuient le protocole de Kyoto. Cet appui atteindrait 90 % au Québec et plus de 66 % auprès des Albertains.
Pour Robert Deschamps, des Constructions Sodero, « si l'ensemble des constructeurs d'habitation ne sont pas sensibilisés à l'urgence de profiter des bienfaits liés au développement durable, ils ne peuvent pas offrir le "produit" et du même coup le promouvoir auprès de leur clientèle ». Il propose donc les associations patronales « fassent la promotion, auprès de leurs membres, des bienfaits du développement durable lié à l'habitation et surtout que leur lobbying auprès des instances gouvernementales vise à les convaincre de la nécessité de rehausser le code national du bâtiment (CNB). Avec un CNB adapté au développement durable, tous les intervenants de l'industrie auraient le même objectif de réalisation, ce qui faciliterait la mise en marché et la promotion de ce type d'habitation. »
L’ombre et la lumière
Mais il semblerait que les quelques nuages n’ombragent pas les ambitions des entrepreneurs pionniers du solaire dans les habitations au Québec car ils se débrouillent toujours pour trouver les solutions aux obstacles. Roger-Bruno Richard, architecte et professeur titulaire à l’Université de Montréal, attire l’attention sur la façon encore « artisanale de construire le solaire et de le faire in situ, ce qui induit un faible contrôle de qualité et une augmentation notoire des coûts, dès que sont introduites les spécificités du solaire ».
Afin d'obtenir le contrôle de qualité et les caractéristiques géométriques requises à prix abordable, M. Richard propose également de recourir à la construction usinée. C'est ce qui se fait couramment au Japon, où même les capteurs PV sont considérés comme un équipement standard en habitation! D'ailleurs, la Pana Home, filiale du conglomérat japonais National-Panasonic, a construit deux quartiers entiers de maisons solaires actives et en prévoit plusieurs autres avec cette fois un objectif de maisons énergétiquement autonomes. Roger-Bruno Richard propose aussi de bénéficier de l'efficacité de la construction usinée et du design solaire passif pour rentabiliser les technologies solaires actives comme les capteurs servant à chauffer l'eau ou l'air ainsi que les capteurs PV qui convertissent la lumière en électricité.
Un quartier solaire : l’union fait la force
Évidemment, il est essentiel de bien comprendre les particularités de l’emplacement des bâtiments sur un site. Chacun présente des défis et des possibilités uniques. La bonne planification d'un quartier solaire doit permettre d'étudier les obstacles à son implantation. L’expérience de Rune Kongshaug lui a démontré qu’il « faudra une grande échelle (peut-être 50 unités ou plus) avant que l'investissement en solaire thermique et PV au Québec ne soit vraiment compétitif par rapport à un développement de même taille.
Citoyen éclairé ET consommateur solaire
La question du solaire passif est d'un autre ordre, selon la conceptrice d'Abondance Montréal - Le Soleil, l'architecte Vouli Mamfredis, de l'atelier d'architecture Studio MMA : « Pour l’intégration du design solaire passif à une échelle plus large, il faudrait surtout faire de la sensibilisation pour expliquer les bénéfices et les stratégies aux usagers. »
Une étude sur le zonage solaire faite par l’école de design à l’Université de Harvard a effectivement conclu qu'accroître les connaissances des bâtisseurs, professionnels et consommateurs est la première étape à suivre pour encourager l’adoption des techniques et technologies solaires dans les villes. De plus, des certifications telles que LEED n’auraient aucun sens ni confort si les usagers d’un bâtiment ne suivaient pas le mode d’usage durable prévu par ses concepteurs…
LEED n'est qu'un début
La recherche et le développement (R&D) sont nécessaires, dit Rune Konshaug, afin d'élargir les connaissances humaines, sociales et culturelles pour concevoir de nouvelles applications solaires. « Il faut des investissements à plus long-terme et aussi former les jeunes à gérer ces nouvelles compétences », dit-il. C'est justement pourquoi il a fondé Design 1 Habitat, organisme à but non lucratif regroupant des professionnels du bâtiment « pour développer des solutions pour un milieu de vie plus juste et plus sain ». Son but : enseigner comment gérer les bâtiments comme Maison productive House (MpH) et former les nouveaux professionnels.
Le marketing peut avoir un énorme rôle à jouer et M. Kongshaug pense qu’il faut qu’il dépasse le stade de l'éducation et du lobbying. « Le souci de l'environnement est un souci philosophique pour certains clients avertis », dit-il. Aussi estime-il que les entrepreneurs doivent rendre leur produit « comparable ou compétitif à la maison conventionnelle en termes de performance économique. Il faut établir des cibles et essayer de déterminer l'échelle où ces technologies peuvent être introduites au marché de façon compétitive ».
Il revient donc aux constructeurs de bien comprendre où sont les bénéfices des maisons solaires et de les communiquer à leurs clients. (À ce sujet, lire le rapport L'énergie solaire pour les bâtiments, publié par la Société canadienne d'hypothèques et de logement.) Une autre façon de promouvoir les énergies renouvelables serait de rappeler aux gens combien les énergies traditionnelles nuisent à l’environnement et donc à leur propre santé et celle de leurs enfants. De même, pour sensibiliser les élus municipaux, il suffit de leur rappeler les coûts d’hospitalisation et de soins de santé causés par la pollution.
Les capteurs PV sont devenus abordables
S’il faut nécessairement traiter la question du prix de l’énergie à court terme en l’isolant de la valeur ajoutée, il est effectivement plus coûteux de produire de l’énergie solaire-PV que de se connecter au réseau d’Hydro-Québec. Il ne faut pas se le cacher, notre électricité est beaucoup plus abordable comparativement avec les États-Unis et l’Europe.
Selon Hydro-Québec, l'électricité domestique coûte 82 % plus cher que chez nous à Toronto et 234 % à San Francisco. (En 2011, les prix étaient d'environ 8¢/kWh au Québec pour l’usage résidentiel comparativement à 1,31 $ à Toronto, 1,83 $ à Calgary et 2,63 $ à New York.) De plus, la production d’électricité à base de capteurs PV coûte entre 40 à 50¢/kWh, soit cinq fois plus cher que l'hydroélectricité, selon le physicien Yves Poissant, spécialiste du PV au laboratoire de l’énergie propre CanmetÉNERGIE, de Ressources naturelles Canada, à Varennes.
Ce sont là certes des obstacles majeurs à la percée québécoise des énergies renouvelables et particulièrement de l'énergie au solaire qui cherchent une clientèle éclairée dans le marché global de l'énergie. Seulement la question concerne moins le coût temporaire que l’indépendance énergétique permanente, ce qui nous ramène à l’action citoyenne comme geste politique.
Selon Yves Poissant, si l'énergie PV n'est pas rentable à court ou moyen terme, elle n'en est pas moins devenue abordable. En effet, le coût moyen d'un système PV clé en main raccordé au réseau (sans batteries) a chuté de 6 $/watt à aussi peu que 3 $/W. Cela revient à 3 000 $ par kilowatt de puissance qui produit environ 1 150 kWh d’électricité par année dans des conditions idéales dans le sud du Québec, explique le physicien.
Hydro-Québec offre depuis quelques années l'option de mesurage net qui permet à ses clients de se voir créditer l'énergie qu'ils produisent avec un système d'énergie renouvelable mais qu'ils ne consomment pas. Comme l'explique son site Web : « Cette option tarifaire permet aux autoproducteurs admissibles d'injecter leurs surplus d'électricité dans le réseau d'Hydro-Québec et d'obtenir en contrepartie des crédits sous forme de kilowattheures. Ces crédits sont appliqués au solde de leur facture. Inversement, si leur production ne suffit pas à combler leurs besoins, ils peuvent s'alimenter à partir du réseau d'Hydro-Québec et profiter d'une alimentation fiable... (Les autoproducteurs) peuvent ainsi réduire leur facture d'électricité durant les périodes où leur consommation excède leur capacité de production. »
Ainsi, les surplus produits en été seront crédités, mais ces crédits seront perdus s'ils ne sont pas achetés du réseau au cours des 24 prochains mois. Peu alléchante, cette option tarifaire a jusqu'ici attiré bien peu de participants. Comparativement, le programme ontarien microFIT permet de vendre l'énergie produite par un petit système PV à un prix de 39,6 ¢/kWh) qui est garantit pendant 20 ans!
Saisissons l’opportunité
En somme, bien des obstacles financiers et environnementaux freinent toujours l’utilisation massive des panneaux PV et des autres techniques et technologies solaires dans les constructions québécoises. Mais la lumière solaire est riche et abondante au Québec et cela rend évidente son exploitation d’une façon responsable. Cette raison à elle seule devrait suffire pour la construction de maison solaires passives déjà sans avoir à soulever des problématiques complexes telles que les effets sociaux et environnementaux provoqués lorsque l'on inonde de vastes territoires en construisant un grand barrage hydroélectrique.
De plus, l’utilisation de l’énergie solaire dans des quartiers résidentiels s’est avérée être plus rentable pour de grands projets, pour des projets hors réseau et pour des projets qui visent le long terme. Ne serait-ce pas les critères d’un grand projet politiquement délicat au Québec ? Serait-il naïf de penser à l’énergie solaire comme l’alternative à long terme pour les nouvelles constructions ? Les entrepreneurs pionniers devraient saisir cette opportunité comme une deuxième chance pour construire des quartiers et des villes sur des valeurs saines et durables.
Pour en savoir davantage
Association Énergie solaire Québec
Centre de recherche CanmetÉNERGIE de Ressources naturelles Canada