Paru dans The Lancet Planetary Health, décembre 2018. Publié par Elsevier ltd. Article en libre accès sous licence CC BY-NC-ND 4.0.
Par Priyanka Bandara* et David O. Carpenter**
* Oceania Radiofrequency Scientific Advisory Association, Scarborough, Australie. pri.bandara@orsaa.org
** Institute for Health and the Environment, University at Albany, Rensselaer, NY, USA
Traduction et notes de bas de page : Francis Leboutte (www.electrosmog.be, 2025)
Alors que l’Alliance pour la santé planétaireI va de l’avant après une deuxième réunion annuelle fructueuse, une discussion sur la prolifération rapide des champs électromagnétiques [CEM] artificiels à l’échelle mondiale s’impose. Le plus remarquable est la couverture des rayonnements électromagnétiques de radiofréquence [RRF ou CEM-RF], principalement des micro-ondes générées par les technologies de communication et de surveillance sans fil, car des preuves scientifiques de plus en plus nombreuses suggèrent qu’une exposition prolongée aux RRF a des effets biologiques et sanitaires graves.
Toutefois, dans la plupart des pays, les réglementations relatives à l’exposition du public sont toujours basées sur les directives de la Commission internationale pour la protection contre les rayonnements non ionisants1 [ICNIRP] et de l’Institut des ingénieurs électriciens et électroniciens2 [IEEE] qui ont été établies dans les années 1990 sur l’idée que seuls les effets thermiques aigus sont dangereux. En réalité, on sait que limiter l’échauffement des tissus ne suffit pas pour éviter des dérèglements biochimiques et physiologiques. Par exemple, les scientifiques du NIHII ont démontré qu’une exposition non thermique modifie le métabolisme du cerveau humain3, l’activité électrique dans le cerveau4 et les réponses immunitaires systémiques5 .
L’exposition chronique aux CEM artificiels a été associée à une augmentation du stress oxydatifIII, à des dommages à l’ADN6,7 et au risque de cancer8. Des études de laboratoire, notamment de vastes études sur les rongeurs menées par le National Toxicology Program étasunien9 et l’Institut Ramazzini d’Italie10, confirment ces effets biologiques et sanitaires in vivo. Lorsque nous nous penchons sur les menaces pour la santé humaine résultant de l’évolution des conditions environnementales due à l’activité humaine11, l’exposition croissante aux rayonnements électromagnétiques artificiels doit être incluse dans cette discussion.
En raison de l’augmentation exponentielle de l’utilisation des appareils de communication personnels sans fil (par exemple, les téléphones mobiles ou sans fil et les appareils WiFi ou Bluetooth) et de l’infrastructure nécessaire, le niveau d’exposition aux CEM des fréquences principales du sans-fil a augmenté d’environ 1018 foisIV par rapport au niveau des CEM naturels (autour de la fréquence de 1 gigahertz, voir la figure).
Les RRF sont également utilisés pour les radars, les scanners de sécurité, les compteurs intelligents et les équipements médicaux. Il s’agit vraisemblablement de l’exposition environnementale anthropique qui a augmenté le plus rapidement depuis le milieu du 20e siècle. Les niveaux augmenteront encore considérablement, car des technologies telles que l’internet des objets et la 5G ajoutent des millions d’émetteurs de radiofréquences supplémentaires autour de nous. Une exposition humaine sans précédent aux RRF, de la conception à la mort, a eu lieu au cours des deux dernières décennies.
Les preuves de ses effets sur le SNCV, notamment l’altération du développement neurologique14 et l’augmentation du risque de certaines maladies neurodégénératives15, constituent une préoccupation majeure compte tenu de l’augmentation constante de leur incidence. Il existe des preuves d’un lien entre les troubles neurologiques, mentaux ou comportementaux chez les enfants et l’exposition aux dispositifs sans fil14. Des preuves expérimentales montrent que l’exposition prénatale pourrait provoquer des changements structurels et fonctionnels dans le cerveau associés à un comportement de type TDAHVI . 16 Ces résultats doivent être pris en considération de toute urgence.

Les niveaux des CEM anthropiques sont illustrés pour différentes périodes de l’évolution des technologies de communication sans fil. Ces niveaux d’exposition sont fréquemment rencontrés au quotidien par les personnes utilisant divers appareils sans fil. Les niveaux sont instantanés et non pas moyennés sur 6 minutes, comme dans les directives de l’ICNIRP.
Figure modifiée à partir de Philips et Lamburn12 avec autorisation. Les niveaux naturels de rayonnement électromagnétique de radiofréquence ont été basés sur le rapport CR-16666113 de la NASA.
Au sein de l’Oceania Radiofrequency Scientific Advisory Association, une organisation scientifique indépendante, des scientifiques bénévoles ont constitué la plus grande base de données en ligne au monde d’études évaluées par des pairs sur les RRF et d’autres champs électromagnétiques (CEM) artificiels de fréquences inférieures. Une évaluation récente de 2266 études (y compris des études in vitro et in vivo sur des sujets expérimentaux humains, animaux et végétaux ainsi que des études de population) a révélé que la plupart des études (n=1546, 68,2 %) ont démontré des effets biologiques ou sanitaires significatifs associés à l’exposition aux CEM anthropiques. Nous avons publié nos données préliminaires sur les RRF, qui montrent que 89 % (216 sur 242) des études expérimentales portant sur les critères d’évaluation du stress oxydatif ont révélé des effets significatifs.7
Ces nombreuses preuves scientifiques réfutent l’affirmation largement répandue selon laquelle les niveaux autorisés d’exposition aux CEM sont sans risque. Elles corroborent l’appel international lancé par 244 scientifiques de 41 paysVII qui, tous ont publié des articles sur le sujet dans des revues à comité de lecture : ils demandent à l’OMS et aux Nations unies de prendre des mesures immédiates pour réduire l’exposition du public aux CEM artificiels.
Il existe également des preuves des effets des CEM de radiofréquence sur la flore et la faune. Par exemple, la réduction de la population des abeilles et d’autres insectes est liée à l’augmentation des RRF dans l’environnement.17 VIII Les abeilles mellifères font partie des espèces qui, pour s’orienter, utilisent la magnétoréception, laquelle est perturbée par les CEM artificiels.
Les CEM artificiels vont de la fréquence extrêmement basse (liée à l’électricité domestique) à la fréquence basse, moyenne, élevée et extrêmement élevée (principalement associée à la communication sans fil). Les effets potentiels de ces CEM anthropiques sur les CEM naturels, tels que les résonances de SchumannIX qui conditionnent le temps et le climat, n’ont pas été correctement étudiés. De même, nous ne comprenons pas suffisamment les effets des RRF anthropiques sur d’autres composants atmosphériques naturels et artificiels ou sur l’ionosphère.
Il a été largement affirmé que les RRF ne peuvent endommager l’ADN car ils ne véhiculent pas assez d’énergie (contrairement aux rayonnements ionisantsX). Cette affirmation a été invalidée expérimentalement.18,19 Les RRF endommagent l’ADN apparemment par la voie du stress oxydatif7 , de la même manière que les rayonnements UV proches, que l’on a longtemps cru inoffensifs.
À l’heure où les spécialistes de la santé environnementale s’attaquent à de graves problèmes mondiaux, tels que le changement climatique et les substances chimiques toxiques pour la santé publique, il est urgent de s’atteler à ce que l’on appelle l’électrosmog. Une véritable approche fondée sur des preuves de l’évaluation des risques et de la réglementation des champs électromagnétiques anthropiques contribuera à notre santé à tous, ainsi qu’à celle de notre planète. Certaines autorités sanitaires gouvernementales ont récemment pris des mesures pour réduire l’exposition du public aux rayonnements électromagnétiques de radiofréquence en réglementant l’utilisation des appareils sans fil par les enfants et en recommandant l’utilisation préférentielle des appareils de communication filaires en général, mais il devrait s’agir d’un effort international coordonné. *** Nous ne déclarons aucun intérêt concurrent. Nous remercions Alasdair Philips pour son aide dans la réalisation de la figure, ainsi que Victor Leach et Steve Weller pour leur assistance dans la base de données ORSAA, qui nous a permis d’avoir une vue d’ensemble des preuves scientifiques dans ce domaine de recherche.
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I planetaryhealthalliance.org.
II National Institutes of Health : institutions gouvernementales des États-Unis pour la recherche médicale. nih.gov.
III Le stress oxydant se produit lorsque les défenses antioxydantes de l’organisme sont dépassées. Il abime les cellules et est source de maladies (maladies cardiovasculaires, cancers…). Voir electrosmog.be/glossaire.
IV Un milliard de milliards (un trillion).
V Système nerveux central (le cerveau et la moelle épinière).
VI Trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
VII International EMF Scientist Appeal (emfscientist.org), émis la 1re fois en 2015 et la dernière fois en 2024.
VIII Voir aussi l’étude BEEFI (Effets biologiques des CEM sur les insectes : revue systématique et méta-analyse, 2023) et sa transcription dans un court documentaire de 4 minutes (en français) : electrosmog.be/BEEFI.
IX Les résonances de Schuman réfèrent à des phénomènes du champ électromagnétique naturel de très basse fréquence (de 3 à 60 Hz).
X Comme les rayons X et gamma.
*** Nous ne déclarons aucun intérêt concurrent. Nous remercions Alasdair Philips pour son aide dans la réalisation de la figure, ainsi que Victor Leach et Steve Weller pour leur assistance dans la base de données ORSAA, qui nous a permis d’avoir une vue d’ensemble des preuves scientifiques dans ce domaine de recherche.
Références
1. International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection. ICNIRP guidelines for limiting exposure to time-varying electric, magnetic, and electromagnetic fields (up to 300 GHz). Health Phys 1998; 74: 494–522. icnirp.org
2. Institute of Electrical and Electronics Engineers. IEEE C95.7-2014—IEEE recommended practice for radio frequency safety programs, 3 kHz to 300 GHz. IEEE Standards Association, 2014. (accessed Nov 6, 2018) standards.ieee.org/standard/C95_7-2014.html.
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