Comment en est venu le tandem Yiakouvakis-Hamelin, mainte fois primé, à l’architecture? « J’avais 15 ans, se souvient Marie-Claude Hamelin, j’habitais une banlieue de Sorel-Tracy. Sur le chemin de l’école secondaire, des maisons en rangée faites par un architecte avaient été construites. Le projet avait une finition de crépi et de bois, c’était un beau projet, différent des bungalows de mon quartier. À ce moment-là, j’étais en secondaire IV, j’ai compris que je voulais devenir architecte. J’aimais beaucoup les mathématiques et les arts, l’architecture, qui comporte une part de rationalité et une part artistique, comblait mes attentes. » Quant à Loukas Yiakouvakis, les arts appliqués l’attiraient particulièrement, et les sciences. « Ma mère faisait de la couture. La mode, le graphisme m’intéressaient. Ça fait partie des arts appliqués : l’art dans la vie de tous les jours, et l’architecture, c’est justement ça! »
D’où vient l’inspiration qui forge leur conception de l’architecture? Mme Hamelin s’inspire beaucoup du site, de l’architecture vernaculaire locale. « La maison aux Îles-de-la-Madeleine, Géométrie bleue [qui a valu à la firme un Prix d’Excellence décerné par l’Ordre des architectes, en 2005], tire son inspiration de l’architecture locale où on trouve souvent un bâtiment principal avec de petites dépendances. Pour s’intégrer au langage des Îles-de-la-Madeleine, malgré un programme plus volumineux, nous avons morcelé le grand volume en deux petits volumes reliés par une passerelle. C’est de l’architecture contemporaine inspirée de l’architecture locale. Pour moi, le nouveau projet d’architecture est un ajout au bâti existant, il doit s’inscrire dans ce langage du bâti. » M. Yiakouvakis quant à lui est sensible à la culture dans l’architecture : « L’architecture, c’est l’art du lieu : expression puis création d’un lieu animé d’une personnalité propre. »
Et une maison doit être saine pour ses occupants, dira M. Yiacouvakis : « Cela signifie y être bien et en santé. Les bâtiments doivent respirer, sécher, vivre; c’est ce qui produit un bâtiment sain. J’aime la pérennité de l’architecture : une maison bien construite dure longtemps ». Et Mme Hamelin d’ajouter qu’elle aime les matériaux naturels résistants et simples à travailler, comme le bois et la pierre. « On évite les produits plastiques, les émanations. »
Pour ce tandem œuvrant à l’unisson depuis la fondation de l’atelier yh2, en 1994, les visions se recoupent! Qu’en est-il de l’environnement? « Le climat induit des choses au Québec, dira M. Yiakouvakis. Les matériaux y diffèrent des autres pays, alors on s’approvisionne ici plutôt qu’à l’autre bout de la planète, c’est plus environnemental! Et en ville, on valorise le bâtiment existant. L’idée, c’est que l’architecture exprime toutes les forces d’un lieu donné. Notre but n’est pas de créer des monuments, des sculptures, mais un projet reconnaissable, expressif, stimulant, sans qu’il vole la vedette au bâti existant. »
Prenez Dans L’Escarpement m’explique Mme Hamelin : « Cette maison est construite aux abords d’une falaise avec beaucoup de dénivelés. Ceux-ci réduisent l’empreinte sur le site : on évite le dynamitage qui endommage la végétation. On fait des relevés de terrain pour que notre architecture s’y implante parfaitement, en palier, suivant le sol. Les arbres à préserver sont tous sur nos dessins, de la conception à l’étape de l’exécution, afin que clients et entrepreneur s’en préoccupent. »
Qu’en est-il des larges fenestrations qui peuvent affecter la consommation d’énergie, hiver comme été? « On favorise la ventilation naturelle, l’ensoleillement, me répond Mme Hamelin. La Cornette, notre maison de campagne, est étudiée avec nos logiciels 3D pour profiter au maximum de l’ensoleillement l’hiver et l’éviter l’été. Parfois, en janvier, par belles journées ensoleillées, on ouvre les fenêtres. » Elle ajoute qu’ils essaient d’éliminer le gypse : « les revêtements muraux sont en bois, notamment pour les maisons de campagne, afin qu’en leur absence, les gens puissent baisser le chauffage plus bas sans qu’il ne se crée de condensation et de moisissure ».
Croyez-vous avoir un rôle à jouer dans la préservation des terres agricoles? « Oui, répond spontanément Mme Hamelin, nous travaillons à densifier la ville afin d’empêcher l’étalement urbain. Prenez La Maison-tour, à Montréal. À l’origine, c’était une maison d’un étage avec des garages. Nous avons d’abord construit sur l’assise de la maison existante une maison de trois étages; l’atelier se trouvait dans un garage en fond de cour. Lors d’une deuxième étape, nous avons construit au-dessus du garage notre nouvelle résidence. Afin de permettre la construction d’un deuxième logis sur le lot, nous avons relié les deux maisons par une passerelle. Nous avons donc construit deux maisons sur un même terrain avec chacune leur intimité; la première a un jardin au niveau du sol, la deuxième a une terrasse sur le toit. Nous avons donc densifier ce terrain urbain. »
« Il faut densifier, renchérit M. Yiacouvakis, parler ruelles, y construire des petites maisons! Pour pallier la crise du logement, il existe plusieurs possibilités de construire en ville dans différentes conditions très atypiques. Exploiter des lots de coin, concevoir plus de logements sur les coins. Construire sur hauteur, certaines rues le permettraient; chaque condition est particulière! Il faut s’impliquer! »
Parlons des changements climatiques, des risques accrus d’inondations… « On vérifie l’implantation, l’écoulement des eaux, le débord de toit. L’architecture traditionnelle avait une logique de construction intéressante à ce niveau », m’informe Mme Hamelin.
Et résultant des récents incendies de forêts, l’augmentation des prix du bois vous touche-t-elle beaucoup? « Le bois n’est pas plus cher que le reste, s’exclame Mme Hamelin, tout a augmenté, tous les matériaux de base! C’est triste, c’est vraiment trop cher. On aimait avoir une pratique variée, avec des clients issus de tous les milieux, mais maintenant, il est très difficile pour les gens moins fortunés de construire. C’est triste! »
Même son de cloche pour M. Yiakouvakis : « L’acier, le béton, c’est encore plus cher. Nous travaillons à petite échelle avec des scieries en région. Pour nos projets en cèdre blanc, le bois vient d’une scierie locale située au nord de l’Outaouais. Son prix augmente suivant le marché, mais jamais comme celui des multinationales. »
« Comme les réalisations sont moins abordables dans le climat actuel d’inflation, pour respecter nos budgets, on simplifie les détails, l’architecture, les volumes plus simples aussi », spécifie Mme Hamelin.
Pour Loukas Yiakouvakis, il est important que l’accès à l’architecture se démocratise. « On essaie de garder des clients moins fortunés, mais il manque d’ouvriers, d’entrepreneurs, de relève, déplore l’architecte. Dans le marché de la construction résidentielle, les entrepreneurs préfèrent faire une maison à 3 millions plutôt qu’à 600 000 $!
Parmi toutes ces contraintes : environnementales, climatiques, énergétiques, la crise du logement, l’inflation, la pénurie de main-d’œuvre, laquelle représente le plus gros défi?
Il répond : « Le temps qu’un projet soit envoyé en appel d’offre, le budget n’est déjà plus suffisant! Après six mois à recommencer les plans, ça réaugmente, c’est encore trop cher! » Au diapason avec son collègue, Marie-Claude Hamelin croit aussi que le défi principal, c’est l’inflation, qui chevauche le plus gros défi environnemental : convaincre les clients d’agir. « L’architecte a toujours envie de répondre aux exigences environnementales; reste à convaincre les clients d’y mettre le budget. Tout est toujours plus cher, et parfois, oui, je peux comprendre le client de vouloir faire un choix plus économique. Par exemple, du verre triple,c’est mieux, on dépense moins d’énergie, mais c’est plus cher. Nous ne sommes pas promoteurs, mais architectes. Moi, je peux influencer mes clients... mais ça reste des commandes. »
L’approche écologique valorise-t-elle le métier d’architecte? Oui, affirme-t-elle. « Cette sensibilité-là, cette compréhension, la vue d’ensemble; l’environnement, c’est très important. Et contrôler l’étalement urbain, densifier les villes. Trois-Rivières, Drummondville, Joliette… Densifions les villes d’envergure, pas que Montréal! Il faut penser transports en commun, pistes cyclables, on y travaille. »
Pour le mot de la fin, Mme Hamelin nous partage une anecdote qui illustre bien comment les bons architectes savent trouver des solutions aux besoins essentiels de leur clientèle : « Les deux maisons sur le même terrain dont je vous parlais, là où je vis; à la première maison, on avait un jardin. Quand on l’a vendue, je pensais que je ne serais jamais aussi heureuse dans la deuxième, je n’aurais plus ce beau jardin très privé, mais finalement, on a recréé sur le toit un espace fantastique. Parfois, en architecture, même nous, on se surprend! »