L'oncologue Dominique Belpomme, professeur de médecine à l'Université Paris-Descartes.
L'oncologue Dominique Belpomme, professeur de médecine à l'Université Paris-Descartes.

La biologiste française Marie Stella Duchiron nous transmet cette lettre que lui a addressée l'oncologue français Dominique Belpomme, expert en maladies environnementales et président de l'Association pour la recherche thérapeutique anti-cancéreuse http://artac.info/. En voici l'essentiel.

Je rejoins totalement l’idée selon laquelle " les mots sont importants" et "il faut utiliser de bonne définitions". Je reviens donc vers vous en précisant une fois de plus la nécessaire distinction qu’il convient de faire entre intolérance, susceptibilité et électrohypersensibilité.

1. L’intolérance est l’existence de symptômes, qu’ils soient cliniques et/ou biologiques, survenant lorsqu’on est exposé à des intensités de champs électromagnétiques dites "normales" ; le terme est d’ailleurs utilisé dans la classification CIM 10 de l’OMS, sous la forme d’« intolérance environnementale idiopathique », qui comprend déjà apparemment le MCS et des affections apparentés.

Le combat que je mène en relation avec certains membres de l’OMS et donc de faire entrer le syndrome d’intolérance aux champs électromagnétiques (SICEM) dans cette catégorie d’affections.

D’où le terme d’"intolérance" et non d’"électrohypersensibilité" qu’il convient d’adopter. Mais le combat sera long et difficile, car nous manquons de données objectives, c’est-à-dire prouvées par des tests de laboratoire, pour faire reconnaitre le lien causal entre exposition aux champs électromagnétiques et effets sur la santé. Car les impressions que ressentent les malades (et qui certes constituent pour moi une piste sérieuse pour que cette reconnaissance ait lieu) sont cependant insuffisantes au plan scientifique pour convaincre la communauté internationale, qu’elle soit scientifique, administrative ou politique. D’où une fois de plus la nécessité de bien cerner les problèmes tels qu’ils se posent au plan scientifique objectif, et non au plan des idées, allégations ou impressions.

2. La susceptibilité est un phénomène que vous connaissez bien, puisqu’elle concerne toutes les affections ou maladies (y compris chez les végétaux), et l’intolérance aux champs électromagnétiques et d’autre part l’électrohypersensibilité ne dérogent pas à cette loi biologique quasi-universelle.

3. Dans une population de sujets, certains sont en effet intolérants à tel ou tel facteur environnemental, d’autres pas; certains sont susceptibles au cancer, d’autres à la maladie d’Alzheimer, d’autres encore à devenir obèses, etc. et d’autres pas pour l’une ou l’autre des maladies ou affections que j’ai prises pour exemple, bien qu’ils puissent l’être à d’autres maladies ou affections.

Il y a une origine différente aux deux types de susceptibilité individualisés : la susceptibilité innée, génétique et la susceptibilité acquise, environnementale au sens large du terme. Le caractère inné, génétique se définit par la présence chez certains sujets, de gènes de susceptibilité (différents pour chaque maladie ou affection et pour les individus) et qu’on appelle "des gènes de polymorphisme". Pour le MCS, on en connait six. Il doit y en avoir en réalité beaucoup plus. Pour l’électrohypersensibilité, on ne les connait pas encore. Mais ce qui est clair c’est qu’il y a des familles plus susceptibles que d’autres aux champs électromagnétiques (travaux en cours par mon équipe).

Pour ce qui est de la susceptibilité génétique, j’ai suggéré pour la première fois l’hypothèse des magnétosomes, à partir de travaux américains datant des années 1990. Ce n’est qu’une hypothèse qui nécessite d’être validée.

Concernant la susceptibilité acquise, celle-ci relève essentiellement des "prothèses métalliques" présents dans l’organisme (amalgames dentaires, prothèses orthopédiques, lunettes, etc.) faisant "antennes" ou encore de certaines intoxications chimiques associées, celles-ci ne concernant pas seulement les métaux dits lourds, mais aussi probablement certaines substances chimiques organiques. Mais ici les connaissances sont encore insuffisantes. Les recherches doivent donc se poursuivre.

Alors qu’est-ce que l’électrohypersensibilité ? Il faut d’abord savoir que la plupart des organismes vivants (y compris donc les bactéries) sont électrosensibles. Ce qui individualise l’électrohypersensibilité, c’est que certains organismes susceptibles sous l’effet d’une exposition prolongée aux champs électromagnétiques deviennent plus intolérants que d’autres à de tels champs que normalement.

Selon les travaux que nous avons réalisés, il y a en effet deux critères pour définir l’électrohypersensibilité :

- l’abaissement du seuil de tolérance expliquant la plus grande sensibilité ; - l’extension de l’intolérance à l’ensemble ou tout au moins à une grande partie du spectre électromagnétique.

Or il est parfaitement clair que devenir électrohypersensible implique non seulement une exposition prolongée aux champs électromagnétiques, mais en plus une susceptibilité particulière dans le cadre d’interactions gène-environnement, car si tel n’était pas le cas, tout le monde serait électrohypersensible un jour ou l’autre, ce qui n’est pas observé actuellement, et qui ne le sera probablement jamais, compte tenu des connaissances biologiques et médicales actuelles. En fait, ce qu’il faut comprendre c’est que les sujets devenus "électrohypersensibles" ne sont en réalité que la partie émergée d’un phénomène de santé publique beaucoup plus vaste, car si on peut poser l’hypothèse selon laquelle le nombre des électrohypersensibles devrait atteindre une certaine limite, puisque l’électrohypersensibilité est probablement conditionnée par l’existence d’une susceptibilité génétique et/ou acquise, par contre le nombre des sujets intolérants (qui ne sont pas nécessairement génétiquement susceptibles et donc susceptibles de devenir électrosensibles) ne cessera probablement pas de croître dans les années à venir. Ainsi les électrohypersensibles sont-ils les révélateurs d’un phénomène de santé publique probablement beaucoup plus important et plus grave.

Il s’agit à l’évidence de notions complexes pour ceux qui, bien que n’ayant pas de formation biologique approfondie, essaient de comprendre ce qui leur arrive. D’où l’extrême prudence qu’ils doivent avoir à diffuser des informations non scientifiquement validées, sous peine que les dérapages dont ils se rendent coupables aient pour conséquence l’inverse de ce qu’ils espèrent. Je suis bien sûr ouvert à toute réflexion sur le sujet, à la condition qu’elle s’établisse sur des bases scientifiques.

Dans le mail en provenance du collectif des électrosensibles de France que vous m’avez fait parvenir, j’ai été très surpris d’apprendre que ce collectif "avait entrepris de travailler sur ces notions avec l’équipe de l’ARTAC". Car si nous nous informons de ce que font les ONG, nous ne travaillons qu’avec des équipes de chercheurs reconnues internationalement pour la qualité de leurs travaux.

Enfin, d’après ce que vous m’avez indiqué, je ne trouve rien à redire à votre message, si celui-ci consiste à insister sur le fait qu’il vaut mieux parler d’intolérance en général et ne restreindre le terme d’électrohypersensibilité qu’aux personnes qui répondent aux critères précédemment définis et qui en outre, présentent une susceptibilité, que celle-ci soit génétique ou acquise.

En effet, l’intolérance évoque une normalité de la personne soumise à des facteurs environnementaux toxiques, alors que l’électrohypersensibilité se réfère à une susceptibilité corporelle particulière à ces facteurs, qu’elle soit d’origine génétique ou acquise. Dans le premier cas, on insiste sur la toxicité de l’environnement, dans le second sur la fragilité particulière des personnes exposées, la cause de la maladie leur incombant donc.

Ainsi parler d’électrohypersensibilité c’est derechef culpabiliser le malade, soit parce qu’il est génétiquement "condamné" à ne pas tolérer les champs électromagnétiques, soit parce qu’il a abusé du portable, du DECT ou de l’ordinateur, et donc que l’excès d’exposition lui incombe.

Les ONG qui n’ont pas compris cette différence essentielle et qui de ce fait, continuent à mettre en exergue l’électrohypersensibilité, autrement dit à clamer partout que les malades sont des EHS, ne se rendent pas compte qu’ils contribuent à faire exactement l’inverse de ce qu’il conviendrait de faire. En faisant cela, ils incitent les pouvoirs publics à ne pas prendre des mesures de restriction et de protection concernant la pollution électromagnétique, puisque les malades dits "EHS" sont considérés être atteints d’anomalies naturelles, pour lesquelles on ne peut rien, si ce n’est au plan médical leur procurer une consultation de psychiatrie !

Je vous précise par ailleurs qu’en dehors d’une publication en cours sur l’échodoppler cérébral pulsé (encéphaloscan), bien que nous ayons la plus grande série mondiale de malades examinés pour une intolérance aux champs électromagnétiques, nous avons décidé de remettre à plus tard les publications des autres articles, pour des raisons que je donnerai ultérieurement en son temps. Et alors on me comprendra.

Je vous laisse le soin de diffuser la réponse que je donne ici à qui vous semble bon, si vous pensez qu’elle puisse être de quelque utilité pour les malades qui, en ce qui les concerne, lorsque je les interroge et les examine en consultation, comprennent parfaitement la distinction entre intolérance, susceptibilité et électrohypersensibilité et la façon dont en conséquence je les traite. Pardonnez-moi la longueur de cette mise au point, mais il s’agit d’un problème en réalité extrêmement complexe.

En tous cas merci pour votre courage et la qualité du message que vous délivrez et merci encore de m’avoir sollicité. Je reste à votre disposition. Très cordialement.

Paris, le 24 octobre 2012

Pr. Dominique BELPOMME

Pour lire l'entrevue qu'il nous a accordée en 2010 :
uploads/2012/10/sicem_demystifie.pdf

Et sa présentation Powerpoint sur le SICEM : 
uploads/2012/10/Le_Syndrome_d_Intolerance_aux_Champs_Electromagnetiques_Pr_Belpomme_2011.pdf