La Cour d'appel du Québec confirme une action collective autorisée en septembre 2022 contre Apple et Samsung, en rejetant leur appel alléguant que cette demande aurait dû être refusée par le juge de la Cour supérieure, Christian Immer. Celui-ci n'aurait commis aucun erreur de droit ou de fait, selon le jugement rendu le 18 septembre 2024 par la Cour d'appel. L'affaire concerne les risques non thermiques potentiels pour la santé encourus par les milliards d'utilisateurs de téléphones cellulaires. Ces appareils sont testés en laboratoire à une distance de 2 mm, uniquement pour démontrer qu'il n'y a aucun échauffement d'un liquide simulant celui du cerveau après une exposition de six minutes. Pour citer le jugement de la Cour d'appel :

« Parmi les nombreuses prétentions de fait formulées par les Intimés, le juge de première instance n’a tenu pour avérées que celles relatives à une circonstance spécifique et à l’impact potentiel de celle-ci sur la santé des utilisateurs des appareils en litige. Ces utilisateurs, selon ce qu’a considéré le juge, tendent à garder leurs téléphones portables sur leur personne et à en faire usage à une distance de leur corps inférieure à deux millimètres. Or, à cette distance réduite, ces appareils sont susceptibles d’avoir des effets dangereux pour la santé, qu’il s’agisse d’effets thermiques (lesquels seraient préjudiciables au-dessus d’un certain seuil) ou de radiations provoquées par des radiofréquences (lesquelles seraient préjudiciables en soi).

Néanmoins, en raison de l’absence de toute allégation selon laquelle les Intimés ou les membres du groupe qu’ils souhaitent représenter auraient effectivement subi un quelconque préjudice corporel appréciable ou mesurable selon les règles consacrées, le juge n’a autorisé de leur part aucune réclamation de dommages compensatoires pour des atteintes de ce genre et qui découleraient de l’état de fait sur lequel ils prétendent se fonder. Les seules réclamations que le juge a permises concernent plutôt les dommages-intérêts punitifs qui résulteraient de la non-divulgation par les Appelantes des risques ou des dangers pour la santé associés à l’usage des téléphones portables qu’elles ont mis en circulation. »

Le juge Immer avait refusé que les plaignants demandent des dommages-intérêts de 13 000 dollars par an jusqu'à ce que « la pollution par rayonnement soit réduite », des dommages-intérêts non spécifiés pour « surveiller leur état de santé », des dommages-intérêts punitifs et diverses mesures d'injonction. Tous ces recours et autres « demandés par les plaignants sont insoutenables et frivoles, selon le juge. En effet, il n'y a aucune allégation de blessure ou de préjudice subi par l'un des plaignants et ils ne peuvent donc pas s'acquitter de la charge de la démonstration pour être autorisés à demander le paiement de dommages-intérêts compensatoires. La mesure injonctive demandée par les plaignants est désespérément et sans équivoque inapplicable. »

Il avait encore été très critique de la plainte qui est à bien des égards un copier-coller d'une demande d'action collective américaine rejetée en 2022 (Cohen v. Apple, en appel). « Les plaignants fournissent un document de 99 pages intitulé de manière inappropriée « Plan d'argumentation ». Il s'agit de tout sauf d'un plan. Il n'a aucune organisation logique. 246 paragraphes sont placés sous 37 titres non numérotés. Les contradictions internes sont nombreuses. Les plaignants ont malheureusement souvent recours à l'hyperbole et au sarcasme. Le produit du travail est très difficile à suivre à bien des égards. »

Mise en contexte du lanceur d'alerte français, le Dr Marc Arazi :

« Cette affaire s’inscrit dans le cadre plus large du « Phonegate« , un scandale industriel et sanitaire international révélé en 2016 en France concernant le dépassement des normes d’exposition aux ondes électromagnétiques par de nombreux téléphones portables. Ce scandale a conduit d’ores et déjà au retrait du marché français ou à la mise à jour de 54 modèles de smartphones entre 2018 et aujourd’hui dont l’iPhone 12 en 2023.

L’action collective au Canada fait suite à une enquête menée en août 2019 par Sam Roe, journaliste au Chicago Tribune et lauréat du prix Pulitzer. Cette investigation avait révélé que plusieurs modèles de smartphones, dont l’iPhone 7, dépassaient les limites d’exposition aux radiofréquences lors de tests indépendants. À la suite de l’enquête du Chicago Tribune, une action collective a été intentée contre Apple aux États-Unis dans l’affaire Cohen v. Apple Inc. »

Le groupe représenté par les Intimés est circonscrit en ces termes : « Toute personne physique résidante ou domiciliée au Québec, qui a, depuis le 11 septembre 2016, acheté ou loué et utilisé un téléphone Apple ou Samsung ».

Lire ici l'article du Dr Marc Arazi publié aujourd'hui

Décision de la Cour d'appel, de 2024

Décision de la Cour supérieure, de 2022

Le 13 juillet 2023, les plaignants avaient déposé 244 pages de documents, et plus tard d'autres à titre de preuve nouvelle que la Cour d'appel résume et commente ainsi : 

« P-3B. Transcription et traduction française d’une émission de télévision, Marketplace, diffusée en mars 2017 par le réseau CBC. Sous forme de documentaire, elle fait état de nouveaux travaux scientifiques allant dans le sens de certaines allégations de la demande.

P-36 Article de J.C. Lin paru dans le magazine IEEE Microwave Magazine en juin 2023, intitulé « RF Health Safety Limits and Recommendations ». L’auteur écrit notamment : « Based on the published discussion accompanying the standards, it is hard not to suspect a scepticism of positive results, along with an equal tendency toward less critical acceptance of negative findings.».

P-36B. Curriculum vitae du Pr James Lin (auteur de l’article précédent), Professeur émérite au Department of Electrical and Computer Engineering, University of Illinois. Une liste de ses publications, qualifiée de sélective par lui, énumère 781 titres.

P-37. Rapport de l’International Commission on the Biological Effects of Electromagnetic Fields paru dans Environmental Health en 2022 (sans autre précision quant à la date de parution) intitulé « Scientific evidence invalidates health assumptions underlying the FCC [il s’agit de la Federal Communication Commission] and ICNIRP [il s’agit de l’International Commission on Non-Ionizing Radiation Protection] exposure limit determinations for radiofrequency radiations : implications for 5G ».

P-38. Article collectif de 13 auteurs paru dans la revue International Journal of Environmental Research and Public Health en 2022 (sans autre précision quant à la date de parution) intitulé « Cell Phone Radiation Exposure Limits and Engineering Solutions ».

P-14C(v). Copie d’un texte de quatre pages publié sur un site Internet en décembre 2020, intitulé « [Last minute] Phonegate : the safety factor of 50 for local SARs never existed! », sans plus de précision quant à sa provenance.

P-41. Copie d’un imprimé provenant apparemment de l’Appelante Apple, présenté par les Intimés en ces termes : « IPhone 3G "Important Product Information Guide" User-Manual-112098 © 2009 Apple inc. ».

Une deuxième requête, datée du 6 septembre 2023, rassemble une documentation imprimée de 426 pages. Elle comprend les documents dont une description sommaire suit :

P-47. Copie d’un texte de trois pages paru en août 2023 sur le site Internet du Conway Daily Sun, une publication à North Conway, New Hampshire, où le professeur émérite Kent Chamberlin, ancien membre d’une commission d’enquête du New Hampshire, décrit comment il a changé d’avis sur les effets préjudiciables pour la santé des conditions d’utilisation des téléphones portables.

P-48. Transcription d’une entrevue donnée par le Pr Chamberlin où il élabore sur le contenu déjà évoqué dans la pièce P-47.

P-49. Rapport final daté du 1er novembre 2020 de la Commission to Study the Environmental and Health Effects of Evolving 5G Technology du New Hampshire, organisme dont faisait partie le Pr Chamberlin. Le rapport contient diverses recommandations dont l’une prévoit que tous les téléphones portables devraient être équipés d’un logiciel et de senseurs interrompant les radiations lorsque l’appareil est trop près du corps.

La troisième requête, datée du 9 mai 2024, concerne quatre pièces, non cotées par les Intimés, mais auxquelles les Appelantes ont attribué les cotes de P-50 à P-53. Elles consistent en 13 pages détaillées comme suit :

P-50. Copie d’un document de deux pages publié sur Internet et daté du 22 avril 2024. Le titre du document en révèle la teneur : « Environmental Health Trust Reveals Concealed FCC [Federal Communications Commission] Cell Phone Tests Showing Human Radiation "Exposure Limits Were Exceeded" ».

P-51. Un tableau confidentiel et interne de la FCC confirmant certaines données sur lesquelles se fonde la pièce P-50.

P-52. Une capture d’écran d’un tableau émanant de la FCC, effectuée par le Environmental Health Trust et corroborant les pièces P-50 et P-51.

P-53. Une lettre d’un fonctionnaire de la FCC, adressée à la directrice exécutive du Environmental Health Trust, répondant à une demande formulée par le Trust en vertu du Freedom of Information Act américain et établissant la provenance de la pièce P-52. Un court texte de la même directrice l’accompagne.

Rien dans ces éléments d’information offerts comme des preuves nouvelles ne permet de croire que la documentation en question aurait pu affecter la décision du tribunal en première instance. Le juge a rejeté la demande de dommages compensatoires pour cause d’absence de préjudice allégué, sans nier que la prétention d’un danger pour la santé puisse être tenue pour vraie et en tenant pour avérée la proposition que les utilisateurs de téléphones portables les portent sur eux à deux millimètres ou moins de distance de leur corps.

Contrairement à ce que prétendent les Intimés, ces éléments d’information, s’ils se qualifiaient comme preuves nouvelles, concerneraient les appels principaux beaucoup plus que l’appel incident. Par ailleurs, il n’est pas impossible que certains de ces éléments puissent être versés en preuve lors du procès au fond, surtout si les Appelantes nient les faits qui y sont relatés ou l’existence d’une controverse scientifique sérieuse sur les effets nuisibles pour la santé de l’utilisation de téléphones portables manufacturés par elles – quitte alors à ce qu’elles introduisent à leur tour des preuves démontrant la fragilité de ces dernières propositions. Et il reviendra au juge saisi du fond de décider de leur recevabilité. »