En 2023, une étude coréenne avait confirmé que les tumeurs cérébrales augmentent dans les zones du cerveau les plus exposées au rayonnement des téléphones cellulaires.

L'utilisation intense du téléphone cellulaire à long terme ne serait pas associée à un risque accru de tumeur cérébrale selon la plus vaste étude jamais faite sur le sujet, publiée le 1er mars dans la revue Environment International. Ses conclusions sont toutefois entachées par d’importantes failles méthodologiques, son financement par des entreprises de téléphonie cellulaire et le fait que son auteure principale défend leurs intérêts depuis plusieurs années.

Par contre, ses résultats inquiètent car ils suggèrent – comme des études précédentes – que l’incidence du type de tumeur cérébrale le plus mortel augmenterait à un rythme plus élevé que prévu par le vieillissement de la population.

Agir par précaution

L’étude COSMOS, acronyme anglais de cohorte sur les téléphones mobiles et la santé, devrait plutôt inciter les utilisateurs de cellulaires à réduire leur exposition aux ondes en privilégiant les textos et le haut-parleur ou le casque d’écoute de type Air-Tube le plus possible, et en évitant de porter un cellulaire allumé sur soi, selon le Dr Joel M. Moskowitz, directeur du Centre pour la santé familiale et communautaire de l’école de santé publique à l’Université de la Californie (Berkeley). Lire ici les conseils qu'ils prodiguent par précaution et dont la plupart ont été repris en 2019 par le Département de santé publique de la Californie.

Le Dr Moskowitz a poursuivi avec succès l'État de la Californie pour le forcer à publier les conseils qu'il élaborait depuis des années sur la réduction de l'exposition au rayonnement cellulaire.

Selon le Dr Moskowitz, l'étude COSMOS « sur l'utilisation du téléphone portable et le risque de tumeur cérébrale présente de sérieux problèmes méthodologiques, nous a-t-il écrit par courriel. Par conséquent, les résultats intermédiaires rapportés dans ce document ne sont pas fiables, et la conclusion des auteurs selon laquelle l'utilisation du téléphone portable n'augmente pas le risque de tumeur cérébrale n'est pas seulement prématurée, elle est trompeuse. »

Je lui ai demandé d’élaborer sur ces fameuses failles méthodologiques. « Étant donné que presque tous les participants à cette étude utilisaient des téléphones mobiles au départ et que beaucoup d'entre eux étaient exposés à d'autres sources de rayonnement sans fil, il n'y avait pas de groupe témoin non exposé. Les auteurs ont comparé les taux de tumeurs cérébrales chez les 25 % d'utilisateurs de téléphones mobiles qui en faisait un usage plus intense aux 50 % d'utilisateurs les moins intenses, en se basant sur les données d'utilisation des téléphones collectées environ sept ans plus tôt. Les 50 % inférieurs, qui passaient en moyenne 10,6 minutes par jour à téléphoner, pourraient avoir été exposés à un risque accru de tumeur cérébrale en raison de l'utilisation du téléphone portable. Il n'est donc pas surprenant que les plus gros utilisateurs de téléphones portables n'aient pas présenté un risque cérébral significativement plus élevé que le groupe dit témoin. » Il faut savoir qu’en 2020, M. Moskowitz a cosigné une méta-analyse de 46 études cas-témoin sur le sujet. Elle a révélé que « l’utilisation du téléphone portable avec un temps d’appel cumulé de plus de 1 000 heures a augmenté de manière statistiquement significative le risque de tumeurs », ce qui correspond à une utilisation d’à peine 17 minutes par jour sur une période de 10 ans (Choi, Moskowitz et al., 2020).

À la fin avril, Michael Kundi, professeur émérite à l'université de médecine de Vienne, a signé une lettre à l'éditeur dans la revue Environment International qui a publié l'étude COSMOS, dans laquelle il contestait la méthodologie et les conclusions de l'équipe COSMOS (on peut lire ici sa lettre en libre accès). Il concluait notamment que l'étude était de trop courte durée parce que les tumeurs cérébrales prennent généralement des décennies à se développer : « Nous devons donc conclure que COSMOS ne peut pas non seulement trouver un risque de développer des tumeurs cérébrales, mais ne peut pas non plus trouver un effet sur la croissance des tumeurs puisqu'un déplacement raisonnable de la fonction âge-incidence conduit à des rapports de risque trop faibles pour devenir significatifs après un suivi aussi court. »

Résumé de l’article

Jusqu’ici, les études sur le sujet n’ont pas permis de conclure sur la cancérogénicité potentielle de l'exposition aux champs électromagnétiques de radiofréquence (CEM-RF) des téléphones cellulaires, explique l’article dont l’auteure principale est Maria Feychting, directrice de l’unité d’épidémiologie de l’Institut Karolinska. Le projet COSMOS est une collaboration entre cet institut basé à Stockholm et l'Imperial College de Londres (Royaume-Uni, coresponsable de l’étude), le Danish Cancer Institute (Danemark), l'Institute for Risk Assessment Sciences de l'Université d'Utrecht (Pays-Bas), l'Université de Tampere (Finlande) et le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). « Les données disponibles sont insuffisantes pour tirer des conclusions sur l'utilisation intensive et à long terme des téléphones portables, car elles sont limitées par des biais de rappel et de sélection différentiels, ou par une évaluation grossière de l'exposition », explique l’article. 

L’étude « a été spécialement conçue pour remédier à ces lacunes » en suivant pendant sept ans 264 574 adultes au Danemark, en Finlande, aux Pays-Bas, en Suède et au Royaume-Uni qui se sont joints à l’étude entre 2007 et 2012. Certains avaient déjà utilisé un cellulaire depuis 15 ans avant d’y participer. Tous ont consenti à ce que les chercheurs étudient leur historique d'utilisation du téléphone portable et s’ils ont développé une tumeur cérébrale (gliome, méningiome ou neurinome acoustique) au cours du suivi.

Photo de Maria Feychting prise par Andreas Andersson de l'Institut Karolinska.

Résultats : au cours d'un suivi médian de 7,12 ans, 149 gliomes, 89 méningiomes et 29 cas incidents de neurinome acoustique ont été diagnostiqués. Or, la prévalence des tumeurs cérébrales parmi les dix pour cent qui passaient le plus d'heures sur un téléphone portable depuis 15 ans ne différait pas significativement de ceux qui l'utilisaient beaucoup moins. « COSMOS a maintenant montré que les personnes qui parlent le plus sur leur téléphone portable n'ont pas un risque plus élevé de tumeurs cérébrales que les autres », conclut Maria Feychting.

Chercheurs liés à l'industrie

Or, l'indépendance de cette chercheuse est remise en cause par son adhésion de longue date et le fait qu'elle est l'ancienne vice-présidente de la Commission internationale surla protection contre la rayonnement ionisant (l'ICNIRP), « une organisation de défense de l'industrie prétendument indépendante qui promeut des limites d'exposition clairement dépassées et insuffisantes pour la protection de la santé publique et de l'environnement, mais qui sont en revanche importantes pour l'industrie des télécommunications », explique l’ancienne journaliste Mona Nilsson, directrice de la Fondation suédoise de protection contre les rayonnements. L’Académie américaine de pédiatrie est l’un des organismes qui dénonce les recommandations de l’ICNIRP comme mettant en péril la santé des enfants. La plupart des pays s’inspirent de ses limites d’exposition aux radiofréquences qui ne visent qu’à éviter l’échauffement des tissus après six minutes d’exposition. Elles font fi des risques d’effets non thermiques à long terme, comme le cancer et les maladies neurodégénératives. L'ICNIRP domine le programme de recherche de l'Organisation mondiale de la santé sur les effets des ondes non ionisantes comme l'électricité domestique et le rayonnement des technologies sans fil. Les deux organismes ont été fondés et longtemps dirigés par Michael Repacholi, un ancien fonctionnaire de santé Canada et consultant bien connu des industries électriques et des télécomummunications. Lire l'article de Microwave News, ICNIRP Revamp : Closer Ties to WHO EMF Project.

En 2017, Feychting a propagé une fausse rumeur attaquant la crédibilité de l’étude sur les rats du US National Toxicology Program (US NTP)qui avait confirmé que les ondes cellulaires avaient causé le cancer.

L’ancienne journaliste Mona Nilsson, directrice de la Fondation suédoise de protection contre les rayonnements.

Sharon Noble, qui dirige l'organisme canadien Citizens for Safer Tech, a demandé à Mona Nilsson de commenter l’article de l’étude COSMOS. Voici son analyse.

« L'étude COSMOS a été initialement financée par de grandes entreprises de télécommunications, à savoir Ericsson, Telia, Telenor et Nokia. Les scientifiques impliqués sont connus pour avoir nié pendant de nombreuses années les risques sanitaires liés aux radiations des téléphones portables.

Les deux premiers auteurs sont Maria Fecyhting et Joachim Schüz. Tous deux sont connus pour avoir manipulé une étude sur les risques de tumeurs cérébrales chez les enfants (CEFALO en 2011). Ils ont limité la question de l'exposition aux téléphones DECT [sans fil digitaux] aux « trois premières années » d'utilisation sans aucun motif scientifique, ce qui a clairement conduit à des résultats biaisés sur l'exposition. En outre, malgré le fait que la plupart des rapports de cote [ou risque relatif] dans l'étude ont été augmentés, les auteurs ont affirmé que les résultats seraient « rassurants » pour les enfants qui utilisent des téléphones cellulaires. L'étude a été en partie financée par des entreprises de télécommunications par l'intermédiaire d'une fondation suisse.

Par ailleurs, Joachim Schüz et deux autres auteurs de l'étude COSMOS, Christoffer Johansen et Alslak Harbo Poulsen, sont les auteurs de la pire étude de cohorte jamais réalisée sur les téléphones portables et les risques pour la santé. Cette soi-disant cohorte danoise publiée en 2001, 2006 et 2011 a également été financée à l'origine par des entreprises de télécommunications. Elle a été clairement conçue pour ne pas observer de risques pour la santé puisqu'elle a exclu les utilisateurs de loin les plus nombreux au cours de la décennie 1990, à savoir les entreprises. Ces utilisateurs les plus importants ont été considérés, de par leur conception, comme non exposés puisqu'ils faisaient partie du groupe de contrôle non exposé. Voir la critique de la cohorte danoise et de l'étude Cefalo dans le Journal of Cancer Science and Clinical Therapeutics. »

« Manque d’intégrité »

L’oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell est l'auteur de 357 publications scientifiques parues depuis la fin des années 1970. Plusieurs furent parmi les premières à établir un lien entre le cancer et l'exposition à divers polluants (dioxine, BPC, glyphosate ou Roundup et rayonnement cellulaire).

L'étude COSMOS « manquait d'intégrité scientifique, a déclaré au site The Defender l’oncologue et épidémiologiste suédois Lennart Hardell. Il est l'auteur de 357 publications scientifiques parues depuis la fin des années 1970, dont plusieurs furent parmi les premières à établir un lien entre le cancer et l'exposition à divers polluants (dioxine, BPC, glyphosate ou Roundup et rayonnement cellulaire). Selon lui, la dernière étude de Maria Feychting est « une étude de défense d'un produit, qui ne convient pas à une revue scientifique prétendant avoir effectué un examen crédible d'une soumission. Il est évident que les réviseurs n'ont pas fait leur travail ou qu'ils n'ont pas été écoutés. Dans ce dernier cas, cela jette un doute sur la crédibilité scientifique de la revue elle-même. »

 « Le plus remarquable », selon lui, c'est que les auteurs de l'étude n'ont pas cité ou référencé d'importantes études documentant une incidence accrue de tumeurs cérébrales chez les utilisateurs intensifs de téléphones portables, dont celles du Dr Hardell. « Il est difficile de croire que les auteurs de l'étude sont si incompétents et/ou peut-être si partisans du paradigme de l'absence de risque, a-t-il déclaré. On peut à juste titre se demander quels sont les résultats qu'ils cachent – une clarification est au moins nécessaire. On peut également se demander s'il n'y a pas d'influence de la part de l'industrie. »

Le rayonnement cellulaire devrait être reclassé parmi les substances cancérogènes avérées, selon le Dr Anthony B. Miller, ancien conseiller du CIRC qui a dirigé le département d'épidémiologie de l’Institut national du cancer canadien pendant 15 ans.

En 2011, plusieurs études du Dr Hardell ont incité des experts indépendants réunis par le CIRC à classer les CEM RF « peut-être cancérogènes ». Deux études majeures sur les rats publiées en 2018, dont celle du US NTP, devraient mener au reclassement des CEM RF dans le groupe des cancérogènes avérés, estime le Dr Anthony B. Miller, ancien conseiller du CIRC qui a dirigé le département d'épidémiologie de l’Institut national du cancer canadien pendant 15 ans. 

Le Dr Hardell a noté plusieurs autres façons dont les analyses des données récoltées par l'étude COSMOS ont pu minimiser de manière inexacte le risque de développer une tumeur cérébrale à la suite d'une exposition aux rayonnements RF. Par exemple, les chercheurs n'ont pas analysé de quel côté de la tête les participants disaient tenir leur téléphone par rapport à l'emplacement des tumeurs cérébrales qu'ils ont détectées plus tard chez certains participants.

« Ces questions sont essentielles pour étudier l'association entre l'utilisation des téléphones sans fil et le risque de tumeur cérébrale », a déclaré Hardell.

Les chercheurs n'ont pas non plus inclus de données sur l'utilisation des téléphones sans fil dans leurs analyses, bien qu'ils aient posé aux participants des questions détaillées sur leur utilisation de ce type de téléphone. « Il s'agit d'une faute scientifique, a déclaré le Dr Hardell. C'est une honte pour les participants qui ont donné de leur temps pour répondre au questionnaire. »

Des recherches antérieures ont montré que les rayonnements radioélectriques émis par les téléphones cellulaires et les téléphones sans fil - qui étaient encore très utilisés pendant la période de l'étude - peuvent constituer un facteur de risque pour le développement de tumeurs cérébrales, de sorte que les chercheurs doivent tenir compte de l'utilisation des deux types de téléphones, a déclaré le Dr Hardell. En outre, les auteurs de l'étude ont exclu 629 participants de l'étude parce qu'ils étaient atteints de tumeurs cérébrales avant le début de l'étude. Cela aurait pu affecter davantage les analyses, selon lui.

Les auteurs de l'étude ont même omis de communiquer des « informations de base », notamment le nombre de personnes initialement invitées à participer et la répartition de leur sexe, de leur âge et de leur pays d'origine. « Il est remarquable que l'étude ait été publiée dans sa version actuelle », dit Dr Hardell.

L'étude COSMOS est en cours, ce qui signifie que les chercheurs assureront le suivi de la cohorte à l'avenir. Dans ce premier rapport de suivi de la cohorte COSMOS, les participants ont déclaré utiliser principalement des téléphones sur un réseau 2G et/ou 3G. « Les futures mises à jour de la cohorte COSMOS sur l'évolution du cancer fourniront des informations supplémentaires sur les effets potentiels à long terme des CEM RF provenant de technologies plus récentes », écrivent les auteurs.

Louis Slesin publie depuis 1981 Microwave News de façon méticuleuse et approfondie, selon le magazine Time.

Hausse des glioblastomes

Par ailleurs, l’étude COSMOS « renforce les rapports précédents selon lesquels l'incidence du glioblastome (GBM) est en augmentation dans la population et doit être expliquée », écrivait le 6 mars sur X (ancien Twitter) l’éditeur de Microwave News, Louis Slesin. Depuis 1981, ce New-Yorkais « rédige cette publication sur les ondes et la santé de façon méticuleuse et la documente de façon approfondie », écrivait le magazine Time en 1990.

Le GBM est le type de tumeur cérébrale le plus agressif. Son taux de survie médian n’est que de 12 à 14 mois, selon la Société canadienne du cancer. Son incidence augmente en fréquence (en France, son nombre total a quadruplé en 30 ans) et il affecte davantage les hommes que les femmes.

Sur le site de Microwave News, Slesin déplorait le 1er mars que l’article COSMOS passait sous silence des faits importants soulevés dans un tableau en annexe. Il « ne mentionne pas les différents types de gliomes. Pourtant, le tableau supplémentaire S1 montre que ~70 % des gliomes dans la population étudiée par COSMOS sont des GBM, ce qui est plus élevé que les ~50 % attendus. Il convient également de noter que, selon le tableau S2, 64 % de la population COSMOS est composée de femmes. Les hommes sont beaucoup plus susceptibles d'être atteints de GBM que les femmes. Le pourcentage de GBM dans la cohorte COSMOS est donc encore plus élevé que prévu. Rien de tout cela n'est discuté ! »

Certains chercheurs affirment que la hausse des gliomes est due à des changements dans la définition de la maladie. « Si c’est le cas, dit Slesin, le taux de survie devrait augmenter [ce qui n’est pas le cas]. Parce que le GBM est rapidement mortel, ceux avec des gliomes moins agressifs devraient vivre plus longtemps. » Une étude a d’ailleurs démontré que les Britanniques de plus de 60 ans développent moins de gliomes moins agressifs et que le taux de GBM a plus que doublé entre 1995 et 2015, selon le registre des tumeurs du Royaume-Uni. Comme les hausses de l’incidence du GBM sont plus modestes dans les autres pays, comme le Canada et les États-Unis, on soupçonne le registre britannique d’être déficient, mais tous les registres de tumeurs le sont, dont le canadien qui n’a commencé à être centralisé qu’en 2015. En Suède, 20 % des tumeurs cérébrales traitées à l’hôpital entre 1990 et 2014 sont absentes du registre national, rapportait Microwave News en 2019.

En 2023, une étude coréenne avait confirmé que les tumeurs cérébrales augmentent dans les zones du cerveau les plus exposées au rayonnement des téléphones cellulaires.